Étymologie :
À propos de l’industrie de la connaissance
L’expression industrie de la connaissance apparaît en anglais, knowledge industry, dans The Production and Distribution of Knowledge in the United States (1962) de l’économiste Fritz Machlup. Cette industrie, marquée par l’essor des Gafam à partir des années 1970, relève de l’industrie du futur, ce qui était le thème de La Jaune et la Rouge de janvier 2019 et de son ÉtymologiX portant sur le mot industrie. Il ne sera donc question ici que du mot connaissance, dont l’étude réserve des surprises.
La connaissance, entre la science et le savoir
À propos de connaissance, il s’agit aussi de science, ou de savoir, trois mots de trois origines différentes.
Connaissance
Primo : La racine indo-européenne *gnō- « connaissance » se retrouve dans la plupart des langues d’Europe.
En grec, de gnôsis « enquête, connaissance » dérive gnostikos « relatif à la connaissance », d’où gnostique, agnostique « non-croyant » car il ne connaît pas.
En latin, du verbe noscere (d’abord gnoscere) « apprendre, connaître » dérivent cognoscere, d’où vient connaître, et cognitio « action d’apprendre à connaître », d’où cognition. Celui qui connaît, c’est qu’il a appris.
De noscere vient aussi notio « action de connaître », d’où notion, ainsi que, plus inattendu, nobilis (d’abord gnobilis) « connu, noble » et ignobilis « inconnu », d’où noble et, avec un sens accentué, ignoble.
Dans les langues germaniques : allemand, kennen « connaître » et son doublet können « pouvoir », anglais to know « connaître » et I can « je peux », car si on sait, on peut.
Dans les langues slaves : polonais, znać, ukrainien, znaty, russe, znat’ « connaître ».
Science
Secundo : En latin, scire « savoir » se relie à la racine *sek- « séparer », comme secare « couper », d’où scier, et segmentum « entaille », d’où segmenter. De scire dérive scientia « connaissance », d’où la science qui, contre toute attente, a donc un rapport avec la scie ! L’idée est que la science sépare les réalités, les segmente pour les classer, les organiser.
À ce propos, jusqu’au XVIIe siècle, on a cru que savoir venait aussi du latin scire, d’où une orthographe fautive, même dans la langue de Molière, qui écrivait Les femmes sçavantes en 1672. L’origine de savoir est tout autre.
Savoir
Tertio : Au cours d’une profonde évolution sémantique, le verbe latin sapere signifie d’abord « exhaler du goût, de la saveur », puis « ressentir le goût », et, par suite, pour une personne « avoir du goût, du jugement, comprendre, savoir ». De là viennent les surprenants doublets saveur et savoir, comme en italien (sapore et sapere) ou en espagnol (sabor et saber). Sapere a donné sapidus, d’où sapide/insipide, puis en bas latin *sabius, d’où sage. De sapere vient aussi sapiens « intelligent, sage ». Celui qui sait, c’est qu’il a savouré, et c’est un sage, c’est l’Homo sapiens, ainsi désigné par Linné en 1758.
La connaissance historique
En allemand, wissen « savoir » et weise « sage » relèvent d’une quatrième origine, la racine indo-européenne *weid-, « voir » et « savoir ». En grec, le verbe oida « je sais » prend la forme iste « vous savez », qui explique istôr « témoin », puis histoire (cf. l’ÉtymologiX de janvier 2022). En anglais, avec wise « sage » et witness « témoin », on retrouve celui qui sait parce qu’il a vu.
Épilogue
L’anglais science est un emprunt au français alors qu’en allemand la science se dit Wissenschaft, de -schaft (cf. schaffen « créer ») et Wissen « savoir, connaissance », d’où Wissensindustrie pour l’industrie de la connaissance… ou du savoir.