Est-elle retrouvée ? Quoi ? » La Chasse spirituelle ”
Au cours de cent quarante années de quête autour de La Chasse spirituelle, manuscrit perdu d’Arthur Rimbaud, si nombreux sont les témoignages divergents, les incohérences, les fausses pistes, les mensonges, les secrets, les brouillages volontaires de cartes, les coups bas, les insultes et les règlements de comptes, que qualifier de perplexité le sentiment qu’ils font naître relèverait de la litote.
Pour évoquer ce célèbre « texte perdu retrouvé qui se révèle faux mais peut-être en partie seulement », nous nous appuierons sur l’ouvrage de synthèse présenté par Jean- Jacques Lefrère1.
Les versions de l’histoire généralement présentées, qu’il serait charitable de qualifier de peu rigoureuses, commencent par mettre en doute, quand ce n’est pas en exclure la possibilité, l’existence même, dès 1872, de ce manuscrit de Rimbaud que Verlaine affirmait alors avoir oublié chez sa belle-famille.
Rien ne se passerait jusqu’à ce qu’Akakia Viala et Nicolas Bataille, afin de se venger de critiques émises à l’encontre de leur mise en scène de 1948 d’Une saison en enfer, n’entreprennent la rédaction d’un texte présenté comme une copie du fameux manuscrit, qu’ils prétendent conservé chez un collectionneur anonyme.
Après quelques ruptures de promesses de confidentialité, la publication du texte sous le nom de Rimbaud par le Mercure de France se trouve annoncée par le journal Combat du 19 mai 1949, lequel imprime quelques phrases de l’œuvre en exclusivité.
Suivant toujours les partisans de versions présentant l’avantage d’être simples mais l’inconvénient d’être fausses, André Breton dénonce aussitôt l’imposture sur la base de ces seules citations ; les deux auteurs, eux, devant l’ampleur prise par l’affaire à leur insu, se dénoncent et donnent toutes les preuves nécessaires à la conclusion des débats, dont sortent déconfits l’éditeur et les critiques Maurice Nadeau, Maurice Saillet et Pascal Pia.
En fait, Breton, s’il a fait preuve de courage, s’appuyait également sur des sources qu’il a tues. Il est par ailleurs remarquable que les détracteurs du texte publié par le Mercure ont avancé bon nombre d’arguments ne résistant pas à l’examen, quand il ne s’agissait pas de simples attaques ad hominem, dont l’on peut s’étonner que certains leur accordent encore valeur de démonstration.
Cela ne signifie pas pour autant que les partisans de l’authenticité, même partielle, soient tous sortis grandis des querelles dont la lecture de la presse de l’époque permet de prendre la mesure.
En 2010, Jean-Jacques Lefrère se voyait confirmer des soupçons de longue date relatifs à la participation de Pia dans la confection du faux, par la propre fille du critique, dont on ne pourrait donc définitivement plus affirmer qu’il s’est laissé berner. Cette révélation ne démontre pas non plus le caractère controuvé de l’intégralité du texte.
Pia lui-même affirmait avoir eu vent de la cession, « vers 1905 ou 1908 », par le mystérieux Charles Carrington, d’un manuscrit de cette œuvre de Rimbaud. S’il est très risqué de conclure quant au bien-fondé des rumeurs diverses portant sur l’identité des possesseurs ultérieurs de cet hypothétique document à l’origine assez peu claire pour que son éventuel détenteur puisse tenir à ne pas se faire connaître, des bruits couraient vers 1949 quant à l’existence de photographies d’un manuscrit.
L’édition de 1949 composait l’intégralité du texte en caractères romains. Celle de 2012 met en valeur certains passages par l’emploi d’italiques qu’aucune glose ne vient justifier dans le volume, malgré la « postface » de plus de deux cent cinquante pages.
En quatrième de couverture, sans plus d’explication, le lecteur découvre la reproduction photographique d’une page manuscrite dont le texte correspond à cinq paragraphes en italiques dans le volume. On aimerait donc croire que les italiques correspondent à ce que l’on peut affirmer être de Rimbaud sur la base de documents préservés.
Peut-être ces derniers sortiront-ils enfin de l’ombre, s’ils existent ?
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1. Arthur Rimbaud, La Chasse spirituelle, postface de Jean-Jacques Lefrère, Éditions Léo Scheer, 2012.