En stage à Osaka
Un stage de deuxième année à Osaka pendant trois mois pour le compte de Vinci. Situation difficile car au Japon être jeune et femme vous met doublement au bas de la hiérarchie, alors qu’on vous demande un rôle de coordinatrice. Mission accomplie néanmoins.
Durant l’été 2017, j’ai eu la chance de réaliser mon stage de deuxième année au sein de l’entreprise Kansai Airports à Osaka, au Japon, pendant trois mois.
Intéressée par la biologie et l’environnement, j’ai intégré l’équipe « environnement » sur le site du Kansai International Airport (KIX). Ce stage a été une opportunité incroyable de découvrir au moins deux cultures : la culture d’entreprise et la culture japonaise.
L’AÉROPORT D’OSAKA
J’aimerais d’abord revenir sur le contexte dans lequel s’inscrit l’entreprise Kansai Airports. Cette société gère les deux aéroports d’Osaka, le KIX et Osaka International Airport, aussi appelé Itami (ITM).
L’entreprise est majoritairement détenue, depuis 2016, par la filiale française Vinci Airports et par la société japonaise Orix (actionnaires à hauteur de 40 % chacun). La moitié des directeurs de département sont français, salariés de Vinci (l’autre moitié vient d’Orix).
“ Je n’avais aucune idée de ce que pouvait bien être un master plan ! ”
Les autres employés de l’aéroport sont presque exclusivement japonais. C’est le cas pour l’équipe « environnement » constituée de quatre Japonais. Une de leur mission à mon arrivée était la rédaction du master plan Environnement de l’aéroport.
Les managers français m’ont demandé de coordonner le projet et de faire en sorte qu’il progresse significativement.
PREMIERS PAS
Au premier jour de mon stage, ma situation était la suivante : je parlais très peu le japonais (j’ai bien suivi des cours à l’X, ainsi qu’un stage linguistique intensif de trois semaines à Kyoto, mais la langue japonaise est décidément bien compliquée !) ; je n’avais presque aucune expérience du travail en entreprise, peu de connaissances sur le fonctionnement d’un aéroport en général et de celui-ci en particulier, et aucune idée de ce que pouvait bien être un master plan !
Mon premier réflexe a été de demander des informations à mes collègues japonais. Malheureusement, cette solution a vite montré ses limites… Nous ne nous comprenions pas. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un problème purement linguistique : je parlais trop peu le japonais et eux trop peu l’anglais.
Quant aux gestes, ils peuvent se révéler délicats : dans un pays où le signe de main qui signifie « viens par ici » correspond chez nous à celui qui veut dire « fiche-moi le camp », on se méfie des mauvaises interprétations des gestes que l’on peut faire !
COMMENT DIT-ON « ET/OU » EN JAPONAIS ?
Enfin, même le langage que je pensais le plus universel, celui des mathématiques, a failli à sa tâche. Je me rappelle avoir passé trois heures (sans exagérer) avec deux de mes collègues sur un problème qui revenait simplement à la différence entre le ET et le OU logiques.
Initialement, j’avais questionné ces collègues sur la notion d’unité de trafic, une manière de comptabiliser l’activité d’un aéroport. Je n’avais pas compris si une unité de trafic était un passager ET 100 kg de cargo, ou un passager OU 100 kg de cargo.
Je me suis rapidement rendu compte que cette question était assez absurde, puisque certains aéroports n’ayant pas d’activité de fret, la version ET n’a pas de sens. La réponse de mes collègues, it’s the same, nous a cependant conduit à discuter longuement. J’ignore la manière dont les mathématiques sont enseignées au Japon (ou l’étaient lorsque mes collègues étaient jeunes), mais en tout cas, ils ne connaissaient pas ou ne se rappelaient pas le signe « > » et mes tentatives d’explications et d’illustrations numériques ne nous ont pas aidés à nous comprendre.
Je reste persuadée que nous pensions tous les trois la même chose, mais que nous n’avions pas de code commun pour nous comprendre.
Quoi qu’il en soit, j’ai réalisé que le problème n’était pas seulement linguistique, il était bien plus profond.
CHOC DE CULTURES
J’ai vécu lors de mon premier mois de stage le choc silencieux de deux cultures complètement différentes. Silencieux, car dans la société japonaise il ne faut pas faire « de vagues », il faut être poli, respectueux, et surtout, rester à sa place. Or, je pense que, pour mes collègues, je n’étais pas à ma place.
D’un autre côté, les Français qui m’avaient recrutée avaient à mon égard une attente précise : faire aboutir la rédaction du master plan Environnement du Kansai Airport, en montrant à leurs collaborateurs japonais une autre manière de travailler, avec peut-être moins de pression et plus de discussions et d’échanges informels.
J’ai parfois eu l’impression d’être placée par les managers français en position de coordinatrice d’équipe, ce qui ne correspondait pas au rôle qu’aurait eu une jeune Japonaise nouvellement arrivée dans l’entreprise.
J’ai parfois eu l’impression d’être placée en position de coordinatrice d’équipe, ce qui ne correspondait pas au rôle qu’aurait eu une jeune Japonaise nouvellement arrivée dans l’entreprise.
EN BAS DE L’ÉCHELLE ?
Traditionnellement, la hiérarchie dans une entreprise japonaise est le reflet de la pyramide des âges. On est promu quand on est resté suffisamment longtemps dans l’entreprise.
D’autre part, pour diverses raisons, dont un machisme plus ou moins latent, la travailleuse japonaise n’a toujours pas le même statut que son équivalent masculin.
Étant jeune, inexpérimentée et femme, je cumulais trois bonnes raisons d’occuper la position la plus basse dans la hiérarchie de l’entreprise !
PATIENCE + ADAPTATION = SUCCÈS
Situation délicate ! Je me suis sentie tiraillée : je me suis adaptée, comme il est normal de le faire dans tout nouvel environnement, par exemple à la coutume qui consiste à rapporter à ses collègues des spécialités de l’endroit où on a passé son week-end.
J’ai également veillé à respecter les formules de politesse d’usage à l’arrivée et au départ du bureau. J’ai en revanche conservé certains « réflexes de Française » : j’ai continué de poser des questions (et je suis du genre à poser beaucoup de questions, surtout si la réponse me paraît vague ou si je ne la comprends pas !) et j’ai osé contredire mes supérieurs pour faire valoir mes idées et mes arguments.
J’ai donc senti au début de mon stage une certaine surprise, voire parfois une réticence à mon égard, mais elles ont heureusement disparu avec le temps. Mes maladresses et mes bizarreries ont sans doute été imputées à mon statut d’étrangère, ce qui a rendu mes collègues plus conciliants et moins prompts à me juger sévèrement.
Puis, au fil du temps, voyant que mes méthodes de travail, quoique atypiques pour eux, étaient efficaces et enrichissantes pour l’équipe, mes collègues se sont ouverts. J’étais à la fin de mon stage bien intégrée dans l’équipe, et nous avons pu tous ensemble mener à bien le projet.
Étant celle qui parlait le mieux anglais, j’ai pu, grâce aux informations données par mes collègues, rédiger une grande partie du master plan Environnement.
Mes questions leur ont permis de prendre conscience de certaines incohérences dans leurs pratiques environnementales, ainsi que d’adopter une approche éventuellement plus critique des données statistiques.
De mon côté, j’ai énormément appris, entre autres sur la difficulté de manager une équipe dans un environnement culturel éloigné du nôtre, et l’enrichissement mutuel que la confrontation des pratiques et des modes de pensée pouvait apporter.
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Un témoignage très
Un témoignage très intéressant, à rapproche du livre « stupeur et tremblement » d’Amélie Nothomb, avec apparemment une conclusion plus positive au point de vue professionnel.
culture nationale
En tant que Directeur Général Adjoint de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique de 2010 à 2015, en charge du département de sûreté et de sécurité nucléaires sous un DG Japonais (période de l’accident nucléaire de Fukushima), j’ai vécu directement deux épisodes qui sont des échos directs des expériences relatées par A Nothomb dans son livre Stupeurs et tremblements.
Venant de recruter un collègue européen (appelons le M) arrivant de 20 ans de travail au Japon, marié à une japonaise et parlant parfaitement japonais, lors d’un entretien en tête à tête avec le DG japonais, celui-ci commença par me mettre en garde contre les étrangers qui pensent bien connaître le Japon, ce sont ceux qui font les plus grosses erreurs. Il continua en me faisant remarquer que M était encore dans sa période d’essai, et qu’on pouvait le licencier sans autre forme de procès. Je mis M rapidement à l’abri de tous contacts avec le DG. Un étranger qui comprend le Japon est vu comme une menace par la technocratie japonaise !
Une autre fois, en juin 2011, je contestais une phrase de son projet de discours à la conférence ministérielle sur la sûreté nucléaire organisée par l’AIEA directement après l’accident de Fukushima. Celle-ci en effet tendait à rejeter sur la faiblesse des normes de sûreté de l’AIEA la responsabilité de l’accident, exonérant par là-même le Japon de ses erreurs en termes de sûreté nucléaire. Le DG entra dans une fureur non contenue contre moi en présence de plusieurs de mes directeurs, m’accusant de vouloir le dénigrer parce qu’il était japonais, m’insultant, et finalement annulant tous ses entretiens de la journée en raison de son excitation qui ne lui permettait pas de raisonner correctement. Son discours a finalement retenu ma version. Un technocrate japonais ne peut viscéralement pas accepter que son pays commette des erreurs.