Ensemble, pour construire la maintenance aéronautique de demain
Sujet stratégique, le maintien en condition opérationnelle des aéronefs de nos Armées a connu une profonde mutation au cours des dernières années afin de gagner en performance et en efficience. Tanguy Lestienne, ingénieur général de l’armement et directeur du SIAé, le service industriel de l’aéronautique, nous en dit plus.
Pouvez-vous nous décrire ce qu’est le maintien en condition opérationnelle aéronautique (MCO) ?
Le MCO aéronautique militaire couvre l’ensemble des actions et activités nécessaires pour maintenir en état de vol un appareil (avion ou hélicoptère). Ces opérations d’entretien et de réparation portent sur la cellule de l’avion, son moteur, et ses équipements (boîtiers électroniques, trains d’atterrissage…). Ces opérations sont menées à deux niveaux :
- Le soutien opérationnel qui couvre l’entretien courant (vérifications réalisées avant/après un vol, inspection, changement d’un équipement en panne ou d’une pièce abîmée) ;
- Le soutien industriel qui couvre des opérations plus poussées et qui sont réalisées de façon périodique ou au bout d’un certain nombre d’heures de vol (maintenance dite programmée). Pour ces opérations, l’avion ou l’hélicoptère est mis à l’arrêt total et démonté dans un atelier pour une inspection profonde et poussée. Des réparations puis des tests sont faits au fil de cette inspection, et souvent un vol d’essai confirmant le bon fonctionnement général de l’aéronef est réalisé avant sa livraison vers les Forces… Des modifications ou améliorations de l’avion ou de l’hélicoptère peuvent aussi être réalisées dans ce cadre.
Pourquoi le MCO représente-t-il un enjeu stratégique ?
Quand Madame Parly est arrivée à la tête du ministère des Armées en 2017, elle a fait le constat que sur les appareils achetés par la DGA au profit des forces, le taux de disponibilité (c’est-à-dire le nombre d’avions capables de voler tous les jours divisé par le nombre d’appareils achetés et livrés aux forces) était trop faible. Par exemple, pour le Tigre, un hélicoptère de combat de l’armée de terre, 26 %, soit 1 sur 4, volaient.
Elle a également fait le constat qu’il y avait une multiplicité d’acteurs et de contrats autour du MCO aéronautique et qu’il existait une fragilité de la gouvernance globale avec une fragmentation des responsabilités industrielles. Et même au niveau de la maîtrise d’ouvrage étatique, il existait une répartition incohérente entre la DGA et les autres entités du ministère.
Face à ces constats, une réflexion a été initiée pour que la gouvernance soit plus robuste et que le pilotage de l’ensemble des activités soit plus efficient et cohérent. Cela s’est traduit par la création, en 2018, de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) placée sous l’autorité directe du chef de l’État-Major des armées. Sa mission est d’assurer toute la maîtrise d’ouvrage de l’activité de MCO aéronautique et le pilotage des contrats de maintenance pour garantir la performance. Pour chaque type d’appareils, la DMAé a ainsi regroupé l’ensemble des contrats autour d’un industriel unique en charge de suivre la performance globale et complète de la flotte qu’il maintient (principe de verticalisation des contrats). Prenons l’exemple des avions de chasse Rafale, c’est l’industriel Dassault Aviation, qui a signé un contrat unique (appelé RAVEL) pour prendre la responsabilité complète de la gestion du MCO de ces appareils (hors moteur M88). Ce mode de fonctionnement représente un changement radical dans la manière d’appréhender le MCO. Il contribue à responsabiliser le tissu industriel, mais permet aussi aux industriels qui gagnent ces contrats de se projeter dans la durée (au moins dix ans). Grâce à cette visibilité, il peut réaliser les investissements nécessaires, et mettre en place une supply-chain solide, autour de fournisseurs pérennes, afin de remplir leur mission et d’atteindre les objectifs fixés en termes de disponibilité des appareils.
Au-delà de la démarche de verticalisation des contrats de maintenance, une organisation particulière a aussi été mise en place pour renforcer les liens de tous les acteurs industriels et étatiques qui contribuent aux opérations de maintenance d’une flotte. Des « pôles de conduite du soutien » ont ainsi été créés. Il s’agit de plateaux de travail qui regroupent les représentants de l’ensemble des entités qui vont collaborer sur la maintenance d’un type d’appareil et qui partagent un objectif unique : maximiser la disponibilité des appareils, mais aussi le nombre de vols et de missions réalisés. Au sein de ce plateau, pour le Rafale par exemple, on va retrouver bien évidemment la DMAé, en qualité de maîtrise d’ouvrage ; les Forces (armée de l’air et de l’espace et marine) qui opèrent les Rafale, mais aussi le SIAé, qui participe à un certain nombre d’activités sur cet appareil et Dassault qui doit piloter toutes ces activités de manière à ce que les Rafale soient toujours disponibles au niveau des bases aériennes ou aéronavales.
Ces changements ont eu un impact appréciable en termes de gain et de disponibilité des appareils.
Dans ce cadre, quel est le positionnement du SIAé ?
Le SIAé est une entité très particulière au niveau de l’État car positionnée sur une activité industrielle. En effet, le ministère des Armées considère comme indispensable de conserver une certaine souveraineté sur l’activité de maintien en condition opérationnelle et sur les compétences industrielles nécessaires à ces opérations. Car le MCO est un sujet stratégique, garant de la capacité de nos appareils à pouvoir voler et donc de mener à bien des missions. La résilience de l’État autour de sa composante aéronautique est en jeu. En adéquation avec ces perspectives stratégiques, le SIAé regroupe aujourd’hui 4 700 personnes réparties dans cinq établissements principaux : les « Ateliers Industriels de l’Aéronautique » ou encore « AIA » situés à Clermont-Ferrand (avec des antennes à Toul et Phalsbourg), à Bordeaux (dont le site de Croix d’Hins et une antenne sur la BA 123 à Orléans mais aussi des détachements permanents sur d’autres bases aériennes), à Cuers-Pierrefeu (et son antenne d’Hyères), en Bretagne (Lann-Bihoué, Lanvéoc-Poulmic et Landivisiau) et à Ambérieu-en-Bugey. Le SIAé représente près de 20% de l’activité de soutien industriel des appareils français. Nous intervenons plus particulièrement sur les appareils fortement militarisés et complexes : Rafale, Mirage 2000, A400M, C130, Tigre, NH90, Dauphin-Panther, Atlantique 2 ou encore Hawkeye ainsi que sur les moteurs de nombreux aéronefs. Nous intervenons sur la maintenance de ces appareils, dès leur livraison jusqu’à leur retrait de service. Nous accompagnons aussi la montée en puissance des nouvelles machines.
Le SIAé est donc un acteur de la transformation, titulaire de contrats globaux, expert industriel et étatique. Quelles sont vos missions ? Et comment conciliez-vous ces deux aspects, au premier abord antinomiques ?
Le SIAé se positionne sur la partie industrielle de la maintenance aéronautique avec des capacités de réparation et de conception. Pendant les phases d’entretiens lourds, nous pouvons ainsi procéder à des modifications sur les avions pour apporter de nouvelles capacités. Nous sommes en mesure de concevoir ces capacités, de les industrialiser et de les intégrer aux avions que nous réparons et maintenons. Ces deux dimensions sont reliées. Réalisées de manière coordonnées, elles permettent un gain de temps et d’efficacité.
À travers notre expertise et notre savoir-faire, nous pouvons réaliser des missions d’assistance à la maîtrise d’ouvrage au profit de la DMAé. Nous avons aussi une véritable valeur ajoutée au niveau de la négociation des contrats sur la base d’un appel d’offre et pouvons apporter une expertise sur des éléments que nous connaissons et que nous sommes en mesure de chiffrer. Notre statut en compte de commerce, particulier au sein de l’État, nous garantit l’autonomie, la souplesse et la réactivité indispensable à une activité industrielle performante et compétitive.
En parallèle, pour accompagner les évolutions connues par le MCO aéronautique, le SIAé se transforme en interne. Comment cela se traduit-il ?
Dans ce cadre, nous nous concentrons sur plusieurs axes :
- Accompagner la transformation en pilotant des contrats verticalisés, en participant activement aux pôles de conduite de soutien et en créant des synergies entre le niveau opérationnel et industriel ;
- Améliorer la performance industrielle au travers de la mise en place de plans de transformation ciblés comme sur le volet numérique, autour de la professionnalisation de la supply chain, ou de l’optimisation des activités de navigabilité… ;
- Unifier les ateliers en alignant processus de soutien, financiers, RH, supply chain, et de production, mais en aussi en faisant collaborer toutes les parties prenantes.