Étymologie :
À propos de l’eau
Pour Thalès de Milet (VIe siècle av. J.-C.), l’eau était l’élément initial à l’origine de toutes les substances de l’Univers. Puis pour Empédocle (Ve siècle av. J.-C.), l’eau n’était plus que l’un des quatre éléments premiers, à côté du feu, de l’air et de la terre, selon la théorie qui a été confortée au siècle suivant par Aristote, et qui ne sera remise en cause que vingt-deux siècles plus tard par Lavoisier dans son Traité élémentaire de chimie (1789) : depuis lors, l’eau (H2O) est un composé de deux éléments chimiques, l’hydrogène (H) et l’oxygène (O).
L’eau en tant que matière
La racine indo-européenne *wodōr s’applique à l’eau en général. Elle est bien visible dans le grec ancien hudôr, désignant l’eau, qu’elle soit de mer, de rivière, de pluie ou autre. Le préfixe grec hudro- « relatif à l’eau », déjà utilisé en grec, devient hydro- en latin puis en français, anglais, etc., comme dans le mot hydrogène (cf. ÉtymologiX de mai 2024).
La racine *wodōr est visible également dans les langues germaniques (anglais water, allemand Wasser…) et slaves (presque partout voda, comme en polonais ou en russe водá).
Le comble c’est qu’en grec moderne l’eau se dit autrement, nero, du grec nearon hudôr, « eau douce », de nearos, « nouveau » : l’idée est que l’eau douce, étant issue d’une source, est nouvelle (cf. en anglais fresh water « eau douce »).
D’autre part, on connaît bien le latin aqua « eau », manifestement sans rapport avec *wodōr. Cette racine n’aurait-elle laissé aucune trace en latin ? Bien au contraire, elle est visible dans le latin unda, nom poétique de l’eau, qui désignait à l’origine l’eau agitée de remous, de vagues. De là vient le français onde, pour l’eau en langage poétique, et à l’origine d’une famille de mots : ondée, inonder (du latin inundare), ondoyer (avec l’eau baptismale), et, dans des sens figurés, abonder, abondance (du latin abundare, d’abord « être riche en eau ») et redondance (du latin redundare d’abord « déborder d’eau »). On s’éloigne vraiment de l’eau en ne considérant que ses vagues, sa surface sinueuse, pour ne pas dire sinusoïdale : onde prend alors un sens général en physique, qu’elle soit acoustique, sismique, électromagnétique, gravitationnelle…
L’eau courante des rivières et des fleuves
Quant au latin aqua, il ne se relie qu’à un mot d’une langue germanique ancienne, le gotique ahwa « cours d’eau ». Ce sont des emprunts probables à une langue non indo-européenne. La consonne [k] du latin est renforcée dans le nom de l’eau en italien, acqua, et atténuée en espagnol, agua, mais en français l’évolution phonétique est plus radicale.
En effet, du latin aqua vient l’ancien français egua, puis ewe, prenant surtout dans l’ouest de la France la forme eve (visible dans le nom de l’évier) et devenant ensuite eaue, d’où finalement, eau. Par ailleurs, dans le Midi, on employait le nom aigue (cf. le provençal aigo, « eau »), qui transparaît dans le nom de l’aigue-marine, une pierre de la couleur de l’eau de mer, ainsi que dans une multitude de toponymes comme Aigues-Mortes, Aigues-Vives, Aiguebelle, à côté des noms comme Aix, Ax venant directement d’aqua.
Épilogue
Revenons au préfixe hydr(o)-. Il est trompeur car il s’emploie souvent en chimie dans le sens de « relatif à l’hydrogène ». Ainsi l’hydroélectricité est de l’électricité produite avec de l’eau, mais un hydrocarbure est un composé de carbone et d’hydrogène. De même en chimie, un hydrate contient de l’eau mais un hydrure contient de l’hydrogène, comme l’eau elle-même, qualifiée plaisamment d’hydrure d’oxygène.