Étymologie :
À propos de la douance
L’adjectif surdoué, spécialement à propos d’un enfant, est apparu dans le Petit Larousse 1977. Il correspond à l’anglais gifted, d’où giftedness « aptitude intellectuelle très élevée », que l’autorité linguistique du Québec a recommandé en 1984 de traduire en français par douance. L’emploi de ce mot s’est alors développé au Canada, puis en France, et il entre dans le Petit Larousse 2021 avec la définition : qualité d’une personne surdouée, spécialement d’un enfant. Les mots douance, doué se relient à la même racine que don, mais par un chemin différent.
Le don, la dot et la dose
Le mot don vient du latin donum, lui-même du verbe dare « donner, offrir ». Le don est désintéressé et dans un sens figuré, le don manifesté par une personne est une aptitude innée, que lui a donnée en quelque sorte… la nature.
D’autre part, doué est le participe de douer, dérivant lui-même du verbe doter, concernant d’abord la dot, ce qui, étonnamment, nous situe dans le domaine matrimonial. En effet en latin dos, dotis est la dot, le plus souvent apportée par la mariée au marié, et parfois par le marié à la famille de la mariée, d’où le verbe dotare, en français doter, dans le sens d’accorder une dot. Puis le sens de dos et celui de dotare se sont élargis jusqu’à concerner les qualités d’une personne, d’où en français doter « munir de », et au figuré douer comme pour l’être humain doué de parole, ou une personne douée dans un domaine. Toutefois, l’origine matrimoniale se voyait encore lorsque douer signifiait au XIIe siècle « accorder un douaire », le douaire étant constitué des biens laissés par le mari à sa veuve, la douairière.
À côté des verbes donner et doter, douer, il faut évoquer le verbe doser. En effet, la même racine indo-européenne *do- se manifeste sous trois formes principales : 1. grec dôron, latin donum, d’où don, donner… 2. grec dôs, latin dos, d’où dot, doter, douer… et 3. grec dosis, latin médiéval dosis, d’où dose, doser… quand on donne un remède… ou un poison.
Un don est bien dosé chez une personne douée, mais il est, si l’on veut, surdosé chez une personne surdouée. Tout est une question de dose. Un don est un cadeau, s’il est surdosé il peut devenir un cadeau empoisonné.
Et dans les langues germaniques ?
Dans ces langues, il se trouve que la racine *do- n’apparaît pas. Son rôle est joué par la racine germanique *geban, à laquelle se rattachent l’anglais to give « donner », gift « cadeau, don », gifted « doué », ainsi que l’allemand geben « donner », Gabe « cadeau, don », begabt « doué », et l’allemand va plus loin avec Mitgift « dot » et Gift « (dose de) poison ». Les langues scandinaves ont l’équivalent, par exemple en danois/suédois, give/ge « donner », gave/gåva « cadeau, don », begavet/begåvad « doué », hemgift « dot », gift « poison », mais elles vont encore plus loin que l’allemand, avec gift « marié, mariée ». Ainsi, l’anglais gift « cadeau », le danois gift « marié » et l’allemand Gift « poison » sont en ligne avec les mots don, dot et dose.
Épilogue
Toujours dans le Petit Larousse 2021, à zèbre, après le sens 1, l’animal, et le sens 2 familier et datant du XIXe siècle, individu bizarre, apparaît le sens 3, personne (enfant spécialement) surdouée. Ce sens 3, relatif à la douance, est dû à la psychologue française Jeanne Siaud-Facchin, qui évite ainsi des termes plus pesants (surdoué, haut potentiel ou précoce) tout en admettant un rapport avec le « drôle de zèbre » du sens 2, lui-même inspiré par l’animal, original et rétif.
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