Épidémiologie environnementale
Il existe différents types d’études épidémiologiques. L’approche « cas-témoins » consiste à recruter séparément un groupe de sujets atteints de la pathologie d’intérêt et un groupe de sujets indemnes, avec une reconstitution rétrospective des expositions. Elle est limitée quand il s’agit d’étudier l’effet de facteurs de risque dont les niveaux varient rapidement dans le temps (moins dans le cas de polluants persistant dans l’organisme).
Mais toutes les études cas-témoins ne sont pas rétrospectives ; certaines sont nichées dans des cohortes, ce qui leur permet de s’appuyer sur des prélèvements biologiques réalisés avant la survenue de la maladie, dans la fenêtre temporelle biologiquement pertinente, pour caractériser l’exposition.
L’autre principal type d’étude épidémiologique – le plus fréquemment utilisé pour les facteurs environnementaux – est celui de cohorte prospective. Les principaux résultats de l’épidémiologie environnementale s’appuient sur cette approche, parfois après qu’un effet a été suggéré par des études cas-témoins, plus légères à implémenter.
Définitions
L’épidémiologie environnementale caractérise l’effet des facteurs environnementaux sur la santé humaine. Elle identifie les approches permettant de limiter cet effet. Les facteurs environnementaux sont l’ensemble des facteurs exogènes aux êtres humains, incluant les expositions professionnelles ou le tabagisme en plus des contaminants de l’air, de l’eau de boisson, de l’alimentation, les effets indésirables des produits de soin ou de santé, les facteurs sociaux, etc.
Les biomarqueurs d’exposition
L’épidémiologiste s’appuie sur une très large palette d’outils pour caractériser les expositions environnementales. Celle-ci va de données sur les sources des contaminations environnementales à des mesures ou modèles environnementaux (dispersion des polluants atmosphériques) et à des mesures personnelles d’exposition (dosimètres) ou de dose interne par des « biomarqueurs d’exposition ».
Chromatographie et spectrométrie permettent de doser des contaminants environnementaux
Le développement des méthodes de chromatographie et spectrométrie permet maintenant de doser des contaminants environnementaux (pesticides, métaux, perturbateurs endocriniens, etc.), ou leurs métabolites dans le sang ou les urines, à des coûts et avec des niveaux de sensibilité toujours plus bas.
L’erreur de mesure
Toute mesure est entachée d’erreur, mais toute erreur dans la caractérisation de l’exposition des sujets n’invalide pas l’estimation de la relation dose-effet.
Téléphones portables
Dans l’étude Interphone sur les effets de l’utilisation des téléphones portables, la problématique de l’erreur de mesure sur l’exposition a été anticipée. Plusieurs sous-études sur les biais potentiels ont été planifiées, incluant la validation des réponses au questionnaire à l’aide de données d’opérateurs téléphoniques et de téléphones modifiés, montrant une corrélation variant de 0,5 à 0,8 selon les pays (et non de 0,18 ou 0,34 comme rapporté) ; un questionnaire sur les non-répondants pour évaluer la représentativité des participants ; la vérification de la latéralité d’utilisation des téléphones, et la planification de nombreuses analyses de sensibilité et d’études simulant l’impact des biais sur les résultats.
L’impact de l’erreur de mesure sur la relation dose-effet estimée dépend de la structure de l’erreur de mesure (notamment de sa relation avec l’exposition réelle) et de l’effectif de l’étude. Un arbitrage entre « biais » et « précision » doit se faire. Schématiquement, soit on opte pour une mesure imparfaite de l’exposition, mais qui peut être mise en oeuvre pour un nombre important de sujets (précision importante du fait de l’effectif, mais potentiellement biaisée), soit pour une mesure plus exacte, mais généralement plus lourde logistiquement et qui impliquera de recruter un nombre plus faible de sujets (variabilité plus importante, mais biais plus faible).
Devant l’utilisation, pour des raisons éthiques ou logistiques, d’approches imparfaites pour caractériser les expositions environnementales, le recours à des outils statistiques pour quantifier et corriger l’impact de l’erreur de mesure sur la relation dose-effet est une option centrale. Quand ils sont mis en oeuvre, ces outils suggèrent que l’erreur de mesure peut entraîner, en plus d’une sous-estimation de l’incertitude autour de la relation dose-effet, une erreur dans l’effet estimé de l’exposition (relation dose-réponse, qui est souvent sous-estimée, mais peut aussi être surestimée).
Méthodologie statistique
La tendance à communiquer trop tôt a été amplifiée par des précédents
La littérature épidémiologique peut sembler semée d’études contradictoires à qui ignore l’interprétation des tests d’hypothèses : dans la mesure où ces tests ne permettent, avec un certain risque d’erreur, que de rejeter l’hypothèse nulle (en général celle d’absence d’effet de l’exposition), le fait que deux études observent successivement une association statistiquement significative puis une autre non significative n’a rien de contradictoire. La première tend à faire rejeter l’hypothèse d’une absence d’effet de l’exposition, la seconde ne permet pas de rejeter cette hypothèse, mais ne valide pas pour autant l’hypothèse contraire. Même pour un facteur environnemental ayant réellement un effet, on s’attend à ce qu’une proportion non négligeable d’études n’observe pas d’association statistiquement significative, proportion d’autant plus élevée que les études seront de faible taille.
Quelques résultats
• Identification de l’eau de boisson comme mode de transmission du choléra (John Snow, Londres, vers 1850).
• Impact du tabac sur la survenue du cancer du poumon (Richard Doll et Bradford Hill, vers 1950).
• Pollution atmosphérique à forte dose et mortalité (années 1950–1970).
• Pollution atmosphérique à faible dose et mortalité et morbidité cardiorespiratoire (apport des séries temporelles, à partir des années 1980–1990).
• Aflatoxine (mycotoxine présente dans les céréales) et cancer du foie.
• PCB et neurodéveloppement (catastrophes de Yusho et Yu-Cheng au Japon et à Taïwan).
• Plomb et neurodéveloppement infantile.
• Iode et prévention du goitre.
• Facteurs de risque de mort inattendue du nourrisson.
• Rayonnements ionisants et cancer (survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, patients traités par radiothérapie, cohortes de mineurs et de travailleurs, cancer de la thyroïde après l’accident de Tchernobyl).
• Radon et cancer du poumon.
Risques et communication
La communication et l’expertise en santé environnementale sont souvent réalisées par des acteurs n’ayant pas produit le travail scientifique. Il serait injuste de rendre les épidémiologistes responsables des erreurs et simplifications pouvant survenir, et qui sont parfois des conséquences de caractéristiques du monde des médias ou de notre société. De même, on ne peut blâmer les cliniciens ou biologistes plus fondamentaux de l’existence dans la presse de titres sur « le vaccin contre le cancer ». Ce serait d’autant moins justifié que la tendance des médias à communiquer trop tôt sur certains résultats a probablement été amplifiée dans ce domaine de la santé environnementale par des précédents lors desquels les industriels (du tabac, de l’amiante) ont durablement retardé la diffusion de connaissances scientifiques et « produit l’incertitude », entraînant un coût sanitaire et économique majeur.
Un effort concerté
La caractérisation de l’impact des facteurs environnementaux sur la santé humaine requiert l’effort concerté de plusieurs disciplines complémentaires dans leurs approches et leurs limites, et en premier lieu la toxicologie et l’épidémiologie. Si les moyens humains et financiers et le temps leur sont donnés, elles sauront, à l’aide d’outils en permanente évolution, relever ce défi de façon ouverte et rigoureuse.
Les auteurs remercient Sylvaine Cordier (Inserm- IRSET, Rennes), Élisabeth Cardis (responsable du groupe Rayonnements au CREAL, Centre for research in environmental epidemiology, Barcelone) pour leurs commentaires sur ce texte.