Et voilà pourquoi les filles sont sous-représentées
Après avoir discuté avec différents acteurs de l’École préoccupés par la faible représentation des femmes dans les promotions, notre groupe a décidé de réaliser son Projet scientifique collectif (PSC) sur cette thématique, sous le nom de « Mixité à l’X ».
REPÈRES
Le « Projet scientifique collectif » des élèves de deuxième année se déroule sur huit mois et porte sur un sujet de leur choix. Le but est de se mettre en situation de recherche par groupes d’environ six élèves sur un thème spécifique et avec l’encadrement d’un tuteur.
Un tri préalable
La diversité des sujets était effrayante. Fallait-il s’intéresser au parcours des polytechniciennes avant leur formation à l’X ou après ? Pour remonter le « parcours type » d’une polytechnicienne avant son intégration, fallait-il aller jusqu’au lycée, au collège, à l’école primaire ? Devions-nous nous focaliser sur leur formation à l’X ? Quels points de comparaison devions-nous choisir ? Des parcours plus ou moins féminisés, uniquement des écoles scientifiques ou aussi des formations littéraires et commerciales ? Faire le tri dans toutes ces options était déterminant pour les phases suivantes de nos recherches, en fonction du temps qui nous était imparti.
Trois écoles au banc d’essai
Le sujet s’est concentré sur l’orientation des jeunes filles vers les filières sélectives que l’on intègre après avoir obtenu un baccalauréat scientifique. L’étude s’est focalisée sur trois grandes écoles à la fois scientifiques et sélectives : HEC, AgroParisTech et Polytechnique, bien sûr. Ces trois institutions diffèrent grandement par la féminisation de leurs promotions.
Majoritaires à l’Agro, en parité à HEC, à peine 20% à l’X
Les filles sont très majoritaires à AgroParisTech, elles atteignent la parité avec les garçons à HEC, mais leur présence peine à atteindre 20 % à l’X (moyenne de ces dernières années).
L’objectif de l’étude était donc de trouver une explication au phénomène suivant : pourquoi y a‑t-il une désaffection pour l’X de la part des filles, au profit d’autres écoles et d’autres filières de classes préparatoires, alors que les filles sont majoritaires en terminale scientifique et qu’elles y réussissent mieux en moyenne que les garçons, notamment aux épreuves du baccalauréat ?
Un sujet presque inédit
Nous avons utilisé tous les outils sociologiques proposés par notre tuteur, Pierre François, sociologue et professeur à Sciences-po Paris. Différentes étapes ont alors rythmé notre projet. La première partie a, bien sûr, été un travail bibliographique assez intense, afin de se familiariser avec la recherche sur le sujet. Il existe des articles concernant la situation des filles dans le monde de l’éducation ainsi que des articles sur les écoles les plus prestigieuses. Mais peu de chercheurs se sont concentrés sur la fusion des deux problématiques. Le sujet que nous allions traiter était presque inédit.
Des statistiques sur cinq promotions
Après cette phase de lecture, nous avons commencé à récolter les données propres à notre sujet en utilisant trois méthodes différentes. Nous avons d’abord récolté des données statistiques sur les élèves des écoles. Ces données, détenues par les administrations respectives des établissements, comportent par exemple pour chaque élève, le sexe, l’établissement d’origine, la catégorie socioprofessionnelle des parents et la filière d’entrée au concours. Nous avons pu obtenir ces données sur une période de trois à cinq promotions selon les écoles.
Un questionnaire en ligne
D’autre part, nous avons élaboré un questionnaire mettant en évidence d’éventuels déterminants d’une orientation scolaire différenciée selon les sexes.
Quelques corrections méthodologiques
Les données issues du questionnaire ont dû être traitées avant de pouvoir être exploitables. Les réponses aux questions ouvertes ont été harmonisées pour sortir des informations utiles et comparables. En outre, les filles sont légèrement surreprésentées dans les réponses au questionnaire.
On observe 74% de réponses féminines à Agro (alors qu’elles représentent 65 % de l’effectif) ; 51% à HEC (contre 44%); 19% à Polytechnique (contre 16%).
Nous avons diffusé ce questionnaire par voie électronique aux élèves en cours de scolarité à HEC, à AgroParisTech et à l’X grâce à la participation d’associations d’élèves des différentes écoles. Le questionnaire, comprenant environ quarante questions, est resté en ligne près d’un mois et demi. Les thèmes abordés sont la trajectoire scolaire, le milieu familial, les choix d’orientation, la projection dans l’avenir, l’image de soi-même. Nous avons obtenu au total 1 363 réponses. Quelques-unes, qui n’entraient pas dans le cadre de notre étude, ont été éliminées : il s’agit, par exemple, des réponses des élèves étrangers ou de ceux issus de l’université. Ce processus a ramené le nombre de réponses à 1 136, ce qui correspond à un taux de participation de plus de 40%.
Grâce aux statistiques recueillies précédemment, nous avons pu vérifier que les individus ayant répondu à notre questionnaire constituaient un échantillon représentatif de la population de chaque école, notamment au niveau de la proportion de filles et de la répartition entre les différentes catégories socioprofessionnelles.
Trente-cinq entretiens biographiques
Enfin, nous avons réalisé une série d’entretiens personnalisés avec, soit des élèves en cours de scolarité dans les écoles qui nous intéressaient, soit des élèves suffisamment avancés dans leurs études pour que l’on puisse les considérer comme des candidats potentiels pour intégrer lesdites écoles.
Cerner comment les élèves effectuent leurs choix d’orientation
Il s’agissait d’étudiants en classes préparatoires, en terminale voire en première scientifique. Ils nous ont apporté des informations essentielles pour compléter ce que nous avons pu apprendre via le questionnaire.
Le but de ces entretiens était de faire ressortir des trajectoires et profils types et de cerner plus précisément la manière dont les élèves optent pour leurs choix d’orientation. Nous avons pour cela effectué environ trente-cinq entretiens dans des établissements choisis afin de représenter une certaine diversité : nous avons retenu à la fois des établissements privés et publics, de Paris et de province. Les données issues de ces entretiens ont été traitées par l’ensemble du groupe, chacun se concentrant sur une thématique particulière afin d’essayer de faire émerger des hypothèses pouvant expliquer la différence de représentation féminine dans les écoles étudiées.
Témoignages et statistiques
En regroupant les informations obtenues grâce à ces trois méthodes, nous avons pu obtenir des résultats. Pour parvenir à ces résultats, nous avons émis des hypothèses concernant l’orientation scolaire des filles après un bac scientifique en nous appuyant sur les témoignages d’élèves.
Puis nous avons utilisé le logiciel Stata, qui nous a été prêté par le laboratoire d’économétrie de l’X, pour confirmer ou infirmer ces hypothèses sur notre échantillon statistique.
Aucun prototype professionnel
Le taux de jeunes femmes peu décidées quant à leur avenir est remarquablement élevé à l’École polytechnique : il atteint 70%, chiffre plus élevé que chez les garçons. L’X semble être victime de son insuccès auprès de la gent féminine : le faible nombre de femmes diplômées ne permet pas une éventuelle identification propre à faire naître des vocations féminines.
Les filles qui s’orientent vers une filière scientifique le font par défaut
Cette quasi-absence de références empêche toute projection, pourtant particulièrement décisive pour les choix d’orientation chez les filles. Tout se passe comme si les filles qui s’orientent vers une filière scientifique le faisaient par défaut, pour peu qu’elles s’en sentent capables. Et même parmi les différentes filières possibles à l’issue d’un baccalauréat scientifique, les filles choisissent celles qui suscitent plus de vocations, comme les études de médecine, par exemple. Celles qui nourrissent déjà un certain intérêt pour les sciences possèdent moins de repères dans la filière ingénieur et délaissent ainsi les bancs des classes préparatoires scientifiques au profit des facultés de médecine.
Diversité pour les filles, efficacité pour les garçons
Deuxièmement, les filles semblent rechercher la diversité dans leurs études alors que les garçons s’intéressent plus à l’efficacité et à la rentabilité professionnelle de leur parcours.
L’X ou la médecine
Certains chiffres laissent à penser que les études de médecine constituent une porte de sortie probable pour les étudiantes ayant un profil comparable à celui des polytechniciennes. Par exemple, 10% de ces dernières ont un de leurs parents médecin, contre près de 15% des garçons. Cette différence de cinq points n’existe pas à AgroParisTech ni à HEC.
Cela peut s’expliquer par le fait que la profession de médecin suscite plus facilement une vocation chez les filles et donc que les filles de médecin s’orientent préférentiellement vers cette filière.
Ainsi, quand elles n’éprouvent pas le désir d’exercer un métier particulier, les filles apparaissent plus soucieuses que les garçons de garder un certain équilibre dans leur scolarité. Plus indécises que leurs homologues masculins, elles s’orientent plus volontiers vers les voies qui leur permettent d’éviter une spécialisation trop rapide, délaissant par là même les classes préparatoires scientifiques et leur préférant des formations pluridisciplinaires comme les classes préparatoires commerciales.
Les filles qui se sont tournées vers une formation commerciale ont dû choisir librement leur orientation. Dans un contexte de choix d’orientation plus libre pour les filles, l’étude souligne aussi l’importance de l’influence des professeurs sur ces décisions. Elle est environ deux fois plus grande chez les filles que chez les garçons.
On constate aussi que près d’un tiers des polytechniciennes ont rencontré au cours de leurs études un professeur à l’influence déterminante. Cela conforte l’idée d’un vide relatif laissé par des parents qui s’occuperaient davantage des garçons.
L’ascenseur social est sexiste
Enfin, les filles s’aventurent dans des filières très sélectives à dominante scientifique uniquement si elles sont issues d’un milieu qui les y encourage. Ainsi, les filles étant plus autonomes dans le processus d’orientation que les garçons, elles se tournent plus souvent vers des choix « raisonnés », s’interdisant ainsi l’accession à des milieux dont elles ne font pas partie.
L’influence des parents
Les filles en scolarité à l’X ont plus été encouragées par leurs parents dans cette voie que les filles à HEC dans la leur, alors que les garçons ont fait l’objet du même investissement parental dans les deux écoles.
À l’X, environ 35 % des filles déclarent avoir été encouragées dans ce choix par leurs parents, chiffre quasi identique à celui des garçons, alors qu’elles ne sont que 22% à HEC (contre 35% pour les garçons).
Autrement dit, les filles qui intègrent l’X et HEC viennent plus souvent d’un milieu « d’initiés » que les garçons. Elles regroupent plus de caractéristiques qui favorisent a priori l’intégration dans une grande école prestigieuse. Nous avons pu faire ressortir de nos résultats certaines de ces caractéristiques et nous avons constaté que les filles sont mieux servies dans ces domaines. Par exemple à l’X, 79 % des filles viennent d’une grande classe préparatoire (c’est-à-dire d’un établissement dont proviennent plus de vingt X sur les années concernées par les statistiques obtenues) contre 70% de garçons. De même, 37% des filles proviennent d’une des plus grandes villes d’Île-de- France, contre 28 % des garçons.
Ces différences entre filles et garçons existent aussi à HEC mais sont bien moins marquées. L’ascenseur social est donc sexiste dans le milieu éducatif et il l’est encore plus à l’X qu’à HEC. Les polytechniciennes, qui paraissent peu carriéristes d’après nos résultats, semblent davantage reproduire le schéma social dont elles sont issues.
Leurs voisines d’HEC, quant à elles, doivent faire preuve de plus d’ambition pour intégrer ce milieu auquel elles n’appartiennent pas forcément, ce qui se ressent dans leurs personnalités.
2 Commentaires
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Questions
Votre étude aborde ce mystère qu’est l’orientation, cherche à comprendre ce jeu de balancier subtil entre motivations personnelles et incitation parentale que vit chaque étudiant en devenir. Un grand merci de nous livrer vos conclusions car il s’agit d’une question passionnante, dont la compréhension est cruciale pour aiguiller les actions en faveur de la parité. Toutefois je trouve dommage de devoir rester sur ma faim sur quelques points qui me paraissent importants.
D’une part, une part de flou subsiste au sujet de la spécialisation. Si j’ai bien compris votre thèse, celle-ci est la suivante : davantage laissées à elles-même quant à leur orientation, les filles ont naturellement tendance à éviter la spécialisation en préférant les études les plus diverses. Pourtant il n’y a rien de moins spécialisant que les école d’ingénieurs, et particulièrement Polytechnique. Pour preuve, toutes les formations et écoles que vous mentionnez sont accessibles après Polytechnique, et l’éventail des métiers accessibles à un diplômé d’école d’ingénieur recouvre une large partie des leurs.
Si vous dites que les filles préfèrent naturellement les études gardant une certaine diversité de thème, alors vous rencontrez le paradoxe que ces formations sont, à plus long terme, les plus spécialisantes. C’est ce paradoxe qu’il faudrait éclaircir.
En outre, la forte féminisation d’études très spécialisées, telles que les prépas littéraires ou les licences d’humanités, contredisent la thèse d’une frilosité à la spécialisation en l’absence d’orientation. Peut-être que là il aurait été intéressant de savoir si ces choix s’expliquent par un professeur déterminant.
D’autre part, votre texte semble à deux reprises hésiter.
D’abord sur la filière EC. Vous dites ici « Plus indécises que leurs homologues masculins, elles s’orientent plus volontiers vers […] les classes préparatoires commerciales », et plus loin « Leurs voisines d’HEC, quant à elles, doivent faire preuve de plus d’ambition pour intégrer ce milieu ». Qu’en est-il alors de cette prépa EC ? Choix par défaut ou preuve d’ambition ?
Ensuite sur le choix de filière. Ici « Les filles qui s’orientent vers une filière scientifique le font par défaut », mais là « les filles s’aventurent dans des filières très sélectives à dominante scientifique uniquement si elles sont issues d’un milieu qui les y encourage ». Est-ce que la filière scientifique par défaut dont vous parlez concerne le choix de filière de lycée, et non celui des études supérieuses ?
De plus votre deuxième propos voudrait parler des « filières très sélectives à dominante scientifique », pourtant votre étude n’a pas interrogé de jeunes filles ayant fait de médecine. Or il n’y a plus sélectif et scientifique que la première année de médecine.
On manque de pouvoir conclure sur qui rebute, entre la sélectivité ou la science, lorsque l’orientation manque ou le milieu n’est pas initié.
Je vous remercie d’avance pour toutes précisions.
les filles sont sous-représentées
Exprimé formellement, le discours peut se ramener au texte qui suit :
Considérons une population de n individus que nous partageons en 2 sous ensembles A et B en appliquant un critère X (penser X : longueur du gros orteil > 9 x longueur du pied).
Ajoutons 3 fonctions « concours » F1, F2, F3 : individu –> note sur 20,
les fonctions sont un mix indéfini de la capacité mémoire, de la capacité d’exploration combinatoire, des qualités d’expression, des connaissances, … et d’un tirage aléatoire.
Pour un critère X et 3 fonctions F1, F2, F3 donnés, nous observons que :
Le nombre d’individu a de A tels que F1(a) > 16 = 0.1 cardinal(A)
Le nombre d’individu b de B tels que F1(b) > 16 = 0.03 cardinal(B)
tandis que
Le nombre d’individu a de A tels que F3(a) > 16 = 0.07 cardinal(A)
Le nombre d’individu b de B tels que F3(b) > 16 = 0.07 cardinal(B)
et que pour la fonction F2, les chiffres sont intermédiaires entre ceux de F1 et ceux de F3.
Il semble extraordinaire que selon la pensée orthodoxe de notre temps, la conclusion est « évidemment » que le concours F1 est injuste et le concours F3 est juste.
Pourtant, ce résultat n’indique qu’une chose : il y a une corrélation entre le critère X et la fonction F1 ; une corrélation peut-elle être injuste ?
Poursuivons en faisant varier le critère X de nombreuses fois, et choisissons la fonction F « juste entre les justes » qui donnera toujours la même proportion d’élus :
Quel que soit X, le nombre de a de A tels que F(a) > 16 = 0.07 card(A) et idem pour B.
La fonction F n’est donc corrélée avec aucun des critères X,
Une telle fonction est considérée comme un tirage aléatoire non biaisé.
Doit-on remplacer le concours de l’école polytechnique par une grande loterie ?