Raison d'être des entreprises

État des lieux d’une innovation en cours

Dossier : Raison d'être des entreprisesMagazine N°770 Décembre 2021
Par Kevin LEVILLAIN
Par Alain SCHNAPPER

Que le droit des socié­tés intro­duise de nou­velles formes juri­diques pour l’entreprise n’est pas si fré­quent. Que le légis­la­teur modi­fie les articles fon­da­teurs de la défi­ni­tion de la « socié­té » dans le Code civil est encore plus rare. Mais, que ce soit pour intro­duire la pos­si­bi­li­té, pour les entre­prises, de s’engager juri­di­que­ment sur une fina­li­té d’intérêt col­lec­tif, qui dépasse la réa­li­sa­tion d’un pro­fit, c’est tout à fait inédit.

Et pour­tant, les articles 169 et 176 de la loi dite Pacte (loi n° 2019–486 du 22 mai 2019 rela­tive à la crois­sance et la trans­for­ma­tion des entre­prises), pro­mul­guée en mai 2019, révisent la struc­ture juri­dique de l’entreprise éta­blie depuis deux siècles : la socié­té com­mer­ciale. Pre­mière inno­va­tion, le Code civil recon­naît désor­mais que la socié­té n’est pas qu’une affaire d’associés : elle doit au contraire être « gérée » pour prendre « en consi­dé­ra­tion les enjeux sociaux et environ­nementaux de son acti­vi­té ». Deuxième inno­va­tion, la loi intro­duit la notion de « rai­son d’être », qui per­met à toute socié­té de s’engager sur une fina­li­té dans ses propres statuts.
Et, troi­sième inno­va­tion, elle éta­blit avec la qua­li­té de « socié­té à mis­sion » un modèle de gou­ver­nance exi­geant, qui asso­cie à la rai­son d’être des objec­tifs sociaux et environ­nementaux choi­sis par l’entreprise, ain­si qu’un méca­nisme de contrôle inédit : interne avec le comi­té de mis­sion et externe avec un orga­nisme tiers indépendant.

Ces trois nou­veau­tés font de la France une pion­nière des modèles de gou­ver­nance pour l’entreprise res­pon­sable. Les pre­mières entre­prises à avoir chan­gé leur sta­tut inventent la pra­tique qui donne vie aux nou­velles dis­po­si­tions légales, et en éprouvent les enjeux. Et le moment est cru­cial : les rap­ports publics d’évaluation se mul­ti­plient pour sai­sir la por­tée effec­tive de la loi, alors que cer­tains mana­gers comptent sur ces nou­veaux enga­ge­ments pour pro­té­ger bud­gets d’innovation et pro­jets socié­taux contre les aléas de l’actionnariat, et que se consti­tue le pou­voir poten­tiel du comi­té de mis­sion face au conseil d’administration. Com­ment expli­quer ces inno­va­tions juri­diques et sur quels fon­de­ments théo­riques reposent-elles ? Com­ment les chefs d’entreprise pion­niers expliquent-ils leur enga­ge­ment et comptent-ils trans­for­mer leur entre­prise ? Quel est l’état des lieux en France de ce déploiement ?

L’ambition du pré­sent dos­sier est d’éclairer ces ques­tions par le point de vue des cher­cheurs qui ont par­ti­ci­pé à l’exploration de ces nou­veaux concepts et par celui des diri­geants qui les font vivre.

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