Étude de l’association Espaces pour demain relative à la répartition des sols en France en 2050
L’association Espaces pour demain, créée en 1976 à l’initiative, notamment, du journaliste Louis BERIOT, a toujours situé ses actions dans le domaine de la protection de l’environnement. Plus précisément, pendant une vingtaine d’années (depuis 1985), elle s’est consacrée à la conciliation des impératifs écologiques et économiques, ce qui l’a amenée à s’intéresser, dès 1992, à l’avenir du territoire national. L’association Espaces pour demain est aujourd’hui fusionnée avec la Ligue urbaine et rurale. Son dernier président a été Pierre DELAPORTE (49), ancien président d’EDF.
Préambule
Devant l’explosion, dans les années quatre-vingt-dix, d’une série d’opinions aussi péremptoires que définitives exprimées dans les médias telles que :
- sauvons la forêt française,
- vive le pétrole vert, la France n’a pas de pétrole mais elle a des idées,
- le manque d’espaces bloquera la croissance urbaine et le développement des infrastructures,
les membres de l’association Espaces pour demain se sont légitimement interrogés sur la pertinence de ces affirmations énoncées même parfois sous forme de slogans.
Dans cette perspective l’association a décidé dès 1992 de lancer une étude sur la répartition des sols en France à l’horizon 2050.
Il ne peut être question dans le cadre de cet article d’évoquer, même d’une manière succincte, toutes les conclusions et recommandations de cette étude aussi nous nous bornerons à une courte présentation focalisée sur la méthodologie employée et les principaux résultats obtenus.
Organisation
Le dispositif mis en œuvre comprenait :
- un groupe de travail composé d’une quinzaine de membres permanents ;
- une pléiade d’intervenants occasionnels d’origines les plus diverses1, susceptibles d’apporter un éclairage original et remarquable sur tel ou tel aspect des problèmes étudiés ;
- enfin un comité de rédaction, directement animé par l’association, regroupait thésards et bénévoles.
Au total, une quarantaine de personnalités et d’experts, agissant à titre personnel et en toute liberté intellectuelle, a participé aux travaux.
Méthodologie
Le caractère très ambitieux de l’horizon embrassé (cinquante-huit ans) a eu deux corollaires importants :
- la mise en œuvre d’un principe assez connu selon lequel une solide étude de rétrospective est un préambule très utile, voire indispensable, à une saine prospective,
- la partie rétrospective de l’étude a consisté à remonter jusqu’en 1850, parce que c’est vers cette époque qu’avec l’essor des sciences et des techniques ont commencé l’exode agricole, le développement de l’industrie, la croissance des villes, marquant ainsi le début d’une phase nouvelle de l’histoire de l’occupation des sols et des paysages en France.
La nécessité d’encadrer la prospective de base, qui sera évoquée ci-après, par une sorte de « test de sensibilité » consistant à envisager non plus le maintien, pour l’essentiel, du système économique, social et institutionnel que nous connaissons aujourd’hui (hypothèse de la prospective de base), mais deux variantes extrêmes :
- la « recherche permanente du profit à court terme » (que d’aucuns auraient appelé « ultra-libéralisme ») sans grande préoccupation du long terme, sans ménagements particuliers pour la ressource sol qu’elle soit qualitative (épuisement, dégradation) ou quantitative (équilibre du territoire) ;
- l’écologie profonde (plus connue sous sa version anglaise « deep ecology ») consistant à rejeter la démarche anthropocentrique qui nous est familière, en particulier depuis le XVIIIe siècle, au profit d’une primauté accordée à la préservation de la biosphère, des écosystèmes.
Rétrospective
La rétrospective 1850–1990 a conduit à souligner quelques données (en principe connues) telles que :
- la très forte réduction de la population active agricole, aussi bien en valeur absolue qu’en valeur relative (par rapport à la population active totale) ;
- l’absence, en dépit de cette réduction de la population active agricole, de réduction significative de la surface agricole utilisée (S.A.U.) grâce à une très forte augmentation de la productivité de l’agriculture ;
- l’augmentation importante de la surface boisée ;
- le rétrécissement ressenti de l’espace, grâce aux progrès des moyens de transport.
Facteurs d’évolution
Les facteurs d’évolution, calés sur l’étude rétrospective puis utilisés pour la prospective, ont été récapitulés en trois familles :
- population (nombre, composition, répartition sur le territoire),
- techniques (transports et télécommunications – énergie – agronomie),
- administration et aménagement du territoire (décentralisation – Europe – espaces protégés).
Quelques résultats
En matière de démographie la situation au milieu du XXIe siècle sera fortement influencée par les politiques publiques à venir (politique familiale – politique d’immigration) ce qui a conduit à une fourchette assez large de 47 à 70 millions.
En ce qui concerne la population active agricole, la poursuite de sa baisse apparaît inéluctable, mais accompagnée de mutations profondes, en particulier sur le plan de la qualification.
Sur un plan plus général, quelques tendances lourdes ont pu être dégagées :
- poursuite, notamment sous l’impulsion de l’Union européenne d’une politique d’aménagement du territoire, en particulier en faveur des zones rurales,
- poursuite du développement des sites et espaces protégés,
- poursuite d’une certaine diminution de la S.A.U. qui pourrait tendre vers 28 millions d’hectares (contre un peu plus de 30 aujourd’hui).
Les facteurs de cette évolution sont cependant complexes, les progrès techniques (avec ou sans OGM) tendent à la réduction ; les cultures industrielles (filière amidon, filière biocarburants) tendent à freiner cette réduction.
Le développement ainsi amorcé (et d’ailleurs volontariste) des biocarburants ne pourra cependant jamais constituer un apport énergétique du même ordre de grandeur que l’actuelle consommation de pétrole, tant s’en faut. Force sera donc d’avoir recours à d’autres sources d’énergie, y compris le nucléaire.
Enfin on peut prévoir que la surface boisée continuera à croître à un rythme de l’ordre de 1 % du territoire tous les dix ans, ce qui l’amènerait vers 2050 à un tiers du territoire, soit 17,6 millions d’hectares (contre un plus de 15 actuellement).
Quelques enseignements
La France dispose de l’espace nécessaire, hormis peut-être le long du couloir rhénan et surtout rhodanien, pour permettre son développement harmonieux sans que pour autant soit négligée l’impérieuse nécessité du maintien en bon état du patrimoine national.
Jamais, depuis de nombreux siècles, la forêt française n’a été en aussi bonne santé sur une surface aussi importante.
Le pétrole vert, pour intéressant qu’il soit, ne pourra constituer à lui seul une alternative au pétrole quand se feront sentir, dans les années 2050, les premiers frémissements de l’arrivée de l’ère postpétrolière.
Le territoire français, fertile, varié, vaste et susceptible d’utilisations multiples, souvent réversibles (exemple : reforestation de surfaces agricoles devenues excédentaires) constitue un atout considérable.
Cependant, les variations évoquées ci-dessus dans la partie méthodologique à titre de test de sensibilité constituent des sujets de préoccupations : une évolution dans le sens de l’une d’entre elles (même sans aller jusqu’au bout de ses postulats) pourrait compromettre gravement les potentialités de notre territoire, en le saccageant ou en le stérilisant. Ces variantes apparaissent donc comme des dérives dangereuses2.
En guise de conclusion
Tout ou partie des résultats d’une étude qui remonte maintenant à plus de dix ans mériterait sans doute d’être nuancés ou complétés.
Il apparaissait cependant intéressant, dans la conjoncture actuelle, de rappeler cette étude, qui témoigne de la rémanence des préoccupations qui conduisent aujourd’hui à leur consacrer un numéro thématique de La Jaune et la Rouge.
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1. Hauts fonctionnaires et experts du Commissariat général au Plan du ministère de l’Équipement plus spécialement du C.G.P.C., du ministère de l’Agriculture plus spécialement du C.G.G.R.E.F. et du service statistiques, du ministère de l’Environnement, du Conseil national du Tourisme ; cadres dirigeants de la S.N.C.F., de La Poste, de France Télécom, d’EDF, de l’O.N.F. mais aussi de diverses organisations professionnelles agricoles ; professeurs d’universités, chercheurs notamment de l’I.N.R.A.
2. Une citation d’Hubert REEVES « Il faut à la fois préserver l’industrie qui nous fait vivre et la nature qui nous permet de vivre » constituait la devise de l’association Espaces pour demain. Il s’agit, en substance, d’une profession de foi pour le développement durable.