Parents d’enfants à haut potentiel intellectuel : une polytechnicienne témoigne
Quand haut potentiel intellectuel ne rime pas avec bon élève. C’est la découverte qu’a faite Élodie Renoult (2004) dès la maternelle pour son fils. Pour faire face à ses difficultés d’adaptation dans le système scolaire classique, Élodie a expérimenté une autre forme de scolarité, adaptée aux enfants précoces, l’école Arborescences en région toulousaine.
Quand j’étais enfant, ma maman me disait : « Les bons élèves réussissent toujours… » ou bien « Travaille bien à l’école et tu auras le beau métier… » J’étais une bonne élève, j’ai réussi, j’ai le beau métier.
L’école a toujours été pour moi comme un cocon, je m’y sentais bien, je comprenais ce qu’on attendait de moi, j’avais ma place : en tête de classe. Quand je finissais 4e, j’étais triste, presque honteuse de moi, quand je finissais première j’étais très fière. Tout au long de ma scolarité, je ne me suis jamais posé de questions. J’ai avancé, tout était facile, un jeu, comme le concours Kangourou (jeu-concours de mathématiques organisé dans les établissements scolaires) auquel je participais chaque année.
“C’est quoi un bon élève ?
Y a‑t-il des élèves ratés ?”
Chagrin d’école
Mais aujourd’hui ce même système scolaire que j’adorais me dit de mon fils : « On ne peut rien en tirer. » Pourquoi ? Car en petite section, il est le dernier à mettre ses chaussures et il ne sait pas mettre son manteau si ses manches sont à l’envers. En moyenne section, il a compris et sait expliquer ce qu’est un volcan, mais il est le dernier à finir sa ligne de bâtons sur une feuille. Il connaît les chansons par cœur mais au concert il ne chante pas, car il regarde tout le monde autour de lui.
Alors que puis-je dire à mon fils ? Mais comme m’a demandé ma fille, « c’est quoi un bon élève ? Y a‑t-il des élèves ratés ? »
Une école pas comme les autres
Lundi 2 septembre 2019, c’est la rentrée. Cette année, toute l’école travaillera sur la thématique des légendes : le jour de la rentrée, les elfes (les enfants) sont accueillis par une conteuse et trois déesses (la directrice et les maîtresses). Une fois que les déesses ont constitué leur équipe, l’année peut commencer.
Au fil des légendes, toutes les matières seront abordées, le matin par cycle de 3 semaines : mathématiques, français, histoire, géographie, sciences… L’après-midi sera réservé aux ateliers en fonction du niveau de chacun : sieste (petites et moyennes sections), apprentissage de la lecture (grande section et primaires non-lecteurs) et chinois (primaires lecteurs). Puis anglais, théâtre, capoeira, cirque, empathie, gestion des émotions, graphologie… Tous les vendredis, c’est le bilan des elfes : d’abord l’Agora où chacun (elfes et déesses) peut prendre la parole, puis le Rally où chaque elfe évalue ce qu’il a appris dans la semaine, et enfin les Pépites où il évalue son comportement de la semaine.
Ces elfes viennent de toutes les communes de l’Ouest toulousain, parfois d’assez loin. Ils ont en commun une même magie : ils ont été détectés à haut potentiel intellectuel ; et certains ont aussi un pouvoir spécial : dyslexie, trouble de l’attention, autisme… Plusieurs ont déjà reçu des points de dégâts dans leur parcours antérieur, mais ils sont là pour regagner tous leurs points de vie et continuer l’aventure.
Le haut potentiel intellectuel
Une personne à haut potentiel intellectuel (HPI) est une personne dont le QI se situe au-dessus de 130, soit deux écarts-types au-dessus de la moyenne sur l’échelle de Wechsler (échelle standard). Ce choix de deux écarts-types, soit 30 points au-dessus de la moyenne, n’est pas le fruit du hasard : il correspond symétriquement au seuil reconnu de la déficience intellectuelle, qui est de deux écarts-types au-dessous de la moyenne, soit un QI total ≤ à 70. Dans les deux cas, cela représente 2,3 % de la population sur laquelle le test a été étalonné.
À la recherche d’une pédagogie alternative pour les enfants à haut potentiel intellectuel
Ceci n’est pas une légende : c’est une rentrée un peu atypique, pour des enfants eux aussi atypiques, des enfants comme les miens, à l’école Arborescences de Toulouse. Face aux difficultés rencontrées pendant les premières années de maternelle de notre fils, nous avons fait des recherches sur les pédagogies alternatives pour trouver une école où il pourrait s’épanouir. Mon mari avait été dépisté à haut potentiel quand il était enfant et n’avait pas que des souvenirs positifs de sa scolarité. Cela nous a aiguillés dans ce sens, et par chance nous nous sommes rendu compte que nous avions une école adaptée à nos enfants à côté de chez nous.
Pourquoi sortir du système classique
Ce qui nous a décidés à sortir nos enfants du système « classique » pour les inscrire à l’école Arborescences, ça a d’abord été la rencontre avec la directrice qui nous a apporté un soulagement : notre fils n’a pas de « problème », nous ne sommes pas seuls dans cette situation et nous avons une solution. Notre fils, qui demandait à rester à la maison tous les matins, a tout de suite été emballé quand il a visité l’école. Ensuite, nous avons pris rendez-vous avec une neuropsychologue pour procéder à un bilan psychologique avec test de QI. Au-delà du résultat, ce test nous a permis de mieux comprendre son fonctionnement et de mettre des mots concrets sur ce que nous avions pu constater depuis tout-petit.
L’épanouissement des enfants différents
Enfin, au fil de l’année, nous avons pu voir nos enfants évoluer. Notre fils rentrait en niveau de CP. Comme il lisait déjà, il a été directement intégré aux cours de chinois. Il suit de la graphothérapie pour pouvoir progresser sur la vitesse d’écriture. Même s’il n’a pas toujours le temps de finir les exercices écrits, son enseignante a compris qu’il a besoin d’apprendre des choses plus complexes pour que cela l’intéresse, et il a fini sur du travail de niveau CE2 car « le CP c’est trop facile ». Notre fille est rentrée en moyenne section. Très réservée en petite section dans le système classique, elle s’est épanouie et a pris confiance en elle. Elle a appris à lire et a réussi à présenter son invention devant tous ses camarades : « le pansement 1 seconde ».
La pensée arborescente
La pensée « arborescente » est une sorte de superramification mentale qui n’est pas propre aux personnes à haut potentiel, mais qui est ultra-développée chez eux. Un peu comme l’imagination : tous les êtres humains en ont, mais certains bien plus que d’autres. Quel que soit le sujet auquel les personnes à haut potentiel s’intéressent, elles l’examinent sous plusieurs aspects différents. Une conséquence est par exemple que ces personnes font des retours arrière dans leurs conversations.
Des profils très variés
Le point commun des élèves de primaire à Arborescences est d’avoir été détecté à haut potentiel par un bilan psychologique (pour les élèves de maternelle le bilan n’est pas nécessaire). Au-delà de ce point commun, il y a autant de types d’élèves que dans une autre école : les élèves qui ont besoin de bouger, ceux qui ont besoin de calme, ceux qui préfèrent les nombres, ceux qui aiment mieux les lettres… Certains élèves viennent à Arborescences parce que leur comportement n’est pas accepté dans leur ancienne école, d’autres parce qu’ils s’ennuient, mais il y a aussi des « bons élèves », vous savez celui, comme moi enfant, qui attend assis sagement même quand il a fini le premier tous les exercices.
Apprendre à gérer ses émotions
En plus des matières scolaires, l’école travaille sur la gestion des émotions en s’appuyant sur des valeurs : bienveillance, respect, écoute, partage. Les enfants apprennent à comprendre ces émotions qui parfois les dépassent et les font exploser ou se sentir comme une petite souris. Avec des effectifs de 15 élèves par classe (12 en maternelle), des classes multiniveaux et du travail collaboratif, l’école permet à chacun de trouver sa place et d’apprendre à son rythme. Les enfants apprennent à se connaître : leur spécificité, leurs forces et leurs faiblesses… pour être prêts à réintégrer le collège « classique » ensuite selon le choix des parents.
Éviter les blessures scolaires
Dans le système « classique », nos enfants auraient sûrement appris ce qu’ils devaient apprendre scolairement, mais leur développement émotionnel et psychologique aurait été complètement oublié. À Arborescences, ils ont trouvé une école qui les accepte comme ils sont, qui leur permettra d’apprendre sans se mettre dans un moule trop rigide qui leur aurait laissé peut-être des cicatrices plus tard : manque de confiance en soi, difficulté à lier des amitiés, sentiment d’être différent et de ne pas être à sa place… sont autant de ressentis négatifs d’adultes à haut potentiel au sujet de leur scolarité avant le baccalauréat. Avec une pédagogie adaptée à leurs besoins, mes enfants pourront devenir j’espère de « bons élèves », pas ceux qui finissent les premiers leur exercice, mais ceux qui savent où ils veulent aller et qui avancent en ayant confiance en eux et en ceux qui les entourent.
Rencontre avec Catherine Viès, directrice de l’école Arborescences 31
Quelle est la spécificité des enfants à haut potentiel intellectuel ?
Les enfants à haut potentiel intellectuel sont des « arborescients » : leurs pensées se développent dans plusieurs directions en même temps, elles vont très vite, trop parfois, et ne cessent jamais. Ils « savent » avant même d’apprendre… Ils ont besoin sans cesse de nourrir leur esprit. Ils ont par ailleurs une sensibilité exacerbée à tous les niveaux, des émotions qui partent dans tous les sens, qu’ils ne comprennent pas et qui les dépassent souvent.
“Nous axons nos fondamentaux
autour de 4 objectifs principaux :
la créativité, l’autonomie, le vivre
ensemble et la motivation interne
qui reste primordiale”
Pourquoi avoir créé une école pour les enfants à haut potentiel intellectuel ?
La pensée en arborescence n’est pas très efficace dans le système scolaire et le système classique n’arrive pas toujours à s’adapter aux enfants à haut potentiel intellectuel. Deux élèves à haut potentiel sur trois sont en échec scolaire. Un élève sur trois redouble et un élève sur cinq arrête sa scolarité avant le bac. Le taux de suicide chez ces adolescents est trois fois supérieur à la moyenne… Comment arriver à être heureux dans un système qui ne les comprend pas ? Dans un système qu’ils ne comprennent pas ? Voilà les deux questions essentielles à prendre en compte autour d’un petit zèbre. Voilà ce que nous nous appliquons à faire coïncider à l’école Arborescences tout au long de leur scolarité.
Drôle de zèbre
L’utilisation du terme « zèbre » pour désigner les personnes à haut potentiel a été lancée au début des années 2000 par la psychologue française Jeanne Siaud-Facchin, spécialiste du surdouement. Car le zèbre est le seul équidé que l’homme ne peut apprivoiser, qui se distingue nettement des autres dans la savane tout en utilisant ses rayures pour se dissimuler. De plus chaque zèbre est différent : les rayures des zèbres sont uniques et leur permettent de se reconnaître entre eux.
Quelle pédagogie appliquez-vous à Arborescences ?
Nous nous inspirons bien sûr des pédagogies alternatives existantes comme Freinet, Steiner…, mais aussi et surtout nous élaborons notre propre pédagogie, en lien avec les études en neurosciences. Nous axons nos fondamentaux autour de 4 objectifs principaux : la créativité, l’autonomie, le vivre ensemble et la motivation interne qui reste primordiale.
Par ailleurs, nous mettons en place des méthodes uniques pour aider à l’épanouissement des élèves et à la compréhension des émotions. Nous avons édité une méthode d’apprentissage de la lecture Le Pays Lecture ainsi qu’un livre apportant des outils concrets pour le quotidien des enfants précoces Zèbr’alors.
Comment est financée l’école Arborescences ?
Les écoles du réseau Arborescences sont des écoles privées hors contrat : elles ne reçoivent aucune subvention de l’État, tout est pris en charge par les parents. Les frais de scolarité sont de 6 000 € par an. Heureusement, l’école étant une association d’intérêt général, elle peut recevoir des dons et ainsi offrir des bourses sous condition de ressources pour permettre que les frais de scolarité ne soient pas un obstacle pour les parents.
École Arborescences 31
12, avenue Léonard-de-Vinci – 31880 La Salvetat-Saint-Gilles
https://www.arborescences.org
https://www.facebook.com/arborescencestoulouse/
Contacts : Catherine Viès, directrice de l’école – 06 18 42 92 56 – arborescences31@gmail.com
Le Pays Lecture, www.lepayslecture.fr
Zèbr’alors, Catherine Viès, parution à venir mars 2020