Esprit d’entreprise et innovation en Israël
Comme beaucoup d’autres petits pays, Israël a dû bâtir une politique scientifique et technologique pour assurer sa compétitivité. Dans le domaine scientifique, il a encouragé la création de centres d’excellence dans un grand nombre de disciplines. Dans le domaine technologique, il a atteint de très hauts niveaux en concentrant ses efforts sur un nombre limité de secteurs, comme les biotechnologies, les télécommunications ou l’informatique. L’effort de recherche israélien, en pourcentage du PIB, est l’un des plus élevés au monde.
REPÈRES
Israël était classé en 2008 comme le 9e pays le plus innovant au monde et il devrait remporter la 8e place d’ici 2013. Bien que la crise actuelle a un impact sur l’innovation dans le monde, des données récentes montrent que l’innovation israélienne continue d’être stimulée par un flux continu d’investissements étrangers directs, qui ont atteint un quasi-record de plus de 10 milliards de dollars en 2008. Le marché israélien continue également d’être une destination très favorable pour des entreprises parmi les plus performantes du monde. Rien qu’en juin dernier, selon la presse israélienne, le pays a reçu la visite de présidents ou de hauts responsables, entre autres, de Hewlett Packard, Oracle, Dell et Microsoft.
Les Israéliens sont très novateurs, individualistes, indisciplinés, et ils improvisent, l’improvisation n’ayant pas de connotation négative en hébreu. Comme dans la Silicon Valley, il y a une combinaison rare de technologie et d’esprit d’entreprise. Les gens sont habitués à travailler ensemble en équipe. Le service militaire expose les Israéliens à la technologie à un jeune âge et il leur inculque la maturité et le sens de la responsabilité.
La recherche académique
La recherche académique, qu’il faut se garder de scinder arbitrairement en recherche fondamentale et appliquée, singulièrement lorsqu’il s’agit d’Israël, est sans commune mesure en dimension et en qualité avec la taille du pays. Cela peut tenir à deux facteurs principaux.
La science est un des piliers majeurs du pays
D’une part, le » conditionnement » culturel ancestral du peuple juif, notamment l’emphase mise sur l’étude, constitue un terreau humain et culturel favorable à la recherche scientifique : dans un esprit d’ouverture et de controverse, où la nouveauté est valorisée, il permet à la modernité de se nourrir de la tradition.
Les bons numéros
En comparaison avec le reste du monde Israël est numéro un pour les dépenses des entreprises en R & D et pour le pourcentage du PNB dépensé en R & D (4,8 %) ; numéro deux pour le nombre d’ingénieurs qualifiés et pour le transfert de connaissance entre l’industrie et le monde académique ; numéro trois pour les compétences dans les technologies de l’information.
Source : IMD World Competitiveness Yearbook 2008.
D’autre part, la vision » gaullienne » de David Ben Gourion a joué un grand rôle de levier, où se retrouvent tant l’intérêt étatique stricto sensu que les aspirations scientifiques : l’homme d’État visionnaire avait su voir d’emblée dans la science un des piliers majeurs du développement du pays, bien conseillé en cela par Haïm Weizmann, premier président de l’État d’Israël. Cette conception n’est pas sans rappeler celle qui fut à l’origine de l’École polytechnique.
Et comment ne pas rendre hommage à d’illustres pères fondateurs de la science israélienne, aujourd’hui défunts, tels que Nathan Rosen, dont le nom figure dans le sigle du célèbre paradoxe EPR (Einstein-Podolski-Rosen), Yuval Neeman en physique théorique des particules élémentaires, Ephraïm Katzir en chimie, ou encore Giulio Racah, grand nom de la physique atomique et moléculaire, chassé par l’Italie de Mussolini ?
Il est évident que les persécutions hitlériennes ont largement contribué, principalement aux USA mais aussi en Israël, à la dissémination d’un savoir qui a largement bénéficié aux terres d’accueil. Un même phénomène s’est joué avec l’antisémitisme du bloc soviétique, qui a abouti à des vagues successives d’immigration d’une population hautement qualifiée. Véritable atout pour l’État d’Israël, ce mouvement s’est amplifié avec la chute du mur de Berlin et les difficultés économiques de l’ex-URSS.
Le modèle anglo-saxon
Le Technion de Haïfa
La recherche israélienne est organisée essentiellement sur le modèle universitaire anglo-saxon. Une analyse plus fine permet de distinguer trois modèles institutionnels principaux : les campus universitaires, les instituts de recherche et les instituts de technologie.
Les campus universitaires proprement dits sont au nombre de cinq, gérés de façon autonome et souvent en situation de concurrence forte sur un pré carré relativement restreint.
La plus ancienne est l’Université hébraïque de Jérusalem, dont Albert Einstein comptait parmi les membres fondateurs. Elle comporte des départements de recherche au meilleur niveau international, parmi lesquels les mathématiques se distinguent.
Son antenne agronomique à Rehovot est un campus en soi, à laquelle on doit des avancées remarquables dans le domaine agronomique (développement de techniques d’hybridation et recherches de pointe en biologie végétale). Citons également ses deux prix Nobel d’économie, Daniel Kahneman en 2002 et Robert Aumann en 2005.
Aux portes du désert
L’université de Tel-Aviv est de création plus récente. Citons l’informatique et » l’electrical engineering » comme des lieux de recherche particulièrement performants.
L’université de Beer-Sheva matérialise la composante universitaire et technologique du rêve de Ben Gourion de développer le Néguev. Située aux portes de ce désert, elle compte une faculté de médecine et un institut de biotechnologies réputés.
L’université de Bar-Ilan, à caractère traditionaliste, est très ouverte à la modernité et aux sciences (comparable à Brandeis ou à Yeshiva University aux USA). Elle comporte des laboratoires d’excellence, en particulier en optique physique et en nanotechnologies.
Enfin, le Technion de Haïfa, qu’il serait erroné de comparer à une Grande École à la française, a été créé selon le modèle des Technische Hochshulen à l’allemande au début du siècle dernier. Il a évolué vers le modèle anglo-saxon (comparable au MIT ou à Caltech) et s’est brillamment distingué par l’attribution du prix Nobel de chimie 2004 à deux de ses chercheurs, Avram Hershko et Aaron Ciechanover. Il est présent sur pratiquement tous les grands axes de recherche entre science et technologie et se distingue par un effort massif dans le domaine des nanotechnologies.
Un caractère pluridisciplinaire
Parmi les instituts de recherche, l’Institut Weizmann se distingue par son » leadership » qui en fait un concentré sui generis de Max Planck Institut, de CNRS ou encore de NSF. Il se distingue par son caractère pluridisciplinaire, voulu dès l’origine, ainsi que par la qualité de ses chercheurs, recrutés au meilleur niveau international, et qui disposent de conditions de travail optimales. Ses domaines de compétence sont répartis entre la physique et les sciences de la vie.
La nécessité de développer un armement de plus en plus sophistiqué
Soreq, à Yavné, au sud de Tel-Aviv, est un spin off de l’industrie nucléaire, présentant certaines analogies avec le LETI. Citons encore Rafael, centre de recherche militaire de haut niveau près de Haïfa, ou encore le Centre de recherche nucléaire de Dimona, ces deux derniers menant des recherches hautement classifiées.
Soutenir les entreprises
Les instituts de technologie, qu’on pourrait comparer à des IUT, mais à forte coloration en recherche technologique, ont la vocation affirmée de développement ou de soutien aux entreprises. Les plus réputés sont ceux de Holon (banlieue de Tel-Aviv) et de Jérusalem, ce dernier comportant un incubateur particulièrement efficient. Ils constituent un tissu régional performant dans la formation de techniciens supérieurs et d’ingénieurs.
La poule aux œufs d’or
On pourrait paraphraser le célèbre aphorisme prêté à Napoléon à propos de l’École polytechnique : la science est bien » la poule aux œufs d’or » du jeune État d’Israël, et son plus sûr investissement pour l’avenir : il y va non seulement de son indépendance et de sa capacité de défense, mais aussi de la prospérité de son économie, avec vocation à devenir un puissant levier d’intégration et de prospérité régionale, apparaissant comme le meilleur garant de la paix et de la stabilité dans la région.
Signalons aussi les liens forts et privilégiés, pour des raisons historiques, avec les États-Unis et l’Allemagne, au travers de fonds bi-nationaux bien dotés. Sans être absente, la France ne figure pas au même niveau : les structures successivement mises en place se sont toujours heurtées à des limitations budgétaires contraignantes, au détriment du potentiel de coopération entre les deux pays et de la volonté affirmée des deux communautés de chercheurs.
Après les programmes Ariel et Keshet (Arc-en-ciel), c’est maintenant au Haut Conseil franco-israélien pour la coopération scientifique et technologique que revient le choix du lancement de deux thèmes de recherche tous les deux ans environ. Lors de sa dernière réunion en mai dernier, il a choisi le traitement et la gestion des eaux, ainsi que les aspects moléculaires de maladies infectieuses. Parmi les thèmes précédents, citons l’imagerie biologique et médicale, les mathématiques ou encore la bio-informatique et, plus anciennement, les nanotechnologies.
Cependant, nos collègues israéliens tendent à se plaindre d’un déni de considération, tant au niveau de la classe politique réputée peu à l’écoute, que de l’opinion, sentiment qui peut paraître étonnant au regard de ce qui précède mais qui témoigne que la société israélienne subit les mêmes tendances que le reste du monde occidental.
Le développement technologique
Tour solaire de l’institut Weizmann |
Le développement de la technologie, en Israël, est un phénomène très ancien, puisque la Palestine, partie de l’Empire ottoman, a bénéficié des liens étroits qui existaient, à la fin du xixe siècle, entre ce pays et l’Allemagne, alors fer de lance du développement industriel. Le Technion de Haïfa fut créé par des immigrés allemands en 1912 comme un collège technique, où la langue de travail était l’allemand.
La Première Guerre mondiale a modifié sensiblement la donne : l’allemand fut remplacé par l’hébreu lors de la création officielle du Technion en 1924, ce qui a obligé à un grand effort de créativité linguistique…
La création de l’État d’Israël, dont la classe dirigeante provenait essentiellement de pays à forte culture technologique, a renforcé cette caractéristique. De plus, la nécessité de développer un armement de plus en plus sophistiqué a créé, à côté (en partie au sein) du système académique, un secteur de fort potentiel scientifique et technique, et renforcé les contacts avec des pays de très haut niveau : la Grande-Bretagne (que l’on se rappelle le rôle de Chaïm Weizmann, évoqué plus haut), la France (avec la collaboration dans les domaines nucléaire et aéronautique), les États-Unis, avec de nombreuses aventures plus ou moins réussies comme le projet d’avion de chasse » Lavi « . Le potentiel intellectuel et la culture fournissaient un terreau de grande qualité.
Informatique et biotechnologies
Deux faits politiques
La transformation de la société civile, avec le développement de l’innovation et de la création d’entreprises, peut être corrélée avec deux faits politiques majeurs : la fin de l’économie d’État avec l’arrivée au pouvoir du libéral Netanyahou, et l’arrivée après la chute du mur de Berlin de 700 000 Juifs d’ex-URSS, de haut niveau d’éducation et dont l’emploi dépendait, en tout premier lieu, de la création d’entreprises nouvelles.
Les éléments techniques majeurs qui ont permis cette transformation ont été le développement de l’informatique et de ses applications aux télécommunications, ainsi que celui des biotechnologies. Le point commun de ces activités est qu’elles peuvent être faiblement capitalistiques et qu’il est possible, dans un système libéral, d’y faire fortune sur la base de seules ressources en matière grise : l’exemple de Check Point, vendue à des investisseurs américains pour plusieurs milliards de dollars, a fait des émules.
L’État a accompagné et encouragé les innovateurs et les créateurs d’entreprise avec des dispositifs comme le Matimop (en français, Centre industriel pour la recherche et le développement), programme géré par le ministère de l’Industrie, plus spécialement, » l’Office of the Chief Scientist « , ou encore avec l’autorisation, donnée aux universités, de développer des entités de gestion de l’innovation et de création d’entreprises (la filiale Yeda de l’Institut Weizmann, précurseur dès les années soixante ; Research and Development Foundation du Technion ; Yssum de l’Université hébraïque de Jérusalem ; Ramot de l’université de Tel-Aviv).
Une politique active de valorisation de la R & D.
Cette politique active de valorisation de la R & D permet d’attirer dans le voisinage des grands campus des entreprises de toutes dimensions, y compris très grandes (Intel à Jérusalem ou Hewlett Packard à Rehovot). Le parc industriel de Rehovot, pratiquement mitoyen de l’Institut Weizmann, évoque la Silicon Valley. Des parcs industriels comparables sont situés autour de l’université de Tel-Aviv et de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Des investisseurs étrangers
Le succès appelant le succès, Israël attire depuis plusieurs années des investisseurs étrangers, notamment français :
plus que des structures astucieuses ou spécialement incitatives, c’est l’esprit d’entreprise et d’innovation, présent dans l’ensemble de la société israélienne, qui explique ses performances en la matière ; c’est lui qui justifie l’intérêt que beaucoup de pays montrent sur ce point, à l’égard d’Israël et ce, malgré la situation géopolitique