Essai d’analyse des expériences de Maurice Allais sur le pendule paraconique
Dans un livre récent, L’anisotropie de l’espace1, Maurice Allais a raconté ses travaux des années 1954–1960 et ses déboires qui ont suivi. Ayant lu ce livre qui nous a beaucoup troublés nous avons décidé sinon de refaire les expériences du moins de refaire avec des ordinateurs modernes l’analyse statistique qui avait conduit Maurice Allais à penser que l’influence de la Lune et du Soleil sur ses pendules était cent millions de fois supérieure à ce que prévoyait la théorie moderne de la gravitation.
Nous avons donc demandé à Monsieur Allais ses cahiers de laboratoire qu’il nous a aimablement fournis. Les résultats se présentent sous la forme de sept séries de mesure de l’azimut du plan principal d’oscillation d’un lourd pendule.
Ces « séries enchaînées » sont obtenues en lâchant le pendule à 11 centimètres de la verticale du support et en le laissant osciller pendant quatorze minutes (il ne s’écarte plus alors qu’à 9 centimètres de la verticale) puis en ramenant le pendule à 11 centimètres dans le plan principal d’oscillation final des quatorze minutes précédentes et en le lâchant à nouveau vingt minutes après le lâcher précédent.
Les six minutes intermédiaires sont nécessaires pour des raisons expérimentales, en particulier afin d’effectuer le changement de la bille de support du pendule (les billes sont systématiquement changées à chaque expérience pour éliminer tout effet d’usure) puis pour assurer des lâchers successifs tout à fait neutres.
L’intérêt principal de ces expériences est leur durée : environ un mois chacune. Par exemple les séries simultanées de juillet-août 1958, l’une à Saint-Germain dans les laboratoires de l’IRSID et l’autre à Bougival dans la carrière du « Blanc Minéral » à 57 mètres sous la surface du sol, ont commencé le 1er juillet à 17 heures 40 (TU) et se sont terminées à 4 heures TU le 1er août. Cela représente 2 192 mesures d’azimut (à 0,1 grade près) et donc 2 191 lâchers successifs.
On pourrait s’étonner que les oscillations des pendules ne suivent pas purement et simplement la précession de Foucault, comme cela se produit d’ailleurs juste après chaque lâcher. Cependant bientôt diverses perturbations font que le pendule n’oscille plus dans un plan vertical mais selon une ellipse très allongée (dont le « plan principal » est le plan vertical du grand axe). Cette ellipse subit aussi la précession d’Airy des pendules sphériques, ce qui fait que d’une part les expériences classiques du pendule de Foucault utilisent de très longs pendules pour minimiser les effets perturbateurs2 et d’autre part les pendules d’un peu moins d’un mètre de Maurice Allais sont d’excellents détecteurs de ces effets perturbateurs.
Ces effets perturbateurs sont si forts pour un pendule métrique que son plan principal ne pivote pas perpétuellement dans le même sens, comme le voudrait la précession de Foucault, et dans les « séries enchaînées » de Maurice Allais il oscille un mois durant au voisinage de son plan originel de lancement lequel est en général dans l’azimut 160 ou 170 grades.
Sans donc refaire ces expériences nous avons analysé les séries numériques correspondantes. L’équipe de Paul Alba et G. P. a analysé les séries 3, 5 et 6 (soit celles de juin-juillet 1955, novembre-décembre 1959 et mars-avril 1960), tandis que l’équipe Georges Hoynant-Christian Marchal analysait les séries 4, 5 et 7 (les séries 4 et 7 étant les séries simultanées de Saint-Germain et Bougival présentées ci-dessus).
Je dois me faire ici le témoin de l’émerveillement de Georges Hoynant constatant la concordance de ses résultats, obtenus par des milliards d’opérations en machine, avec ceux de Maurice Allais obtenus en appliquant sa méthode « généralisation du test de Schuster » avec les moyens numériques des années 1955–1960 (cf. figure 1 et note 3).
Cependant nous ne trouvions aucune corrélation significative entre les séries simultanées 4 et 7 de Saint-Germain et Bougival, contrairement à ce qu’écrit Maurice Allais dans son livre. Très ennuyés nous lui exposons la situation, mais il nous répond : « faites donc l’étude non en fonction du temps mais en fonction de l’angle horaire de la Lune ». Ce dernier, que nous appellerons L, est par définition nul quand la Lune passe au méridien du lieu et croît de 15°, ou une heure, chaque fois que la Lune progresse de 15° vers l’ouest. Cet angle n’est pas une fonction uniforme du temps et le mouvement de la Lune a d’importantes irrégularités.
Cette seconde étude est évidemment plus complexe mais le meilleur ajustement sinusoïdal (moindres carrés) de chacune des deux séries montre une évidente parenté :
Pour la série de Saint-Germain : Azimut ~ 164,2 gr + 0,9 gr sin (L‑150°)
Pour la série de Bougival : Azimut ~ 161,4 gr + 1,2 gr sin (L‑165°)
Ainsi donc l’un des maximums importants du fréquencigramme de la figure 1 a une période très voisine de 24 heures 50 minutes, période moyenne de l’angle L, les azimuts des deux séries simultanées ont manifestement une corrélation significative en fonction de cet angle L et « l’effet lunaire » est maximal quelques heures après le passage de la Lune au méridien ou à l’anti-méridien, exactement comme pour les marées… Reconnaissons qu’il y avait là de quoi être troublé ou enthousiasmé !
Figure 1.A.
Fréquencigramme de l’expérience de Bougival obtenu par la méthode du “ test de Schuster généralisé ”.
Cependant les précautions d’usage, que l’on ne pouvait guère prendre en 1960 étant donné la longueur des calculs, conduisent à modérer cet enthousiasme.
Tout d’abord, même si l’on met à part les très rares « grandes excursions », l’écart-type des résultats par rapport à la droite de régression, soit 3,5 grades environ, est beaucoup plus important que l’amplitude des résonances observées ce qui est évidemment très défavorable.
Ensuite, et surtout, si l’on analyse séparément les deux quinzaines d’une expérience on ne retrouve plus du tout les mêmes résonances ce qui n’est pas très étonnant étant donné l’importance du bruit de fond mais est évidemment très gênant quant à l’interprétation.
Enfin les tests plus complexes mais mieux adaptés que l’analyse de Fourier classique à l’étude des phénomènes très bruités (test du maximum de vraisemblance ou de Kolmogorov-Smirnov, etc.) conduisent eux aussi à des conclusions mitigées : il y a quelque chose mais on ne sait pas quoi et à ce jour l’on ne peut pas être sûr que la Lune ou le Soleil jouent un rôle important dans les oscillations du pendule paraconique…
On peut donc conclure que :
1) Maurice Allais est un excellent mathématicien et statisticien et sa méthode « généralisation du test de Schuster« 3 mérite de devenir un outil majeur des études statistiques.
2) Les mouvements du pendule paraconique ne sont pas du « bruit blanc ». Il y a là des phénomènes encore ignorés et sans doute très instructifs mais difficiles à analyser.
3) Il conviendrait donc de refaire cette série d’expériences dans les meilleures conditions possibles. Tout d’abord en éliminant au maximum l’anisotropie du support, ce qui amoindrira grandement une source de bruits nuisibles, ensuite en examinant si le support par l’intermédiaire d’une bille sphérique est bien le meilleur : les sphères sont souvent en fait des polyèdres à un grand nombre de faces, surtout si la structure est cristalline, et le contact sphère-plan donne des déformations importantes et variables. Sans doute une cuvette en saphir avec une pointe en acier donnerait de meilleurs résultats.
Figure 1.B.
Le même fréquencigramme (donnant l’amplitude au lieu de l’énergie) obtenu par une méthode statistique actuelle. L’amplitude est proportionnelle à la racine carrée de l’énergie.
Il faudra aussi bien sûr faire les longs, onéreux et difficiles mais nécessaires essais de fidélité et de répétabilité avec deux ou plusieurs pendules identiques à quelques décamètres les uns des autres, essais faute desquels on risque toujours de ne « mesurer que la température » ou toute autre variable analogue.
Enfin les méthodes modernes d’enregistrement automatique et peut être aussi la possibilité d’effectuer l’expérience sous pression réduite, pour diminuer l’armortissement, devraient pouvoir simplifier considérablement la tâche à accomplir.
Il serait très intéressant qu’une étude post-doctorale voire une thèse soit entreprise sur le sujet général des pendules courts, sujet certainement très riche et très instructif.
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1. Maurice Allais. L’anisotropie de l’espace – 1. Les données de l’expérience. Clément Juglar éditeur, 1997.
2. Alain Marvilliers. « L’expérience du pendule de Foucault » Revue du Palais de la Découverte. Vol 26, n° 258 pages 30–45. Mai 1998.
3. Maurice Allais. « Test de périodicité. Généralisation du test de Schuster au cas des séries temporelles autocorrélées, dans l’hypothèse d’un processus de perturbations aléatoires d’un système stable ». Bulletin de l’Institut International de Statistique, 33e session, pages 1–35. Paris, 1961.