Ensemble, pour construire la maintenance aéronautique de demain

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°769 Novembre 2021
Par Tanguy LESTIENNE

Sujet stra­té­gique, le main­tien en condi­tion opé­ra­tion­nelle des aéro­nefs de nos Armées a connu une pro­fonde muta­tion au cours des der­nières années afin de gagner en per­for­mance et en effi­cience. Tan­guy Les­tienne, ingé­nieur géné­ral de l’armement et direc­teur du SIAé, le ser­vice indus­triel de l’aéronautique, nous en dit plus.

Pouvez-vous nous décrire ce qu’est le maintien en condition opérationnelle aéronautique (MCO) ? 

Le MCO aéro­nau­tique mili­taire couvre l’ensemble des actions et acti­vi­tés néces­saires pour main­te­nir en état de vol un appa­reil (avion ou héli­co­ptère). Ces opé­ra­tions d’entretien et de répa­ra­tion portent sur la cel­lule de l’avion, son moteur, et ses équi­pe­ments (boî­tiers élec­tro­niques, trains d’atterrissage…). Ces opé­ra­tions sont menées à deux niveaux : 

  • Le sou­tien opé­ra­tion­nel qui couvre l’entretien cou­rant (véri­fi­ca­tions réa­li­sées avant/après un vol, ins­pec­tion, chan­ge­ment d’un équi­pe­ment en panne ou d’une pièce abîmée) ;
  • Le sou­tien indus­triel qui couvre des opé­ra­tions plus pous­sées et qui sont réa­li­sées de façon pério­dique ou au bout d’un cer­tain nombre d’heures de vol (main­te­nance dite pro­gram­mée). Pour ces opé­ra­tions, l’avion ou l’hélicoptère est mis à l’arrêt total et démon­té dans un ate­lier pour une ins­pec­tion pro­fonde et pous­sée. Des répa­ra­tions puis des tests sont faits au fil de cette ins­pec­tion, et sou­vent un vol d’essai confir­mant le bon fonc­tion­ne­ment géné­ral de l’aéronef est réa­li­sé avant sa livrai­son vers les Forces… Des modi­fi­ca­tions ou amé­lio­ra­tions de l’avion ou de l’hélicoptère peuvent aus­si être réa­li­sées dans ce cadre. 

Pourquoi le MCO représente-t-il un enjeu stratégique ? 

Quand Madame Par­ly est arri­vée à la tête du minis­tère des Armées en 2017, elle a fait le constat que sur les appa­reils ache­tés par la DGA au pro­fit des forces, le taux de dis­po­ni­bi­li­té (c’est-à-dire le nombre d’avions capables de voler tous les jours divi­sé par le nombre d’appareils ache­tés et livrés aux forces) était trop faible. Par exemple, pour le Tigre, un héli­co­ptère de com­bat de l’armée de terre, 26 %, soit 1 sur 4, volaient. 

Elle a éga­le­ment fait le constat qu’il y avait une mul­ti­pli­ci­té d’acteurs et de contrats autour du MCO aéro­nau­tique et qu’il exis­tait une fra­gi­li­té de la gou­ver­nance glo­bale avec une frag­men­ta­tion des res­pon­sa­bi­li­tés indus­trielles. Et même au niveau de la maî­trise d’ouvrage éta­tique, il exis­tait une répar­ti­tion inco­hé­rente entre la DGA et les autres enti­tés du ministère. 

Face à ces constats, une réflexion a été ini­tiée pour que la gou­ver­nance soit plus robuste et que le pilo­tage de l’ensemble des acti­vi­tés soit plus effi­cient et cohé­rent. Cela s’est tra­duit par la créa­tion, en 2018, de la direc­tion de la main­te­nance aéro­nau­tique (DMAé) pla­cée sous l’autorité directe du chef de l’État-Major des armées. Sa mis­sion est d’assurer toute la maî­trise d’ouvrage de l’activité de MCO aéro­nau­tique et le pilo­tage des contrats de main­te­nance pour garan­tir la per­for­mance. Pour chaque type d’appareils, la DMAé a ain­si regrou­pé l’ensemble des contrats autour d’un indus­triel unique en charge de suivre la per­for­mance glo­bale et com­plète de la flotte qu’il main­tient (prin­cipe de ver­ti­ca­li­sa­tion des contrats). Pre­nons l’exemple des avions de chasse Rafale, c’est l’industriel Das­sault Avia­tion, qui a signé un contrat unique (appe­lé RAVEL) pour prendre la res­pon­sa­bi­li­té com­plète de la ges­tion du MCO de ces appa­reils (hors moteur M88). Ce mode de fonc­tion­ne­ment repré­sente un chan­ge­ment radi­cal dans la manière d’appréhender le MCO. Il contri­bue à res­pon­sa­bi­li­ser le tis­su indus­triel, mais per­met aus­si aux indus­triels qui gagnent ces contrats de se pro­je­ter dans la durée (au moins dix ans). Grâce à cette visi­bi­li­té, il peut réa­li­ser les inves­tis­se­ments néces­saires, et mettre en place une sup­ply-chain solide, autour de four­nis­seurs pérennes, afin de rem­plir leur mis­sion et d’atteindre les objec­tifs fixés en termes de dis­po­ni­bi­li­té des appareils. 

Au-delà de la démarche de ver­ti­ca­li­sa­tion des contrats de main­te­nance, une orga­ni­sa­tion par­ti­cu­lière a aus­si été mise en place pour ren­for­cer les liens de tous les acteurs indus­triels et éta­tiques qui contri­buent aux opé­ra­tions de main­te­nance d’une flotte. Des « pôles de conduite du sou­tien » ont ain­si été créés. Il s’agit de pla­teaux de tra­vail qui regroupent les repré­sen­tants de l’ensemble des enti­tés qui vont col­la­bo­rer sur la main­te­nance d’un type d’appareil et qui par­tagent un objec­tif unique : maxi­mi­ser la dis­po­ni­bi­li­té des appa­reils, mais aus­si le nombre de vols et de mis­sions réa­li­sés. Au sein de ce pla­teau, pour le Rafale par exemple, on va retrou­ver bien évi­dem­ment la DMAé, en qua­li­té de maî­trise d’ouvrage ; les Forces (armée de l’air et de l’espace et marine) qui opèrent les Rafale, mais aus­si le SIAé, qui par­ti­cipe à un cer­tain nombre d’activités sur cet appa­reil et Das­sault qui doit pilo­ter toutes ces acti­vi­tés de manière à ce que les Rafale soient tou­jours dis­po­nibles au niveau des bases aériennes ou aéronavales.

Ces chan­ge­ments ont eu un impact appré­ciable en termes de gain et de dis­po­ni­bi­li­té des appa­reils. 

Dans ce cadre, quel est le positionnement du SIAé ?

Le SIAé est une enti­té très par­ti­cu­lière au niveau de l’État car posi­tion­née sur une acti­vi­té indus­trielle. En effet, le minis­tère des Armées consi­dère comme indis­pen­sable de conser­ver une cer­taine sou­ve­rai­ne­té sur l’activité de main­tien en condi­tion opé­ra­tion­nelle et sur les com­pé­tences indus­trielles néces­saires à ces opé­ra­tions. Car le MCO est un sujet stra­té­gique, garant de la capa­ci­té de nos appa­reils à pou­voir voler et donc de mener à bien des mis­sions. La rési­lience de l’État autour de sa com­po­sante aéro­nau­tique est en jeu. En adé­qua­tion avec ces pers­pec­tives stra­té­giques, le SIAé regroupe aujourd’hui 4 700 per­sonnes répar­ties dans cinq éta­blis­se­ments prin­ci­paux : les « Ate­liers Indus­triels de l’Aéronautique » ou encore « AIA » situés à Cler­mont-Fer­rand (avec des antennes à Toul et Phals­bourg), à Bor­deaux (dont le site de Croix d’Hins et une antenne sur la BA 123 à Orléans mais aus­si des déta­che­ments per­ma­nents sur d’autres bases aériennes), à Cuers-Pier­re­feu (et son antenne d’Hyères), en Bre­tagne (Lann-Bihoué, Lan­véoc-Poul­mic et Lan­di­vi­siau) et à Ambé­rieu-en-Bugey. Le SIAé repré­sente près de 20% de l’activité de sou­tien indus­triel des appa­reils fran­çais. Nous inter­ve­nons plus par­ti­cu­liè­re­ment sur les appa­reils for­te­ment mili­ta­ri­sés et com­plexes : Rafale, Mirage 2000, A400M, C130, Tigre, NH90, Dau­phin-Pan­ther, Atlan­tique 2 ou encore Haw­keye ain­si que sur les moteurs de nom­breux aéro­nefs. Nous inter­ve­nons sur la main­te­nance de ces appa­reils, dès leur livrai­son jusqu’à leur retrait de ser­vice. Nous accom­pa­gnons aus­si la mon­tée en puis­sance des nou­velles machines. 

Le SIAé est donc un acteur de la transformation, titulaire de contrats globaux, expert industriel et étatique. Quelles sont vos missions ? Et comment conciliez-vous ces deux aspects, au premier abord antinomiques ?

Le SIAé se posi­tionne sur la par­tie indus­trielle de la main­te­nance aéro­nau­tique avec des capa­ci­tés de répa­ra­tion et de concep­tion. Pen­dant les phases d’entretiens lourds, nous pou­vons ain­si pro­cé­der à des modi­fi­ca­tions sur les avions pour appor­ter de nou­velles capa­ci­tés. Nous sommes en mesure de conce­voir ces capa­ci­tés, de les indus­tria­li­ser et de les inté­grer aux avions que nous répa­rons et main­te­nons. Ces deux dimen­sions sont reliées. Réa­li­sées de manière coor­don­nées, elles per­mettent un gain de temps et d’efficacité.

À tra­vers notre exper­tise et notre savoir-faire, nous pou­vons réa­li­ser des mis­sions d’assistance à la maî­trise d’ouvrage au pro­fit de la DMAé. Nous avons aus­si une véri­table valeur ajou­tée au niveau de la négo­cia­tion des contrats sur la base d’un appel d’offre et pou­vons appor­ter une exper­tise sur des élé­ments que nous connais­sons et que nous sommes en mesure de chif­frer. Notre sta­tut en compte de com­merce, par­ti­cu­lier au sein de l’État, nous garan­tit l’autonomie, la sou­plesse et la réac­ti­vi­té indis­pen­sable à une acti­vi­té indus­trielle per­for­mante et compétitive.

En parallèle, pour accompagner les évolutions connues par le MCO aéronautique, le SIAé se transforme en interne. Comment cela se traduit-il ?

Dans ce cadre, nous nous concen­trons sur plu­sieurs axes : 

  • Accom­pa­gner la trans­for­ma­tion en pilo­tant des contrats ver­ti­ca­li­sés, en par­ti­ci­pant acti­ve­ment aux pôles de conduite de sou­tien et en créant des syner­gies entre le niveau opé­ra­tion­nel et industriel ;
  • Amé­lio­rer la per­for­mance indus­trielle au tra­vers de la mise en place de plans de trans­for­ma­tion ciblés comme sur le volet numé­rique, autour de la pro­fes­sion­na­li­sa­tion de la sup­ply chain, ou de l’optimisation des acti­vi­tés de navigabilité… ;
  • Uni­fier les ate­liers en ali­gnant pro­ces­sus de sou­tien, finan­ciers, RH, sup­ply chain, et de pro­duc­tion, mais en aus­si en fai­sant col­la­bo­rer toutes les par­ties prenantes. 

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