Épargne-retraite : avons-nous le choix ?
La finalité de l’épargne-retraite
La tendance à la baisse des rendements de la retraite par répartition, tendance identifiée par le Livre blanc de 1991, est maintenant admise. Toutes les projections publiques ou privées constatent cette tendance, qui concerne tous les régimes de répartition.
En premier lieu, les taux de remplacement, c’est-à-dire le rapport entre le montant de la retraite à sa liquidation et le dernier salaire, vont baisser fortement ; le tableau ci-après en donne un aperçu synthétique pour quatre catégories de salariés du secteur privé.
La baisse du taux de remplacement sera bien entendu d’autant plus faible que le salaire est élevé. Ainsi le cadre supérieur âgé actuellement de 45 ans aura à son départ à 65 ans un taux de remplacement de 42 %, au lieu de 51 % pour son alter ego partant actuellement à la retraite, soit une baisse de pouvoir d’achat de 18 %. Celui âgé de 25 ans, partant à la retraite en 2036, aura un pouvoir d’achat réduit de 27 %. Le taux de remplacement le plus menacé sera celui des cadres ayant une carrière fortement progressive.
Les problèmes de financement de la répartition devenant de plus en plus aigus, les retraites de cadres supérieurs seront normalement les moins soutenues dans les arbitrages des années à venir pour chercher à limiter l’évolution à la baisse des pensions.
(Source : Cardif)
En second lieu, les pensions en service continueront à se dégrader au cours de la vie du retraité, en termes de pouvoir d’achat, du fait de la baisse attendue de la valeur de service des points de retraite par rapport à l’inflation. Cette baisse intervient déjà discrètement. C’est ainsi que les pensions d’un cadre moyen parti à la retraite en 1990 avaient subi en juillet 1997 une baisse de pouvoir d’achat de 6,4 %.
Le tableau ci-dessous donne des projections de cette dégradation de pouvoir d’achat pour un cadre supérieur partant à la retraite avec un salaire de fin de carrière de 800 000 F.
Départ à la retraite à 65 ans en |
Taux de remplacement | ||
au départ | à 75 ans (+ 10 ans) |
à 85 ans (+ 20 ans) |
|
1996 2006 2016 2026 |
51% 48% 42% 40% |
46% (-10%) 43% (-10%) 40% (-5%) 38% (-5 %) |
42% (-18%) 41% (-15%) 39% (-7%) 37% (-8%) |
(Source : Cardif) |
Ces taux de remplacement sont « bruts » (avant prélèvements sociaux). Il faut aussi s’attendre à ce que les prélèvements actuels sur les pensions soient progressivement augmentés, les retraités étant notamment les plus importants consommateurs des prestations de santé. D’autres facteurs pourront intervenir, comme la réduction progressive de l’abattement fiscal spécifique de 10 % sur les pensions, dont le plafonnement baisse périodiquement.
La sortie en rente viagère
La collectivité aura à faire des efforts très importants de soutien aux régimes de retraite par répartition. Les réformes passées et futures ont utilisé et utiliseront un ensemble de moyens à caractère contraignant : augmentation des taux d’appel de cotisation, sans création de points nouveaux correspondants ; modifications des modes de calcul permettant d’ajuster à la baisse les prestations ; suspension ou réduction des taux de revalorisation…
Le relèvement général des taux de cotisations serait en revanche difficile à utiliser. Il est admis que de nouvelles augmentations générales, successives et obligatoires des taux de cotisations ne pourraient être envisagées, tout au moins à hauteur de l’objectif de consolidation des taux de remplacement passés, tant est forte l’aversion à une augmentation des prélèvements obligatoires.
Ces mesures à caractère obligatoire ne pouvant suffire, l’intérêt de la collectivité est d’encourager les salariés à être prévoyants en transformant volontairement une partie de leur capacité d’épargne en revenus complémentaires de retraite.
L’objectif de l’épargne-retraite est ainsi de pouvoir constituer des revenus récurrents complémentaires, pour les retraités et pour leurs conjoints survivants, tout au long de leur vie, dont la durée continuera à s’allonger. Il ne s’agit pas d’un besoin d’épargne liquide sortant en capital, qui est déjà satisfait par le nombre élevé de produits diversifiés déjà disponibles. Tous les salariés sont en quelque sorte condamnés à cet effort de transformation de leur épargne vers le long terme.
Pour constituer ces revenus récurrents, les rentes sont le seul instrument approprié, du fait de leur pérennité viagère et de la garantie de capital et de revalorisation donnée sur très longue période, y compris pendant les années où le bénéficiaire ou son conjoint survivant pourrait avoir perdu ses moyens de gestion d’épargne (sinon être en état de dépendance).
L’aliénation du capital qui caractérise les rentes viagères permet en particulier d’utiliser efficacement les nouvelles obligations du Trésor indexées sur l’inflation mais surtout des emplois importants en actions. Il serait possible, du fait de la duration très longue de l’épargne-retraite, d’en augmenter substantiellement le rendement par l’emploi des actions. Les investissements considérables en actions accumulés par les fonds de pension américains montrent clairement le chemin.
Le niveau de l’effort d’épargne-retraite
Pour compenser la baisse de rendement des retraites par répartition, l’effort optimum d’épargne devrait être de l’ordre de 6 % du revenu des ménages salariaux, quelles que soient les catégories professionnelles.
Cet effort est-il compatible avec la capacité d’épargne des ménages ? Le taux d’épargne financière, c’est-à-dire la part du revenu disponible brut des ménages employée par ceux-ci pour leur accumulation financière, a été de 8,1 % en 1995, de 6,7 % en 1996, de 10,1 % en 1997 (représentant un flux de plus de 400 milliards de francs).
Les ménages salariaux ont ainsi une large capacité d’orienter à leur convenance une partie de leur épargne liquide vers une épargne-retraite longue.
Le soutien de l’État : une ardente obligation
Cependant, cet effort de constitution d’un revenu récurrent différé, sous forme de rente viagère, vient en concurrence avec les autres produits d’épargne, tous plus ou moins rapidement liquides. La renonciation à la liquidité suppose une contrepartie apportée par la collectivité. L’encouragement le plus efficace passe par un avantage fiscal et social sur les versements, c’est-à-dire au moment de l’effort d’épargne. Il s’agit pour la collectivité d’un différé de recettes, les prestations servies étant ensuite imposées et taxées normalement comme des pensions. Le système existe déjà pour de nombreuses professions : fonctionnaires et assimilés, professions libérales, commerçants, artisans, exploitants agricoles (cf. la récente loi du 18 novembre 1997), sauf pour les salariés du secteur privé…
Ce soutien est aussi souhaitable à terme pour la collectivité. Faute d’épargne-retraite, il est prévisible que les retraités, pour maintenir un niveau satisfaisant de consommation, devraient non seulement cesser d’épargner mais aussi déstocker de façon significative leur épargne constituée. Cette épargne déstockée ne pourra être reprise par les salariés, faute pour eux aussi de capacité suffisante à épargner. La mise en place rapide de l’épargne-retraite devrait ainsi contribuer à réduire d’autant l’effet récessionniste qui devrait résulter de la baisse générale de la capacité à épargner.
Pour sa part, l’entreprise, lieu de légitimité reconnu des salariés pour la constitution de leurs revenus différés de retraite, a le devoir moral d’encourager par un abondement un tel effort d’épargne sur le long terme.
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La retraite des salariés se définit comme un ensemble de flux de revenus viagers : aux revenus réguliers des salaires pendant la vie active se substituent, au départ à la retraite, des revenus de remplacement, les pensions, pendant toute la durée de vie du retraité et de son conjoint (réversion). L’épargne-retraite a comme finalité de limiter la baisse attendue du rendement des pensions. Sa problématique n’est pas celle de la gestion de l’épargne liquide ou d’éléments du patrimoine, mais de la constitution de revenus complémentaires récurrents.