Étymologie :
À propos de Proust et les polytechniciens
Le mot polytechnicien étant traité dans l’ÉtymologiX de mai 2018, l’objet de cet article est l’étymologie du nom Proust, qui relève de l’onomastique (grec onoma « nom »), la science des noms propres, et plus précisément de l’anthroponymie (grec anthrôpos « humain » + élément -ônumos « nom »), branche parallèle à la toponymie (grec topos « lieu »), à laquelle Proust s’est intéressé.
Proust, toponymiste à ses heures
Proust a étudié l’étymologie des noms de lieux, qu’il évoque dans À la recherche du temps perdu par le truchement de deux de ses personnages. D’abord le curé de Combray : « S’il n’entendait rien aux arts, il connaissait beaucoup d’étymologies », mais il fatiguait la tante Léonie « par des explications infinies ». Puis surtout le professeur Brichot, sorbonnard un peu pédant, habitué des dîners chez les Verdurin, féru de toponymie, mais « en énumérant ces étymologies, Brichot avait fait rire de lui ». À propos des villages de Normandie : « Brichot, à la prière d’Albertine, nous en avait complètement expliqué les étymologies. » Ainsi, le narrateur avait « trouvé charmant la fleur qui terminait certains noms, comme Fiquefleur, Honfleur […]. Mais la fleur disparut » quand Brichot montra que ce « fleur », de même origine nordique que fjord, signifie « port ». En définitive, avec un peu d’autodérision sans doute, Proust présente l’étymologie comme une gentille manie, une érudition distrayante mais parfois ennuyeuse.
Proust, du point de vue de l’anthroponymie
Le nom de famille de Marcel Proust était au sens propre son patronyme c’est-à-dire le nom de son père, le docteur Adrien Proust, un nom qu’il n’aimait guère puisqu’il écrivait dans une lettre de 1908 : « Quand on a un nom si peu harmonieux, on se réfugie dans son prénom. » Il lui sera épargné de connaître un homonyme improbable, le vêtement nommé marcel, dont l’éponyme fut un certain Marcel Eisenberg, bonnetier à Roanne !
Dans l’Atlas des noms de famille en France (1999), l’étude réalisée par l’Insee à partir des naissances en France de 1891 à 1990, Proust fait partie des 1 000 noms les plus fréquents, en 679e position dans la liste commençant par Martin, Bernard, Thomas, Petit… Proust est un dérivé du nom d’un officier de justice sous l’Ancien Régime, le prévôt, en ancien français prévost. Il y avait toutes sortes de prévôts : des marchands, de la marine, de la maréchaussée, de l’armée, des monnaies, de Paris… sans oublier le plus connu de tous, Étienne Marcel, prévôt des marchands. Ce nom a pris d’innombrables formes, restées dans la liste actuelle des noms de famille, Prévost en 144e position, puis Pruvost, Prévôt, Provost, Prost, Proust, Pruvot, Leprévost, Leprovost, Probst, Provot, Prouvost, Leproust, Prévoteau, Provoost, Prout, Prévotat, Preuvot, Perbost… Ces variantes proviennent souvent d’anciennes erreurs de transcription, telles que celle que Proust imaginait en présentant son nom comme « une faute d’impression » pour le nom du romancier Marcel Prévost (X1882).
Enfin, voici l’étymologie de prévôt : de prévost, doublet de préposé, du latin praepositus, c’est-à-dire « placé en avant ». Le deuxième /p/ s’est distingué du premier en évoluant en /v/, comme du latin pauper viennent paupériser et pauvre ou de papilio viennent papillon et pavillon.
Épilogue : la double postérité du nom Proust
En dehors de la littérature, la loi de Proust fut une avancée dans l’histoire de la chimie due à Joseph Proust en 1797 mais si celui-ci n’avait pas énoncé la loi, un autre y serait sûrement arrivé ; alors que, si Marcel Proust n’avait pas produit son œuvre, qui d’autre aurait pu l’imaginer ?