Entretien avec Isabelle MÉJEAN, professeur associé d’économie à l’X
Isabelle vient de recevoir le prix MALINVAUD (qui récompense le meilleur article scientifique d’économie publié par un jeune économiste). Elle explique que les chocs de type microéconomique sont plus importants que prévus dans les fluctuations du PIB.
Vous venez de recevoir le prix Malinvaud. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ce prix est prestigieux. Il y a la personnalité de Malinvaud, qui reste une figure centrale dans le monde de l’économie, bien sûr dans le monde de la statistique publique à l’INSEE et à l’ENSAE, mais aussi ici à l’X.
“ Les chocs de type microéconomique expliquent 50 % des fluctuations du PIB ”
Il y a aussi les lauréats précédents de ce prix qui sont le plus souvent des chercheurs qui enseignent à Harvard, au MIT, etc. C’est donc plutôt flatteur de se voir reconnue parmi ces gens-là.
Enfin, ce prix récompense non pas un chercheur en général, mais plus précisément un article de recherche. C’est donc aussi une reconnaissance et une caution apportées à mes recherches et aux thèses que je défends.
Plus précisément, de quoi s’agit-il ?
Je travaille dans le domaine de la macroéconomie appliquée (je suis du reste en cela bien dans la ligne des travaux de Malinvaud). Dans mes travaux, j’utilise des données sur les entreprises françaises, en l’occurrence les données de liasses fiscales, pour comprendre les dynamiques macroéconomiques.
LE PRIX MALINVAUD
Le prix Edmond Malinvaud a été créé en 2010 par l’Association française de science économique pour récompenser le meilleur article scientifique d’économie publié par un jeune économiste de moins de 40 ans.
Ce prix est doté d’une récompense de 3 000 €. Il est remis par le président de l’AFSE lors du Congrès de l’association.
Je m’appuie fortement sur l’économétrie, ce qui me rapproche à nouveau de Malinvaud. L’article primé cherche à établir dans quelle mesure les fluctuations du PIB français trouvent leurs origines dans des chocs microéconomiques, spécifiques à certaines entreprises.
En macroéconomie, on explique généralement les cycles agrégés par des perturbations de type macroéconomique, qui affectent l’ensemble du tissu productif, par exemple un choc sur le prix du pétrole ou une modification de la politique monétaire.
Cette approche est justifiée par un argument basé sur la loi des grands nombres : dans la mesure où l’économie d’un pays comme la France est constituée de plusieurs millions d’entreprises, les chocs affectant les entreprises individuelles devraient se compenser et n’avoir qu’un impact négligeable sur la croissance du PIB agrégé.
Dans notre article, nous montrons que cet argument est en partie invalidé par les données. Nous estimons que les chocs de type microéconomique expliquent environ 50 % des fluctuations du PIB agrégé, le reste étant lié à des perturbations sectorielles ou agrégées. La raison pour laquelle les chocs individuels gardent une influence non négligeable au niveau agrégé est liée à la structure même de l’économie française.
En particulier, l’existence de très grandes entreprises, dont l’impact sur la moyenne est substantiel, et les liens entre entreprises, qui facilitent la transmission des chocs microéconomiques, contribuent à amplifier l’effet agrégé des chocs individuels.
Un tel résultat a des conséquences importantes sur la manière dont on comprend les fluctuations agrégées. Les modélisations standard, entièrement basées sur des perturbations de type macroéconomique, ne peuvent espérer expliquer plus de 50 % de la volatilité agrégée.
Comprendre les évolutions cycliques nécessite aussi de s’intéresser à ce qui se passe au niveau microéconomique. La microéconométrie appliquée aux données individuelles peut permettre de comprendre les évolutions agrégées.
Quelle évolution des études économiques depuis Malinvaud et la génération d’après-guerre ?
Les économistes aujourd’hui ont beaucoup plus recours aux données et aux approches empiriques. La mode n’est plus aux théories abstraites d’apparence mathématique (en fait, les mathématiques utilisées dans ces théories étaient bien souvent très rudimentaires).
Donc, priorité aux données et aux approches expérimentales : les mécanismes théoriques sont systématiquement testés au moyen de protocoles expérimentaux justifiés et reproductibles.
Ce changement a beaucoup crédibilisé la discipline, en lui conférant une vraie légitimité scientifique.
Et ces études ont une actualité concrète dans la situation d’aujourd’hui ?
Oui. De tels résultats ont des conséquences importantes en termes de conduite de la politique économique. La politique industrielle, par exemple, ne peut plus se contenter d’orienter l’argent public vers certains secteurs de l’économie.
“ Priorité aux données et aux approches expérimentales ”
Les aides ponctuelles doivent être dirigées vers des catégories d’entreprises qui « contribuent » à l’agrégé. Par exemple, le soutien aux constructeurs d’automobiles lors de la crise de 2008–2009 a pu avoir des effets multiplicateurs en bénéficiant au reste de la filière automobile et métallurgique.
À l’inverse, encourager le développement à long terme de PME peut permettre de rendre l’économie moins « granulaire », c’est-à-dire moins sensible aux chocs affectant ses champions nationaux.
Et l’économie à l’X aujourd’hui ?
C’est une matière forte, avec un enseignement obligatoire en première année, et des options ouvertes en deuxième et troisième années. Nous insistons beaucoup sur les approches empiriques plutôt que sur les théories.
En deuxième année, les élèves peuvent choisir de réaliser leur projet scientifique collectif au sein du département d’économie. Par exemple, l’an dernier, un groupe de PSC a étudié le système de pricing pour une application d’optimisation des recherches de places de parking dans Paris.
Un autre a travaillé sur les règles de votes au sein du conseil d’administration de l’École. De tels projets montrent comment la modélisation économique, combinée à une approche économétrique, peut permettre de résoudre des questions complexes concrètes.
En ce qui concerne nos activités de recherche, nous sommes en cours de rapprochement avec l’ENSAE qui s’installe sur le plateau : nous avons déjà fusionné nos laboratoires pour créer une unité de recherche mixte CNRS sous la double tutelle X et ENSAE.
Cette fusion doit nous permettre d’atteindre la taille critique nécessaire à une meilleure visibilité internationale.
Nouveau bâtiment de l’ENSAE à Palaiseau.