ESTER : L’expertise conseil pour reprendre le contrôle des risques de marché
En 2009, Elsa Sitruk (X95) a cofondé Ester, société qui offre à ses clients une expertise approfondie sur toutes les classes d’actifs : taux, change, actions, matières premières. Elle s’adresse aux institutionnels, entreprises, financeurs de projet, acteurs du secteur public…
Quelle est l’activité d’Ester ?
Ester est une société de conseil en couverture des risques de marché (hedge advisory en anglais). En bref, Ester aide les entreprises et les investisseurs qui sont exposés aux mouvements de marché (taux, change, inflation, prix des matières premières) à reprendre le contrôle de ces risques, pour sécuriser le rendement financier de leurs projets et faciliter leur bonne exécution.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Le nom des fondateurs est caché dans le nom Ester : Elsa Sitruk (X95), Stéphane Kourganoff (Sciences Po 84) et Éric Benhamou (X94). Tous anciens des salles des marchés, Elsa et Éric chez Goldman Sachs, Stéphane et Éric chez Ixis CIB. Lorsque Elsa et Stéphane ont voulu, chacun de son côté, créer une entreprise de conseil, c’est Éric qui leur a suggéré de se rencontrer et d’unir leurs forces. C’est également Éric qui, avec la société qu’il avait créée quelques années plus tôt, Pricing Partners, a incubé la jeune pousse Ester en 2009.
Comment t’est venue l’idée ?
Ex post, je me rends compte qu’en créant Ester j’ai créé le job qui rassemblait tout ce que j’aimais dans mon travail chez Goldman Sachs, en particulier l’accompagnement des clients sur des sujets financiers qui leur semblent souvent opaques et complexes, et qui excluait ce que j’aimais moins, par exemple la politique attachée aux grosses structures. Créer Ester, c’était une façon de faire le même métier, mais à ma façon.
Qui sont les concurrents ?
Le hedge advisory est une toute petite partie de l’univers du conseil, qui a émergé au début des années 1990. C’est un métier très spécialisé qui rassemble naturellement des anciens des marchés financiers. On y trouve essentiellement des boutiques spécialisées. En France par exemple, on peut citer Strafi Conseil. Parmi nos concurrents, une entreprise américaine, Chatham Financial, est beaucoup plus importante que les autres.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
En 2009, le démarrage de l’activité a été assez rapide, grâce au réseau, puis l’activité s’est stabilisée sur un plateau jusqu’à ce que nous trouvions un modèle plus scalable, à partir de 2017. Depuis lors, nous élargissons progressivement notre base client, ce qui nous a permis d’engager un chemin de croissance beaucoup plus solide, qui continue.
La finance maîtrisée est-elle vécue comme une contrainte plus que comme une ambition ?
On parle aujourd’hui des entreprises à mission. En 2009 cette baseline « la finance maîtrisée », qui semble aujourd’hui très datée, était notre façon de définir notre mission auprès de nos clients. Nous avions réalisé à travers nos parcours que les entreprises étaient soumises à la grande complexité des sujets financiers, sans nécessairement avoir les ressources pour mesurer les risques et faire les choix les mieux adaptés. Il nous semblait que leur donner les moyens de faire ces choix en toute indépendance était important. C’est toujours ce qui nous guide aujourd’hui.
Comment garder une dimension humaine alors que la technologie semble prendre le dessus ?
L’activité de conseil est par définition une activité extrêmement artisanale, très peu répétitive et très humaine. Malgré les points communs entre toutes nos missions, la situation de chaque client, ses objectifs et ses priorités, la relation avec ses partenaires et ses financeurs sont différents. Et prendre en compte ces différences est l’essence même de notre valeur ajoutée.
Nous cherchons aujourd’hui à identifier les axes sur lesquels la technologie est utile, mais nous sommes extrêmement prudents pour ne pas diluer notre valeur ajoutée et pour ne pas créer du risque opérationnel. Lorsque nous mettons des outils en place, nos priorités sont de garder le contrôle de nos données, de s’assurer de l’interopérabilité des différents maillons de la chaîne et de l’adaptabilité de la solution à nos besoins, qui eux-mêmes évoluent. Ce qui nous conduit aujourd’hui souvent à privilégier une solution in-house… Avec les délais que cela implique en termes de mise en œuvre.
Dans les années 80–90, la finance est devenue une affaire d’ingénieurs. N’est-elle pas en train de redevenir un sujet d’économiste ?
Dans notre métier, la tentation est grande de se fonder sur des raisonnements économiques pour « prédire » l’évolution future des taux, des parités de change ou de l’inflation. Pourtant, ni les prévisions des économistes, ni les forwards de marché n’ont une grande chance de se réaliser. Ils ne représentent qu’un scénario parmi tous ceux qui peuvent se produire, comme en témoignent les chocs récents, d’abord géopolitiques, sanitaires, etc. Nous sommes convaincus que notre métier n’est pas de faire des prédictions, mais de permettre à nos clients de mesurer et de maîtriser le risque lié à la non-réalisation des prédictions économiques.
Certains de nos clients ont une capacité à supporter le risque qui est assez importante et peuvent dans ce cas garder des positions ouvertes plus grandes. D’autres au contraire ont un business modèle très sensible à certains paramètres et doivent absolument contrôler les effets de la variabilité de ceux-ci. Notre équipe n’est cependant pas constituée que d’ingénieurs. Nous avons des exigences techniques sur les recrutements, mais nos collaborateurs issus d’autres parcours, des écoles de commerce ou des bonnes universités, sont tout aussi techniques et apportent d’autres compétences. La différence est d’abord une richesse.
Quelle est la recette pour maintenir une entreprise comme celle que tu diriges au niveau d’exigence attendu par tes clients, sur des sujets aussi sensibles ?
C’est un enjeu essentiel dans notre développement. Notre méthode est de favoriser l’intelligence collective : principe de double regard systématique par la formation de binômes-trinômes sur chaque mission ; organisation stricte du partage des connaissance et des enseignements ; principe d’autonomie progressive des consultants conditionnée à une stricte remontée des problèmes rencontrés en vue d’une résolution collective ; implication forte des directeurs et associés dans les échanges.
Et quelles sont les qualités requises pour y parvenir ?
Beaucoup de technicité et l’envie d’apprendre toujours, un vrai sens du service pour chercher en permanence la meilleure solution pour le client, et de la pédagogie pour qu’il se l’approprie, beaucoup d’humilité pour accepter la critique, une forme de générosité pour partager la connaissance.
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