Étymologie,
À propos de l’expertise judiciaire
L’expertise judiciaire est d’abord une expertise, celle d’un expert, qui doit avoir de l’expérience, des mots qui appartiennent à la même famille étymologique, une grande famille comportant d’intéressantes ramifications comme nous allons le voir.
L’expertise, l’expérience et l’expérimentation
Le point de départ est l’adjectif latin peritus « expérimenté, habile », qui se relie au grec peira « tentative, mise à l’épreuve », dont dérivent empeiria « expérience », empeirikos « d’après l’expérience », d’où empirique. Ces mots se rattachent à une vaste racine *per- « aller de l’avant, pénétrer dans ».
Revenons à peritus, qui est le participe passé d’un verbe non attesté *periri, signifiant « éprouver, essayer », disparu sous cette forme simple, mais continué dans le même sens sous la forme préfixée experiri, dont provient tout un vocabulaire latin, puis français :
- De son participe présent, experiens « entreprenant », dérive experientia « essai, tentative » d’où expérience.
- Du nom obtenu avec le suffixe -mentum, experimentum « essai, preuve par l’expérience » dérive experimentare, d’où expérimenter, expérimenté, expérimentation, ainsi qu’expérimental par le latin médiéval experimentalis.
- Enfin de son participe passé expertus « éprouvé » vient expert, puis expertise.
Remarquons ici que si l’expérience 1 (au sens de l’expertise) est rassurante, une expérience 2 (au sens d’une expérimentation) peut être inquiétante, et cela explique l’apparition de termes à connotation négative dans la suite.
Incidemment, l’anglais a emprunté à l’ancien français l’essentiel de ce vocabulaire, avec des nuances comme la distinction entre experience « expérience 1 » et experiment « expérience 2 ».
L’impéritie, le péril et le risque de péricliter
En latin, de peritus dérive peritia « connaissance par l’expérience », et les mots contraires sont imperitus et imperitia. Il se trouve que, de ces quatre mots, un seul est passé en français, impéritie, qui est donc synonyme d’inexpérience.
D’autre part, du verbe supposé *periri dérive aussi periculum, avec le suffixe -(i)culus, à valeur diminutive ou péjorative. En effet, le mot periculum, au tout premier sens « essai, expérience », signifie plus couramment « danger, risque, péril », d’où en français péril, périlleux (du latin periculosus).
Et de periculum dérive le verbe periculari, ainsi que son fréquentatif periclitari, signifiant d’abord « faire un essai, essayer » puis surtout « être en danger, mettre en danger ». De là vient en français péricliter. Et finalement périr ? Non, car périr vient du latin perire, formé de per « à travers » et ire « aller », c’est-à-dire « aller au-delà, trépasser » (encore que le préfixe per relève tout de même de la racine *per- évoquée plus haut).
Notons enfin que periculum désignait aussi le péril couru en justice, c’est-à-dire le risque de perdre un procès, ce qui nous amène à l’expertise judiciaire.
Juridique ou judiciaire ?
Les adjectifs latins juridicus et judiciarius sont tous deux issus de jus, juris « droit » et dicare « dire » (d’où en latin, judicare « dire le droit, juger », judicium « procès »). L’expert juridique « dit le droit » en tant que spécialiste de cette discipline, alors que l’expert judiciaire donne des avis techniques sur les points litigieux, y compris devant le juge.
Épilogue
Pour un expérimentateur audacieux, il est bon d’avoir un expert judiciaire aussi expérimenté que judicieux, pour écarter les risques et périls à caractère juridique.