Énergie et croissance
ÉNERGIE ET CROISSANCE, UNE TAUTOLOGIE ?
Sur les 50 dernières années, l’économie mondiale (hors inflation) a crû en moyenne à 3,7 % par an. Sur la même période, l’énergie consommée au niveau mondial (en volume) a crû de 2,6 % par an. Plus l’économie croît et plus la consommation d’énergie croît — même si le coefficient de corrélation diminue au cours du temps, grâce aux progrès technologiques.
Il n’y a pas d’activité humaine sans consommation d’énergie. Il faut du pétrole pour le carburant nécessaire aux transports ou à l’agriculture, du gaz pour le chauffage domestique et industriel, du gaz et du pétrole pour les produits manufacturés, du charbon pour l’acier, et de l’électricité pour les transports ferroviaires et urbains, les usages domestiques, et les industries électro-intensives.
Même les métiers de services liés à la digitalisation n’y échappent pas. Le développement d’Amazon dans l’e‑commerce par exemple est adossé à un réseau de distribution physique consommateur de carburant, et à l’industrie « physique » du numérique (ordinateurs, smartphones, serveurs) qui est elle aussi consommatrice d’énergie.
Pour Amazon, l’ensemble de ces deux éléments représente une consommation d’énergie correspondant à la production annuelle de 1 à 2 centrales nucléaires.
DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES, PRINCIPALEMENT FOSSILES, ET DONC FINIES
L’essentiel des ressources énergétiques mondiales est d’origine fossile : pétrole, gaz, charbon. Ces trois ressources représentent plus de 75 % de l’énergie consommée. Cela restera le cas pour les dix prochaines années, quels que soient les scénarios et les volontés de faire évoluer les mix énergétiques.
Leur existence étant le résultat d’un processus géologique de plusieurs millions d’années, leur quantité sur la planète est donc limitée sur l’horizon de temps d’une civilisation humaine.
L’exploration pétrolière a connu un maximum de découvertes au milieu des années 1960. Depuis, les découvertes décroissent. Par suite, l’extraction de pétrole connaîtra également un maximum, dans un futur plus ou moins proche. Il en est de même pour le gaz et le charbon à terme, et donc pour l’énergie fossile au total. La seule question est « quand ? ».
Alors qu’aujourd’hui la production de pétrole semble excédentaire et les prix sont bas, une chose est certaine à court ou moyen terme : les prix remonteront si l’économie mondiale poursuit sa croissance.
UN RISQUE POUR LA CROISSANCE MONDIALE – HORS INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES
Croissance et énergie étant corrélées, et l’énergie fossile disponible devant passer par un maximum, il y a un risque que la croissance économique mondiale ne soit sous contrainte croissante — à technologies et sources d’énergies constantes. Il est cependant possible que les innovations technologiques puissent desserrer cette contrainte.
En effet, le développement de nouvelles sources d’énergie (hydrogène, fusion) et l’augmentation de la productivité des moteurs, du rendement des centrales électriques et des batteries, de l’efficacité énergétique des bâtiments, peuvent permettre de générer plus de croissance économique à partir d’une même quantité d’énergie.
UNE POLARISATION ACCRUE DES SOURCES DE CROISSANCE
Dans un monde économique sous contrainte énergétique croissante (au moins dans les 20 ans à venir), les leviers de croissance se polarisent de plus en plus.
En termes de géographies, la criticité de l’accès aux ressources énergétiques va se renforcer. Les pays bénéficiaires seront ceux qui en disposent (Amérique du Nord1 et du Sud2, Moyen-Orient3, Russie, Chine4, Inde4), ou ont les moyens d’en acheter (Chine), ou ont des technologies alternatives significatives (France, Royaume-Uni et Chine avec le nucléaire).
“ DANS LE DÉBAT PUBLIC, ON OPPOSE SOUVENT ÉCOLOGIE ET NUCLÉAIRE, ALORS QUE DANS LES SCÉNARIOS DE L’AGENCE INTERNATIONALE DE L’ÉNERGIE LES PLUS AMBITIEUX EN TERMES DE MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE CO2 ET DE DÉVELOPPEMENT DES ENR, LE NUCLÉAIRE JOUE UN RÔLE CLÉ AU NIVEAU MONDIAL. ”
En termes de métiers, les métiers économes en énergie vont se développer, à condition qu’ils soient compétitifs (en offre, prix et coût), avec par exemple :
- L’agriculture : cultures végétales plutôt qu’élevage bovin
- La construction et le logement : isolation thermique, filière bois
- Le chauffage (bois), l’éclairage (LED), l’électroménager économe en énergie
- Les filières de réparation, réutilisation et recyclage des matières (textiles, plastiques, verre, carton) et des équipements
- Les transports (véhicules hybrides et électriques) à condition de produire les batteries avec des sources d’énergie non carbonées, le fret (ferroviaire plutôt que routier à essence), le tourisme (destinations moins lointaines).
CERTAINS PIÈGES À ÉVITER DANS LES ACTIVITÉS « DURABLES »
Il y a certains pièges à éviter. Les activités dites « durables », souvent instrumentalisées, en sont un exemple, et notamment les « énergies renouvelables ». Leur intérêt est clair lorsqu’il s’agit d’économiser des énergies fossiles qui se raréfient et qui émettent du CO2.
- On réduit l’enjeu énergétique au mix électrique, alors que l’électricité ne représente qu’une part modérée de l’énergie finale consommée mondialement (environ 20 %)
- On réduit les « énergies renouvelables » à l’éolien et au photovoltaïque (< 2 % de l’énergie mondiale), alors que les premières énergies renouvelables sont durablement le bois et l’hydraulique (13 % à 20 % de l’énergie mondiale)
- On oppose écologie et nucléaire, alors que dans les scénarios les plus ambitieux en termes de maîtrise du CO2 et de développement des EnR, le nucléaire joue un rôle clé au niveau mondial
- On oublie que le gaz est critique pour boucler l’équation du besoin en énergie et la réduction de l’usage du pétrole (subie) et du charbon (souhaitée) : 20 à 25 % de l’énergie mondiale.
QUI A LES MOYENS DE CHOISIR ?
Quels sont les acteurs industriels ou publics qui ont les moyens de décider et d’investir pour accompagner ou influer sur l’évolution de l’offre et de la demande énergétique décrite ci-dessus :
- Les électriciens ? Leurs moyens financiers sont réduits compte tenu des enjeux de réinvestissement dans les infrastructures et des prix bas (tarifs réglementés bas et prix de marché bas en raison des moyens de production subventionnés)
- Les pétroliers ? Leur capacité d’autofinancement est mobilisée pour la défense du coeur de métier (investissement en exploration/production)
- Les gaziers ? Leur potentiel est significatif, à condition d’avoir des accès directs aux gisements (Russie, Qatar, Iran, USA…)
- Les États ? Leurs moyens financiers sont faibles en Europe (sauf en Allemagne) ; les pays européens qui ont pu décider de mener des stratégies de rupture énergétique dans les années 1970 n’en ont plus les moyens ; seuls les grands pays émergents (principalement la Chine) ont des moyens significatifs
- Les innovateurs technologiques ? Leur potentiel est aujourd’hui significatif, à l’image de Tesla dont la capitalisation boursière (54 Md $) est désormais proche de celle de General Motors, mais pour combien de temps ?
QUE FAIRE ?
Les leviers de croissance rentable vont se polariser entre géographies (disposant de ressources énergétiques) et métiers (facilitant les usages économes en énergie).
Les options d’investissements doivent être arbitrées de façon plus forte à cet égard, avec des positions tranchées, par exemple :
- Renoncer à investir dans les métiers subventionnés à long terme (non soutenables)
- Investir dans les filières économes : moins d’élevage bovin, plus d’urbanisme en zone dense (plutôt que des maisons individuelles), plus de circuits courts, plus de recyclage
- Anticiper une remontée des prix du pétrole et un dépassement du plus haut historique de 140 $ le baril (juin 2008), mais à quel horizon ?
- Miser à court-moyen terme sur le gaz (notamment liquéfié) comme alternative face à la diminution du charbon (souhaitée) et du pétrole (subie)
- Investir dans la recherche de nouvelles sources d’énergie prometteuses (fusion, moteur à hydrogène) et les solutions de stockage (batteries, barrages)
- Ne pas enterrer le nucléaire, qui pourrait doubler à terme au niveau mondial, soit 6 parcs de production français de plus dans le monde d’ici à 2040.
EN BREF
Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Zurich, New York et Shanghai. Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens, nord-américains et asiatiques dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements.
Des choix difficiles compte tenu de l’ampleur des risques, des montants et de la durée des investissements, mais qui peuvent être en partie rationalisés.
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1. USA, Canada
2. Venezuela, Brésil
3. Arabie Saoudite, Qatar, Iran, Irak, Koweït, Émirats Arabes Unis
4. Charbon uniquement