Étymologie :
À propos de la mode
L’étymologie serait-elle à la mode ? Peut-être un peu grâce aux dictionnaires et autres ouvrages grand public mettant en avant l’étymologie, discipline que l’on peut voir comme un mode de pensée, une façon originale d’aborder les sujets. À la fois une mode et un mode, venant dans les deux cas du même mot latin, modus, masculin.
Du concret et de l’abstrait
La racine indo-européenne *med- « penser, réfléchir », visible dans méditation, prend des sens particuliers comme « soigner », dans médecine (cf. Étymologix de janvier 2018) ou ici « mesure », dans le latin modus, lui-même utilisé dans des domaines variés.
Concrètement, modus désignait 1. un moyen de mesure, ou 2. la mesure elle-même, d’une étendue (agricole), ou encore 3. la mesure qui rythme la musique. Dans un sens abstrait, modus représentait 4. la juste mesure, ou aussi 5. la (bonne) manière, la façon d’être ou de faire. Enfin Quintilien, grammairien romain du Ier siècle, nommait modus 6. une forme verbale. La racine *med- a d’autres prolongements vers le latin mensura « mesurage, mensuration », et même le latin mos, au pluriel mores « mœurs ».
De modus dans tous ses sens provient une vaste famille de mots latins, puis français. Ainsi de modus 1. vient le muid (du latin modius), ancienne mesure de capacité. De modus 2. dérive modulus, d’où en français les doublets module et moule (ancien français modle), auxquels s’ajoute modèle (ancien français modelle), emprunt à l’italien modello, du bas latin modellus. Le sens musical 3. subsiste dans la musique modale, dont est issue la musique tonale écrite en mode majeur ou mineur. Le sens moral 4. se voit dès le latin dans moderatus « modéré, mesuré », modestus « modeste », modicus « modique » ou commodus (cum + modus) « convenable, commode », et le sens 6. aboutit en grammaire au mode d’un verbe, tel que l’indicatif.
Enfin, du sens 5. de modus, « manière », dérivent en latin modificare « régler selon une mesure, modifier », modernus « moderne » et donc le ou la mode, objet de cet article.
De la mode durable… à la mode éphémère
Le mot mode était d’abord féminin, attesté fin XIVe siècle, la mode étant alors une manière collective de vivre, propre à une région, à une époque d’une certaine durée, de l’ordre de la décennie ou du siècle. Dans ce sens ancien, une mode faisait partie des mœurs. Ainsi, la mode est ancestrale dans des expressions comme la parenté à la mode de Bretagne, ou le bœuf (à la) mode, ou la manière de planter les choux à la mode de chez nous ! Mais le masculin (cf. le latin) s’est imposé pour le mode en musique, en grammaire ou en mathématiques, et dans des usages tels que le mode d’action, le mode d’emploi… et finalement aussi le mode de vie, expression qui a supplanté la mode de nature durable. Et, depuis le début du XIXe siècle, la mode désigne des habitudes, vestimentaires ou autres, de plus courte durée, d’une année parfois, voire moins, la mode du jour.
Épilogue
L’anglais a emprunté de nombreux mots issus de modus, souvent par l’ancien français : module, mould, model, moderate, modest, modify, modern, modal… et mode, pour « le mode », mais pas pour « la mode », qui se dit fashion, de l’anglo-normand venant du latin factio « façon, manière de faire ». L’allemand a moins de mots issus de modus, mais die Mode « la mode » vient du français. De mode dérive modiste, en allemand Modist, mais en anglais milliner, du nom de Milan, un hommage à la mode (moda en italien) des chapeaux d’Italie. Des caprices étymologiques de la mode !