Esquisse des procédures d’expertises judiciaires dans certains pays de la Communauté européenne
L’ESPACE QUI nous est imparti ne permettra, bien évidemment, que de donner quelques » coups de projecteur » sur ce sujet qui exigerait plusieurs numéros de notre revue pour être traité, même dans ses grandes lignes. Tentons, malgré tout, de donner quelques éléments majeurs.
Notons, d’abord, un point commun : c’est, sous quelque forme qu’elle soit pratiquée et dans quelque pays de l’Union européenne que ce soit, la définition de l’expertise.
Il s’agit de donner au juge les éléments techniques relatifs à une question de fait qui, comme le rappelle le Nouveau Code de procédure français (le NCPC), » requiert les lumières d’un technicien « .
Cette définition n’est pratiquement contredite par aucune législation étrangère.
» L’éclairer » : il sera donc informé et non lié ;
» Question de fait » : il ne s’agit pas de traiter de points de droit ;
» L’avis d’un technicien » : cela sous-entend, bien évidemment, la compétence de l’auxiliaire du juge, fondement de la confiance qui lui sera accordée.
Les conditions dans lesquelles les éléments fondant cet avis seront recueillis et les procédures qui devront être respectées sont, évidemment, essentielles puisque, selon la formule traditionnelle : » la forme est garante du fond « .
Principes et procédures : le rôle du juge
Il paraît nécessaire de rappeler liminairement trois définitions :
- celle de l’obligation qui va s’imposer à tous, le respect du principe de la contradiction,
- et celles des deux procédures susceptibles de s’appliquer, l’accusatoire et l’inquisitoire.
Disons (en demandant pardon aux vrais juristes pour le raccourci) que le principe de la contradiction va imposer au juge, à ses auxiliaires, au nombre desquels figure l’expert, et aux parties, de faire en sorte que tout le monde ait en main les mêmes pièces, documents, résultats des constatations, et, en même temps, connaissance des moyens, c’est-à-dire des arguments, de tous.
Que la procédure accusatoire va placer le juge en position d’arbitre entre les parties, libres de leurs moyens et arguments, et que si elle est inquisitoire, le magistrat aura, comme on l’imagine facilement, une tout autre attitude et une tout autre liberté dans la recherche de la vérité.
Ceux qui voudraient un minimum de détails complémentaires pourront relire l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et les articles 14, 15 et 16 du NCPC mais il ne faut pas oublier que les droits de la défense et le principe de la contradiction ont valeur constitutionnelle tant en France que dans les pays de l’Union européenne.
L’obligation de donner au justiciable la certitude de bénéficier d’un procès équitable et d’obtenir un jugement dans un délai raisonnable et à un coût accessible relève de la même exigence.
En France, la Cour de cassation, chacun le sait, y veille.
Une enquête réalisée il y a quelques années dans les différents pays de l’Union européenne a montré que, même s’il subsiste des nuances entre les diverses procédures retenues, les différences, indiscutables, sont d’importance bien moindre que les parallélismes constatés. La tendance qui se dégage traduit un rapprochement certain des pratiques qui paraissaient les plus éloignées et, d’abord bien sûr, de celles des pays de Common Law avec celles des pays de droit civil (ou latino-germanique).
Recueillir et analyser, pour les juges qui recourent à eux et dans le respect des règles du procès équitable, les éléments factuels, techniques et scientifiques dont ils ont besoin est ainsi une définition générale de l’expertise dans tous les pays de la Communauté.
Une distinction apparaît, par contre, dès qu’on analyse les moyens mis en œuvre et les obligations de l’expert.
Dans un grand nombre sinon la plupart des cas, il a une grande liberté d’action dans le respect, bien sûr, des règles de procédure.
Dans quelques autres, cependant, en Allemagne par exemple, il doit s’en tenir aux faits qui lui sont soumis par le juge qui a, seul, la charge de les recueillir et n’a pas la possibilité d’entendre de témoins à son initiative, ce qui serait constitutif d’une recherche de faits réels ou allégués qui n’est pas de sa compétence.
Le juge peut, bien entendu, s’il en a convenance, rechercher à la demande de l’expert des éléments complémentaires et les lui communiquer.
Il n’est, en quelque sorte, qu’un expert de la validité scientifique et technique des seuls faits qui lui sont soumis.
Conflits susceptibles d’être soumis à expertise préalablement aux débats et au jugement ?
L’expertise est-elle obligatoire ?
L’expertise est pratiquement toujours facultative sauf dans certains pays et dans certains domaines très particuliers où elle est obligatoire comme en Finlande quand il s’agit d’affaires maritimes ou dans le canton de Vaud quand il s’agit d’estimations d’immeubles.
Elle est pratiquement toujours susceptible d’être ordonnée par le juge, que les parties le demandent ou d’office et ce, pratiquement, dans tous les domaines.
Si, en France, l’examen pour avis des problèmes contractuels est souvent demandé ou considéré comme implicitement compris dans la mission (le classique » qui a fait quoi ? » et » qui devait faire quoi ? » au vu des documents contractuels), tel n’est pas le cas, sauf exceptions bien sûr, en Angleterre et en Allemagne.
Il n’est demandé, en règle générale, à l’expert que de donner son avis sur la validité scientifique et technique des éléments de preuves qui lui sont soumis.
Un avis de pur droit peut, toutefois, être exceptionnellement demandé à l’expert, en Allemagne, si le contrat en cause a été passé sous l’empire d’un droit étranger que le juge ignore et sur lequel il a besoin d’être éclairé.
À l’exception des pays du Benelux et, pour ceux auxquels nous nous intéressons ici, de l’Italie, il n’est généralement pas distingué, contrairement à ce qui se passe en France, entre constatation, consultation et expertise (à l’exception de l’Italie où une procédure de constat est prévue en cas d’urgence).
L’Allemagne connaît un équivalent de notre expertise » in futurum « , celle de l’article 145 du NCPC, au motif de la conservation des preuves et de l’intérêt que le plaideur peut avoir à obtenir, avant de faire trancher le fond du procès, que soient prises des dispositions éventuellement provisoires mais susceptibles d’éviter l’irrémédiable ou, au moins, la survenance de préjudices irréparables.
Rôle, situation et statut de l’expert
Il faut, ici, distinguer la situation des pays de Common Law (Angleterre, Pays de Galles et Irlande notamment) et ceux de droit civil.
Dans ces derniers, l’expert, désigné par le tribunal ou la Cour, n’a de comptes à rendre qu’au juge mandant.
Il est considéré, le plus souvent, comme auxiliaire du juge (Allemagne, Espagne et France notamment) et est désigné, généralement, par référence à des listes existantes sans qu’il y ait, là, d’obligation contraignante, au moins dans le cas de l’expertise dans la matière civile.
En France, de telles listes sont établies au niveau des cours d’appel et de la Cour de cassation.
En Italie, il en existe au niveau des provinces, sur lesquelles les techniciens sont inscrits après avoir satisfait à des examens d’État devant des Commissions de magistrats et de professionnels.
Dans un grand nombre de pays, l’Allemagne par exemple, les listes dont se sert le juge sont établies par les Chambres de commerce, d’industrie ou de métiers, les organismes professionnels ou les Ordres pour ce qui concerne les professions réglementées.
En Espagne, l’expert peut être un membre du personnel administratif de la justice, appartenir à un corps d’experts sous contrat avec la Chancellerie ou, technicien diplômé ou non, selon l’objet de l’expertise, être à ce titre collaborateur occasionnel de la justice (comme, en France, quand il est commis par la justice administrative).
Il peut être intéressant de noter que ce n’est qu’en Allemagne que l’inscription sur ces listes » professionnelles » est soumise à un examen organisé à la diligence de l’institution qui les établit et que ce n’est qu’après y avoir réussi que l’expert est reconnu comme » expert publiquement reconnu et assermenté » et a droit à l’usage d’un sceau marquant sa reconnaissance. Ces listes existent dans chacun des Länder et l’éventualité de l’établissement d’une liste fédérale est, apparemment, examinée mais aucune décision ne serait encore prise.
Le cas des pays de Common Law est évidemment différent et, traditionnellement, n’existaient que les experts des parties, experts témoins (l’expert witness) dont la reconnaissance (leurs rapports seront remis à la Cour) n’exclut, bien entendu, pas que dans tous les cas les parties puissent avoir recours à tels autres conseils techniques qu’elles souhaiteraient consulter.
Ces experts témoins sont conseils de ceux qui les ont choisis, liés à eux par un contrat de prestations de services, mais sont, par ailleurs, débiteurs vis-à-vis de la Cour ou des Tribunaux d’une obligation de compétences et de diligences, de neutralité et d’indépendance, morales et économiques, et, à l’égard de leurs clients, d’objectivité et de disponibilité.
Le respect de ces critères est d’abord gage de leur crédibilité vis-à-vis du juge.
Leur déontologie est définie et contrôlée par les associations ou ordres auxquels ils appartiennent ou dont ils dépendent.
Leur Commission, à la diligence des Sollicitors et Barristers, est subordonnée à une autorisation explicite de la Cour qui peut en limiter le nombre.
Alternativement, depuis la réforme promue par Lord Wolff, en avril 1999, le juge peut désigner, comme dans les pays de droit civil, son expert et, apparemment au moins, recourt à cette solution dans les cas les plus simples où il est particulièrement important d’éviter des batailles d’experts, un allongement des délais et un accroissement des coûts. Le juge se voit ainsi confié plus que dans la solution traditionnelle la maîtrise et la conduite du procès.
Il est intéressant de noter ainsi que sans qu’elle soit très précisément codifiée, la déontologie de l’expert commis par le tribunal, comme celle de l’expert témoin, révèle un consensus en Europe sur les éléments à respecter :
- la compétence et la diligence,
- la neutralité et l’indépendance,
- l’objectivité,
- la disponibilité.
Critères auxquels s’ajoute tout ou partie de ceux rattachés à la possession des diplômes, à la durée d’exercice de la profession, à la situation économique et dans certains cas, comme en France depuis la réforme de 2004, la connaissance de la procédure expertale.
Seule, l’Allemagne, nous l’avons dit, a mis au moins en principe une condition d’âge explicite (plus de 35 ans) et rappelé que les parties avaient le droit absolu de connaître, au moment où il est désigné, les qualifications techniques et morales de l’expert.
En Espagne, une formation particulière à la procédure expertale est donnée à ceux qui font partie du service de l’administration de la justice.
Les domaines où l’expert est réputé compétent sont plus ou moins larges selon les pays et, à cet égard, sont définis avec une particulière précision en Allemagne et en Italie.
Quelques cas particuliers pourraient être encore cités comme celui de l’Angleterre où, dans le domaine des problèmes maritimes, l’expert peut intervenir comme juge » profane » ou » assesseur technique » du juge.
Dans tous les cas, pratiquement, cette activité au service du tribunal est considérée comme une activité de mission et non une profession, bien qu’exercée sous forme libérale et ce, que l’expert soit, ou non, salarié.
Les procédures suivies pour la commission de l’expert sont, bien entendu, variées mais, dans la majorité des cas, cette désignation est à la discrétion des juges éventuellement au vu des propositions des parties qui ne les lient pas.
En Allemagne, la Cour est liée par l’accord des parties sur le nom d’un expert.
En Espagne, le juge cherche à obtenir cet accord sinon il désigne trois experts entre lesquels on procède à un tirage au sort.
Dans la plupart des cas (Allemagne, Italie, France, etc.), les cas de récusation de l’expert sont les mêmes que pour ce qui concerne les juges tant sur le fond (liens avec les parties sous une forme ou sous une autre, connaissance antérieure de l’affaire, etc.), que sur la forme (dans un bref délai, après leur désignation ou la révélation de la situation en cause). Cette décision est, en général, sans recours encore qu’en Allemagne et en Espagne, il est possible d’en former un si le juge rejette la demande de récusation présentée.
Dans les pays de Common Law, la situation se présente évidemment différemment compte tenu du poids de la jurisprudence et de la rareté, au moins en l’état, de la désignation d’experts par la Cour, désignation qui est toujours faite après consultation des parties.
Pratiquement dans tous les pays, l’expert est libre de refuser cette désignation, mais en Allemagne et en Italie, l’expert pressenti a obligation d’accepter sa mission sauf raison légitime, de la nature de celle qui permettrait à un témoin de refuser de témoigner, et à défaut, dans le second cas, l’expert peut encourir une amende.
En Allemagne, en Espagne et en France, le juge peut désigner une personne morale qui aura elle-même la charge de désigner l’expert en son sein à moins (Allemagne) qu’ils ne le soient simultanément.
En Angleterre et en Italie, l’expert ne peut être qu’une personne physique.
La mission de l’expert
Nous avons dit ci-avant que, dans la plupart des cas, l’expertise est rarement ordonnée en référé contrairement à ce que constaté en France (hors le cas de simples constats).
Au moment de définir sa mission, le juge a donc en mains les dossiers structurés des parties, il est en mesure de savoir ce dont il aura ultérieurement besoin et peut définir la mission de l’expert au vu de ces questions et, bien sûr, de celles posées par les parties.
En Allemagne, il transmet en totalité les dossiers des parties à l’expert qui n’a pas, en principe, à rechercher d’autres documents ni, a fortiori, d’autres faits que ceux exposés.
En Espagne, les questions posées sont celles proposées par les parties au juge qui les reprend dans la mission.
En Italie, après concertation avec les parties, le juge fixe la mission à partir des listes de questions réputées pertinentes qui lui ont été remises.
Notons, à cet égard, qu’en ce qui concerne les juridictions européennes, la mission doit être contradictoirement débattue devant le juge en présence des parties et, le cas échéant, du Ministère public avant la désignation de l’expert.
Dans les pays de Common Law, ce sont les questions posées par l’une et l’autre partie qui délimitent la mission et le juge pourra la compléter à leur demande mais rarement à sa seule initiative.
Incidemment, notons que l’extension de mission, possible en France avec l’accord écrit de toutes les parties, n’a, apparemment, pas d’équivalent dans les autres pays de l’Union européenne (sauf, toutefois, au Danemark).
En ce qui concerne le serment de l’expert
En Allemagne, il est prêté lors de l’inscription sur la liste et, comme en France, n’a pas à être réitéré.
En Espagne et en Italie, l’expert prête serment au moment où il accepte sa mission ou lors de l’ouverture de ses opérations, oralement ou par écrit.
C’est lorsqu’il dépose devant la Cour, par contre, qu’il prête serment dans les pays de Common Law.
Règles de procédure à respecter pendant l’exécution de la mission
Après avoir souligné le respect général en Europe du principe de la contradiction, nous avons distingué ci-avant la
procédure accusatoire (cas général de la Common Law, et, pour partie, au moins de la France dans la matière civile), de la procédure inquisitoire (cas dans la matière pénale en France). La distinction n’y est, toutefois, pas très tranchée dans la mesure où la réforme de 1971 a renforcé le rôle de direction du procès civil confié au juge. On peut se demander si l’on ne se trouve pas ainsi, chez nous, à mi-chemin entre la procédure accusatoire, dominante dans les pays de Common Law, et la procédure inquisitoire.
Dans le domaine de la Common Law, l’expert de la Cour, s’il y en a eu un de désigné, mène ses opérations comme il l’entend et peut se rendre seul sur les lieux sans convoquer les parties. L’appréciation de ses opérations est essentiellement effectuée à l’audience où interrogatoires et contre-interrogatoires se succèdent. La production des pièces (discovery) est fondamentale même si elles doivent être défavorables à celui qui les communique. Ne pas le faire ouvre la porte à une éventuelle injonction du juge à la demande de l’autre partie et, en tout cas, empêche qu’il en soit fait état ultérieurement.
L’Allemagne (cf. ci-dessus) connaît un système de type contradictoire sous réserve qu’il n’est pas exclu que l’expert travaille entièrement et exclusivement sur les dossiers qui lui ont été remis par le juge sans jamais rencontrer les parties. S’il se rend sur les lieux, c’est, toutefois, avec elles, dûment convoquées et qui peuvent se faire assister par avocats et conseils techniques.
En Espagne, le contrôle des opérations d’expertise est, en fait, de la responsabilité des parties et leur convocation, considérée comme souhaitable, n’est pas imposée. Les documents nécessaires sont remis à l’expert par le juge ou par les experts des parties et celui commis par le tribunal peut leur demander directement les éléments complémentaires qui lui sont nécessaires et entendre qui il veut sur des points techniques sans avoir à en rendre compte.
En Italie, les opérations d’expertise sont rigoureusement contradictoires. Le juge convoque la première réunion et l’expert, les réunions suivantes avec obligation de prévenir les parties de toutes ses opérations pour qu’elles puissent y assister. L’expert demande les documents dont il a besoin mais nul, même le juge, ne peut obliger les parties à les remettre même par voie d’injonction.
C’est certainement en France que les modes opératoires et les conditions procédurales à respecter sont le plus détaillés et offrent à l’expert des possibilités particulièrement larges dans le strict respect du contradictoire.
Conditions dans lesquelles l’expert peut se faire assister et contribuer, ou non, à la conciliation des parties ? Délais impartis
Ce qui est prescrit à cet égard est pratiquement identique dans tous les pays de l’Union européenne.
La mission est strictement personnelle et l’expert est commis intuitu personæ.
Il ne peut recourir au concours de ses assistants ou collaborateurs que pour des actions secondaires et mineures et, bien entendu, sous son contrôle et sa responsabilité. On peut noter, toutefois, que les possibilités de faire appel à des collaborateurs d’un certain niveau sont plus larges en pays de Common Law (pour ce qui concerne l’expert de la Cour), que le recours au » Sapiteur « , terme d’ailleurs ancien et pour partie obsolète – c’est-à-dire le recours, par l’expert commis, à un technicien assistant compétent dans un domaine différent du sien et sur un point particulier – est interdit en Allemagne qui ne connaît que le co-expert désigné par le juge. La situation est la même en Italie encore que, dans ce dernier cas, le recours direct à un laboratoire ou à un centre de calculs est possible sur décision de l’expert qui devra, toutefois, recueillir l’autorisation du juge.
En Allemagne, en Espagne et en France, l’expert n’a pas pour mission de concilier les parties et n’est pas non plus incité à le faire. Il lui revient seulement, si d’aventure la situation se présente, d’en faire rapport au juge qui seul peut le dessaisir… ce qui ne l’empêche pas, bien sûr, d’y contribuer par l’expression d’un avis motivé de qualité.
En Italie (sous réserve d’un régime particulier pour les expertises comptables où l’expert peut recevoir une telle mission et signera le procès-verbal en cas de succès), la règle est la même, mais l’expert peut collaborer avec le juge dans la tentative qu’il fait de concilier les parties.
Les délais impartis à l’expert pour l’exécution de sa mission et, ipso facto, la date de dépôt du rapport ou celle de l’audience où il en sera débattu, sont très généralement fixés dans la décision initiale, par le juge qui, seul, sur demande motivée de l’expert et éventuellement des parties, peut les proroger s’il l’estime acceptable.
En Allemagne, toutefois, le délai complémentaire est, en général, seulement de trente jours et n’est renouvelable qu’une fois.
En Espagne, pour ce qui concerne le troisième expert (commis par le juge à côté des experts des parties), une diligence particulière lui est demandée faute de quoi il risque d’être dessaisi. Les délais sont fixés par le juge qui peut les modifier même sans accord des parties comme en France où, comme en Italie, les demandes motivées peuvent émaner tant de l’expert que des parties.
Déroulement des opérations d’expertise et dépôt du rapport
Alors qu’en France, où le juge n’est pas dessaisi par la désignation de l’expert, il a été institué pratiquement partout un juge du contrôle de l’expertise qui peut d’ailleurs, sauf décision particulière, n’être ni celui qui a commis l’expert ni celui qui jugera du litige, dans beaucoup de pays de l’Union européenne, le tribunal saisi au fond, ou un juge rapporteur en son sein exerce ce contrôle tant en ce qui concerne le respect des règles de procédure que les méthodes ou moyens mis en œuvre en cas de plainte des parties.
En Allemagne et en Espagne, au moins en principe et sauf cas particulier, l’expert n’a pas à faire rapport au juge de l’avancement de ses opérations.
En Italie, le juge décide de l’opportunité de rapports intermédiaires et, au moins en principe, se fait faire rapport de l’avancement des opérations d’expertise.
Dans les pays de Common Law, le juge ne contrôle pratiquement que le respect des délais impartis et s’en remet aux parties pour le reste.
Dans le cas le plus général et dans tous les pays, le rapport, adressé au tribunal qui le diffuse aux parties, est écrit et n’a valeur que de renseignement pour le juge qui n’est pas lié et n’a pas à motiver particulièrement sa décision s’il ne suit pas l’avis de l’expert.
Contrairement à ce qui se passe en France, en Allemagne il est prévu, à la demande des parties ou du juge, une déposition de l’expert à l’audience, ce qui, par contre, est très rarement envisagé en Espagne et en Italie.
Que ce soit en Allemagne, en Espagne, en Italie et d’ailleurs en France, la demande, après dépôt du rapport, d’un complément d’expertise ou d’une contre-expertise est possible mais soumise à la souveraine appréciation du juge et, en fait, rarement ordonnée.
Cette éventualité est essentiellement envisagée en cas d’expertise incomplète ou fondée sur des bases erronées ou encore si des contradictions internes sont notées dans le rapport (Allemagne), si les règles de procédure n’ont pas été respectées (Allemagne et Italie) ou encore en cas de non-dépôt du rapport ou de collusion avec les parties qui entraînerait la nullité de l’expertise (Espagne).
Dans les pays de Common Law, le juge, qui reste totalement libre de sa décision, ne prendra généralement une telle mesure que s’il constate d’importantes contradictions de fond entre les rapports qui lui sont soumis et dont il aura été débattu. Tel est le cas, en particulier, s’il relève des contradictions entre les rapports de deux témoins experts d’une même partie.
Risques inhérents à la fonction et responsabilités encourues
Sous l’empire de la Common Law, s’agissant tant du témoin expert (expert witness) que de l’expert des parties, sa responsabilité vis-à-vis du client est d’ordre contractuel et donc traditionnel.
Dans de rares cas, des poursuites ont été engagées pour faux témoignages, insultes à la Cour et autres délits graves.
Pour ce qui concerne les experts désignés par les cours et tribunaux, ceux, donc, qualifiés d’experts judiciaires, les risques encourus au titre des vices du rapport et des fautes personnelles commises sans volonté de nuire ni violation du serment, s’il y en a eu, sont très généralement de nature délictuelle. À ce titre, ils sont soumis au droit commun et les conséquences des responsabilités encourues assurables au titre de leur responsabilité civile.
Le critère le plus généralement retenu est le fait, pour l’expert, d’avoir mis en œuvre des connaissances insuffisantes par rapport à celles qu’aurait dû mettre en œuvre un expert normalement actif et diligent.
Les éventuels dommages causés aux parties par erreurs, retards, refus injustifiés d’acceptation de sa mission ou autres seront pris en compte dans les mêmes conditions. L’expert est, bien entendu, responsable de ses collaborateurs.
Si, en France, les rapports à ce titre entre la Cour et l’expert ressortent à l’Ordre judiciaire alors qu’ils sont de droit public en Allemagne, ceux entre l’expert et les parties ressortent pratiquement dans tous les cas de la compétence des Tribunaux de l’Ordre judiciaire.
Compléments en ce qui concerne les règles de déontologie applicables
Au-delà de ce qui est dit ci-avant, il est probablement intéressant d’insister sur trois critères majeurs dont le respect s’impose à l’expert avec force et dont il doit vérifier qu’il lui sera possible d’y satisfaire avant même d’accepter la mission que lui propose le juge.
Il s’agit de :
- sa disponibilité ? : pourra-t-il raisonnablement respecter les délais impartis ?
- sa compétence ? : est-il en mesure de considérer que la sienne est réelle et reconnue dans le domaine technique où il lui est proposé d’intervenir ?
- sa non-récusabilité ? : son indépendance est-elle assurée au regard de l’identité des parties (et, plus, l’apparence de cette indépendance).