Étymologie : À propos de la défense
La langue latine avait à l’origine deux mots pour les dispositifs et engins militaires : telum pour les offensifs, tels qu’un javelot ou une lance, et arma pour les défensifs, tels qu’une muraille ou un glaive (cf. l’ÉtymologiX d’avril 2018). Il se trouve que telum n’a pas laissé de trace en français, alors qu’arma a prospéré, désignant à l’origine un armement défensif, puis finalement une arme en général. Il reste que le rôle essentiel d’une armée est bien la défense d’un pays, ce qui nécessite parfois de passer à l’offensive.
En latin, un verbe qui n’existe que préfixé
Le verbe défendre vient du latin defendere « repousser, écarter », d’abord par les armes, puis dans un débat par la parole, de même qu’offenser vient du latin offendere « heurter, blesser », au propre puis au figuré. Le latin avait aussi infendere « attaquer », sans descendance en français. Avec defendere, offendere, infendere, on s’attend à trouver le verbe simple, *fendere, préfixé avec de-, of- (de ob-) et in-, et dont le sens premier devrait être « frapper ». Un tel verbe pourtant n’apparaît pas en latin.
Le participe passé de defendere étant defensum, on trouve en français : défense, défenseur, défensif, ainsi que défendre, défendeur (en droit)… Les mots sont analogues dans les autres langues romanes, comme en espagnol, defensa, defensor, defensivo, ainsi que defender, defendido… et aussi en anglais, par ses emprunts à l’ancien français, avec une singularité.
En anglais, des mots abrégés
En anglais, à côté des mots analogues aux français, defence (Brit.) ou defense (US) – excepté tusk « défense d’éléphant » –, defensive, defensible, to defend, defender, defendant « défendeur », l’usage courant a fait émerger des mots plus inattendus : le verbe to fend et fence, abréviations (aphérèses) du verbe to defend et de defence. Ces mots s’emploient dans des usages assez familiers tels que to fend for oneself « se débrouiller tout seul », to fend off « repousser, éluder » et fender désigne divers objets protecteurs tels qu’un pare-feu ou une aile de voiture. On trouve aussi fence « barrière, palissade » et to fence « pratiquer l’escrime », fencing « escrime ». Comme si l’anglais tenait compte du verbe simple *fendere, pourtant absent de l’usage en latin.
En français, une ressemblance trompeuse
L’anglais fence vient de defence, mais il n’y a pas de rapport entre fendre et défendre, même s’il faut pourfendre son ennemi pour se défendre.
Le verbe fendre vient en effet du latin findere « fendre, diviser », dont le participe passé est fissum, d’où fissure, fission… et les verbes *fendere et findere se rattachent à deux racines indo-européennes distinctes. Ainsi, *fendere (racine *ghwen-) est lié entre autres au grec phonos « meurtre » et findere (racine *bhid-) entre autres à l’anglais to bite « mordre ».
Épilogue
Étymologiquement, défendre consiste à repousser par la force, c’est la défense militaire, et par analogie, comme en latin, la notion de défense s’applique à d’autres domaines, dont le judiciaire. C’est l’inverse en allemand avec Verteidigung, qui est d’abord la défense judiciaire, d’où la défense en général, y compris militaire. Dans Verteidigung en effet, l’élément -teidig- se relie à Tag « jour », ici « session, ordre du jour » et à Ding « affaire », ce qui évoque la défense d’une cause au tribunal. L’autre mot allemand pour la défense, Abwehr, comme dans Immunabwehr « défense immunitaire », se relie à la notion de barrière.
La défense sous toutes ses formes.