étymologie à propos de l'hydroélectricité

Étymologie :
À propos de l’hydro­électricité

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Pierre AVENAS (X65)

Dans ses Har­mo­nies de la Nature (1815), Ber­nar­din de Saint-Pierre qua­li­fie d’hydro-élec­trique le som­met des mon­tagnes « parce qu’ils attirent à la fois le feu et l’eau », c’est-à-dire la foudre et la pluie. D’autre part, on qua­li­fiait d’hydro-élec­trique la pile inven­tée en 1800 par Ales­san­dro Vol­ta, consti­tuée effec­ti­ve­ment d’un empi­le­ment de ron­delles de métaux sépa­rées par des chif­fons impré­gnés d’une solu­tion aqueuse. À l’opposé des géné­ra­teurs élec­tro­sta­tiques exis­tants, cette pile élec­trique néces­si­tait de l’eau, d’où le qua­li­fi­ca­tif hydro-élec­trique, encore employé par Hen­ri Poin­ca­ré en 1892.

Cepen­dant, ce qui pré­cède n’a rien à voir avec l’hydro­élec­tri­ci­té objet du pré­sent dos­sier, appa­rue avec les pre­mières cen­trales hydro­élec­triques dans les années 1880 en Europe, en Amé­rique du Nord, en Inde… et l’anglais hydro-elec­tri­ci­ty est attes­té dans ce contexte en 1904. Le pré­fixe hydro- est d’origine grecque (cf. Éty­mo­lo­giX d’octobre 2024 à pro­pos de l’eau) et le mot élec­tri­ci­té éga­le­ment, comme on va le voir.

Le brillant du soleil, de l’ambre jaune et de l’électrum

Le point de départ est l’adjectif grec êlek­tôr « brillant », qui qua­li­fiait le feu en tant qu’élément et sur­tout le soleil lumi­neux. D’êlek­tôr dérive le grec êlek­tron, dési­gnant l’ambre jaune. Selon la légende, les filles du Soleil, les Héliades, pleu­raient la mort de leur frère et leurs larmes sont deve­nues des perles d’ambre jaune. Le grec êlec­tron dési­gnait aus­si par ana­lo­gie un alliage d’or et d’argent, d’un même jaune brillant que l’ambre jaune. Selon Pline, « Lorsque la pro­por­tion d’argent est d’un cin­quième, le métal s’appelle elec­trum », d’où élec­trum, le nom de l’alliage d’or et d’argent uti­li­sé dans l’Antiquité pour les pièces de mon­naie, les bijoux ou les pyra­mi­dions des obé­lisques en Égypte.

De l’ambre gris à l’ambre jaune et à l’électricité

Le mot ambre lui-même, venant de l’arabe ‘anbar, désigne dès le XIIe siècle la sub­stance mus­quée reje­tée à la mer par les céta­cés, c’est-à-dire l’ambre gris. À par­tir du XVIIe siècle, ce mot s’est appli­qué aus­si à l’ambre jaune, par ana­lo­gie entre les deux sub­stances récol­tées à la sur­face de la mer ou sur les plages, notam­ment sur et autour de la Baltique.

Ain­si, le latin elec­trum (ou ses déri­vés en bas latin et ancien fran­çais) ne désigne plus l’ambre jaune depuis long­temps, et pour­tant c’est dans ce sens ancien qu’il a un pro­lon­ge­ment vers les mots de l’élec­tri­ci­té. En effet, les humains ont remar­qué depuis tou­jours les mani­fes­ta­tions de l’électricité sta­tique. Pline écrit dans le Livre XXXVII, le der­nier de son His­toire natu­relle : « Quand [l’ambre jaune] reçoit des doigts qui le frottent une bouf­fée de cha­leur, il attire à lui les pailles, les feuilles sèches et les écorces, comme la pierre magné­tique attire le fer. » Ce paral­lèle entre l’électrostatique et le magné­tisme semble annon­cer l’électromagnétisme !

Beau­coup plus tard, le phy­si­cien anglais William Gil­bert a eu l’idée en 1600 de s’inspirer du nom gré­co-latin de l’ambre jaune pour créer l’adjectif elec­tri­cus, qua­li­fiant ce pou­voir d’attraction non magné­tique. De là viennent en anglais elec­tric (1626), elec­tri­ci­ty (1646), mots emprun­tés par la plu­part des autres langues.

Épilogue

La struc­ture de l’atome n’a été com­prise qu’à la toute fin du XVIIIe siècle : un noyau posi­tif entou­ré de par­ti­cules néga­tives, aux­quelles le phy­si­cien anglais J. J. Thom­son a don­né en 1897 le nom elec­tron, presque uni­ver­sel. Du grec êlek­tron, nom de l’ambre jaune à l’élec­tron de l’électronique, la boucle était bouclée.


En illus­tra­tion : L’image, adap­tée d’un docu­ment d’Hydro-Québec, illustre le cycle de l’eau et les échanges entre les dif­fé­rentes éner­gies, qui reviennent fina­le­ment à conver­tir l’énergie solaire en pro­duc­tion hydro­élec­trique. L’image illustre aus­si la vision poé­ti­co-mys­tique de Ber­nar­din de Saint Pierre, qui qua­li­fiait les mon­tagnes de sources hydro-élec­triques des rivières.

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