Étymologie : À propos de l’histoire
Le mot histoire vient du latin historia, lui-même du grec historia (historiê en forme ionienne), mais l’histoire de ce mot est plus compliquée que cela.
Un mot grec aux origines complexes
Le grec historia est dérivé de istôr « témoin », formé, avec l’initiale ist- de iste « vous savez », sur le verbe eidenai « savoir ». Ce verbe, comme le latin videre « voir », le sanskrit veda « savoir », relève de la racine indo-européenne *weid-, signifiant à la fois « voir » et « savoir ». En grec, istôr est donc celui qui sait parce qu’il a vu, et historia est d’abord la « recherche d’information », l’« enquête », puis le « récit de ce qu’on a appris ». Ainsi, le titre grec Historia, d’Hérodote au milieu du Ve siècle avant J.-C., se traduit par Histoires car il s’agit d’une suite de récits distincts, mais plutôt aujourd’hui par L’Enquête. Ensuite, historia, d’où historiographia « travail d’historien », prend aussi le sens de la grande histoire, surtout à partir de l’œuvre de Thucydide à la fin de ce Ve siècle.
La grande et les petites histoires en latin
Le latin historia, emprunté au grec par Cicéron, désigne un récit, soit d’une grande histoire suivie et cohérente, soit d’un épisode de portée plus limitée. Ainsi, au début du iie siècle, le titre de Tacite est au pluriel Historiae. Cependant, le latin historia s’emploie aussi dans un sens populaire d’anecdote, de racontar, voire de mensonge. Cela se retrouve dans l’usage actuel du mot histoire en français, désignant à la fois la grande histoire, la discipline des historiens, et les petites histoires de toutes natures. En anglais, c’est différent.
Du latin historia à histoire, history, story, storia…
Le latin historia s’altère en bas latin en istoria, storia, d’où en italien storia « histoire ». De ce bas latin viennent aussi en français du début XIIe siècle istorie, storie, emprunté, via l’anglo-normand, par l’anglais story. Enfin, la forme histoire, refaite sur le latin classique, est attestée en 1462 et le passage continu du français à travers la Manche aboutit à l’anglais history.
L’anglais a ainsi deux mots : history pour la grande histoire et story pour les petites, mot revenu en français dans les dictionnaires avec storyboard pour le cinéma (scénarimage selon l’Académie !), storytelling, et même story, entré dans Le Petit Robert 2021 pour une petite histoire postée sur les réseaux sociaux. Pourquoi pas storie, alors ?
Alors que l’italien n’a que storia, le français histoire, l’anglais trouve encore un moyen d’avoir deux fois plus de mots que les autres… avec en outre storey, qui réserve une étymologie-surprise.
… et à l’anglais stor(e)y
On connaît storey (brit.) ou story (US) au sens d’« étage », et on peut penser qu’il s’agit d’une pure coïncidence avec story « histoire ». Mais pas du tout. En latin tardif utilisé surtout en architecture religieuse, historia désignait une rangée de vitraux ou de sculptures sur un édifice, racontant en quelque sorte une histoire. De là, le mot a désigné un niveau de l’édifice et finalement un étage, d’où le sens aujourd’hui de stor(e)y.
C’est la même idée pour le verbe français historier qui a d’abord signifié « raconter une histoire », puis « décorer par des scènes racontant une histoire ou par des ornements divers », sens conservé aujourd’hui : par exemple, un chapiteau historié, une frise historiée…
Épilogue
Pour revenir à l’essentiel, l’historien doit donc enquêter afin de tirer son savoir de sources sûres, qu’il a vues de ses yeux tel un saint Thomas étymologique.
En illustration : Hérodote et Thucydide, historiens grecs. Statue double, Musée National, Naples (Italie)