Énergie et croissance
ÉNERGIE ET CROISSANCE, UNE TAUTOLOGIE ?
De 1965 à 2015, soit sur les 50 dernières années, l’économie mondiale (hors inflation) a crû en moyenne de 3,7 % par an. Sur la même période, l’énergie consommée au niveau mondial (en volume) a crû de 2,6 % par an. En analysant d’une année sur l’autre sur les 50 dernières années la croissance économique mondiale et la croissance de la consommation mondiale d’énergie, leur corrélation apparaît de façon explicite.
Plus l’économie croît et plus la consommation d’énergie croît – avec un coefficient de corrélation qui diminue au cours du temps, c’est-à-dire un rendement de l’énergie qui augmente, grâce aux progrès technologiques (cf. tableau 1).
Il n’y a pas d’activité humaine qui ne soit pas consommatrice d’énergie, directement ou indirectement. Il faut du pétrole pour produire le carburant nécessaire aux transports ou à l’agriculture, du gaz pour le chauffage domestique et industriel, du gaz et du pétrole pour les produits manufacturés, du charbon pour produire de l’acier et du ciment, et de l’électricité pour alimenter les transports ferroviaires et urbains, et permettre les usages domestiques.
Même les métiers de services liés à la digitalisation n’échappent pas à la consommation d’énergie. Le développement d’Amazon par exemple, même s’il s’agit d’e‑commerce, est largement adossé à un réseau de distribution physique consommateur de carburant d’une part, et à l’industrie « physique » du numérique d’autre part (ordinateurs, smartphones, serveurs, câbles et fibres optiques…) qui elle aussi est consommatrice d’énergie.
Pour Amazon, l’ensemble de ces deux éléments représente au niveau mondial une consommation d’énergie correspondant à la production annuelle de 1 à 2 centrales nucléaires en ordre de grandeur.
1 – Energie consommée et croissance économique corrélées. Monde – 1966–2015
DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES PRINCIPALEMENT FOSSILES, ET DONC FINIES
L’essentiel des ressources énergétiques mondiales est d’origine fossile : le pétrole, le gaz, le charbon. Ces trois ressources représentent à elles seules environ 80 % de l’énergie consommée au niveau mondial. Leur existence étant le résultat d’un processus géologique qui dure plusieurs millions d’années, leur quantité peut donc être considérée comme ayant une limite donnée. Et ceci, que la totalité des gisements existants soient connus et accessibles à ce jour ou non.
Dans le cas du pétrole (30 % de la consommation d’énergie totale), l’activité d’exploration, significative depuis le début du vingtième siècle, a connu un maximum de découverte de gisements au milieu des années 1960. Depuis, les découvertes de gisements « d’or noir » sont dans une tendance de décroissance.
La découverte de pétrole ayant connu un maximum, il est certain que la production de pétrole connaîtra également un maximum. Il en est de même pour le gaz et le charbon, et par conséquent pour l’énergie disponible dans son ensemble. La seule question clé est « quand ? » (cf tableau 2).
2 – Quand l’énergie disponible atteindra-t-elle son maximum ?
Consommation d’énergie primaire Monde – Millions de tonnes équivalent pétrole – 1965–2015
UN RISQUE POUR LA CROISSANCE MONDIALE HORS INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES
Si croissance et énergie sont corrélées, et si l’énergie disponible doit passer pas un maximum (c’est-à-dire par un ralentissement de sa croissance, puis par une décroissance), alors il y a un risque que la croissance économique mondiale ne soit sous une contrainte de plus en plus dure à l’avenir. Ce raisonnement n’est cependant valable qu’à technologie constante.
Il reste permis d’espérer que les innovations technologiques puissent desserrer un peu la contrainte énergétique. C’est-à-dire développer de nouvelles sources d’énergie (comme les moteurs à hydrogène par exemple) et/ou augmenter la productivité des moteurs existants des voitures, camions, avions et engins agricoles, le rendement des centrales électriques et des batteries d’ordinateurs, smartphones et voitures électriques, l’efficacité énergétique des bâtiments, etc. pour générer à partir d’une même quantité d’énergie, plus de croissance économique.
UNE POLARISATION ACCRUE DES SOURCES DE CROISSANCE
Dans un monde économique sous contrainte énergétique croissante, il est probable que les leviers de croissance se polarisent de plus en plus. En termes de géographies, le caractère critique de l’accès aux ressources énergétiques devrait se renforcer.
Les pays bénéficiaires seront ceux qui en disposent sur leur territoire (ex. : un nombre limité de pays en Amérique du Nord1, Amérique du Sud2, et au Moyen-Orient3, la Russie, la Chine et l’Inde4…), ceux qui ont les moyens de se les procurer (ex. : la Chine), ou ceux qui ont les technologies pour réduire partiellement leur dépendance (ex : la France, le Royaume-Uni, la Chine avec le nucléaire).
Au-delà de la question de l’accès aux ressources (c’est-à-dire de l’offre énergétique), l’efficacité de leur utilisation (c’est-à-dire de la demande énergétique) est également critique. C’est tout l’enjeu réel de « l’efficacité énergétique », ou plus largement de l’évolution significative des usages vers des modes de consommation plus économes en énergie.
Ainsi, en termes de métiers, sans doute faut-il s’attendre au développement des métiers économes en énergie, à condition qu’ils soient dans le même temps compétitifs (en offre, en prix, ou en coût). Ceci concerne l’ensemble des métiers et industries existantes, par exemple :
- L’agriculture et l’alimentation (cultures végétales plutôt qu’élevage bovin). D’ailleurs, Bill Gates n’a‑t-il pas investi dans Impossible Foods, une start-up californienne qui développe des recettes de hamburgers à partir de protéines végétales ? ;
- La construction et le logement (davantage d’isolation thermique, davantage de construction en bois lorsque c’est possible…) ;
- Le chauffage (bois lorsque c’est possible), l’éclairage (ampoules basse tension), l’électroménager économe en énergie (cf. les étiquetages d’efficacité énergétique) ;
- Les filières de réparation, réutilisation et recyclage des matières et équipements (vêtements, textiles, plastiques, verre, équipements domestiques…) ;
- Les transports (des véhicules hybrides et électriques de petite taille, y compris des deux-roues, plutôt que des 4×4 à essence – à condition de produire les batteries avec des sources d’énergie non carbonées), le fret (ferroviaire plutôt que routier), le tourisme (des destinations moins lointaines…).
Scénarios d’évolution de la demande d’énergie primaire – 2014–2040 Monde
Agence Internationale de l’Energie – World Energy Outlook 2016
CERTAINS PIÈGES À ÉVITER DANS LES ACTIVITÉS « DURABLES »
Dans cette recherche de métiers économes en énergie, plus résilients à long terme face à la contrainte énergétique, il y a des pièges à éviter.
Attention aux activités rapidement qualifiées de « durables », et souvent instrumentalisées à des fins politiques.
Par exemple : les « énergies renouvelables ». Leur intérêt est tout à fait pertinent pour économiser des énergies fossiles qui se raréfient et qui émettent du CO2. Elles doivent sans doute se développer encore à l’échelle mondiale. Cependant, les problématiques qui leur sont liées sont souvent mal posées dans le débat public français :
- On réduit l’enjeu énergétique à la question du mix électrique, alors que l’électricité ne représente qu’une part modérée de l’énergie finale consommée mondialement (environ 20 %) ;
- On réduit les « énergies renouvelables » à l’éolien et au photovoltaïque (< 2 % de l’énergie mondiale), alors que les premières énergies renouvelables sont – et pour longtemps – le bois et l’hydraulique (13 % à 20 %) ;
- On oppose écologie et nucléaire, alors que dans les scénarios les plus ambitieux de limitation des émissions de CO2, le nucléaire joue un rôle clé au niveau mondial ;
- On oublie de souligner que le gaz est aussi clé pour aider à boucler l’équation du besoin en énergie et de la réduction de l’usage du pétrole (subie) et du charbon (souhaitée – sauf si les technologies de capture de CO2 se développent) : entre 20 % et 25 % de l’énergie mondiale à long terme (cf. tableau 3).
QUI A LES MOYENS DE DÉCIDER ?
Quels sont les acteurs industriels ou publics qui ont les moyens de décider et d’investir pour accompagner l’évolution de l’offre et de la demande énergétique décrite ci-dessus :
EN BREF
Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Zurich, New York et Shanghai.
Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens, nord-américains et asiatiques dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements.
- Les électriciens ? : leurs marges de manœuvre financières sont réduites compte tenu des enjeux de réinvestissement dans les infrastructures et des prix bas (tarifs réglementés maintenus bas pour des raisons politiques et prix de marché bas en raison du développement de moyens de production subventionnés) ;
- Les pétroliers ? : leur capacité d’autofinancement est principalement mobilisée pour la défense du cœur de métier (enjeux d’investissement en exploration/production pour maintenir l’activité) ;
- Les gaziers ? : le potentiel est significatif, mais uniquement pour ceux qui ont un accès direct aux gisements de gaz (Russie, Qatar, Iran, USA…) ;
- Les États ? : leurs marges de manœuvre financières sont faibles en Europe (à l’exception de l’Allemagne) ; seuls les grands pays émergents (principalement la Chine) ont des moyens significatifs ;
- Les innovateurs technologiques ? : leur potentiel est significatif, par exemple à l’image de Tesla (batteries et voitures électriques) dont la capitalisation boursière (52 Md$) surpasse désormais celle de General Motors.
Les principaux acteurs qui semblent en mesure de changer la donne sont finalement les États qui disposent de ressources financières importantes (comme la Chine) et les acteurs industriels pouvant innover avec succès à grande échelle (comme Tesla).
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1. USA, Canada.
2. Venezuela, Brésil.
3. Arabie Saoudite, Qatar, Iran, Irak, Koweït, EAU.
4. Charbon uniquement.