Raison d'être

Étymologie :
À propos de la raison d’être des entreprises

Dossier : Raison d'être des entreprisesMagazine N°770 Décembre 2021
Par Pierre AVENAS (X65)

Le mot entre­prise ayant déjà été évo­qué à pro­pos de la RSE, la Res­pon­sa­bi­li­té sociale, ou socié­tale, des entre­prises (cf. Éty­mo­lo­giX de jan­vier 2020), le pré­sent article porte sur l’expression rai­son d’être, et d’abord sur le mot rai­son, qui vient du latin, ratio, ratio­nis. Ce mot latin a pris un large éven­tail de sens, du plus concret, un « compte », au plus abs­trait, une « doc­trine ». Les usages du fran­çais rai­son reflètent ce grand écart.

Une raison en tant que proportion

Le sens pre­mier du latin ratio, « compte, cal­cul », sub­siste dans des expres­sions où rai­son signi­fie « pro­por­tion », comme à rai­son de. En mathé­ma­tiques, la rai­son est le rap­port entre deux termes consé­cu­tifs d’une suite géo­mé­trique et, depuis l’Antiquité, on connaît le nombre d’or qui, selon l’expression consa­crée, par­tage un seg­ment entre extrême et moyenne rai­son. En latin, ratio est for­mé sur un verbe (reri) dont le par­ti­cipe pas­sé est ratus, uti­li­sé dans l’expression pro rata parte « en pro­por­tion de la part comp­tée », d’où pro­ra­ta en français.

En bas latin, ratio dési­gnait aus­si le décompte des vivres dis­tri­bués aux sol­dats, d’où ration en fran­çais. D’autre part, à côté de rea­son venu de l’ancien fran­çais, l’anglais a emprun­té tel quel le latin ratio dans le sens de « pro­por­tion, taux », en par­ti­cu­lier en éco­no­mie, d’où en fran­çais un ratio finan­cier. Enfin, il y avait jadis le livre de rai­son, qui énu­mé­rait les parts des asso­ciés dans les socié­tés : de là vient la rai­son sociale, pour la déno­mi­na­tion de l’entreprise.

La raison, la faculté d’analyser, de juger, de décider

À par­tir d’un cal­cul, on éva­lue et on explique, d’où le sens de « facul­té de rai­son­ner » du latin ratio, sens qui a pris d’autant plus d’importance que l’emploi numé­rique de ratio a été sup­plan­té par des mots déri­vés de com­pu­tare, de cal­cu­lus et de nume­rus (cf. les Éty­mo­lo­giX d’août-sept. 2017 et avril 2020).

De là vient la rai­son au sens de « facul­té de rai­son­ner » : l’être humain est doué de raison.

Les raisons diverses et variées

Le latin ratio s’appliquait aus­si aux rai­sons objec­tives, expli­ca­tives, comme une absence pour rai­son de san­té, et aux rai­sons sub­jec­tives, telles que pré­sen­tées par cette Pen­sée de Pas­cal en forme de jeu de mots : « Le cœur a ses rai­sons que la rai­son ne connaît point. » Enfin, le latin ratio est pas­sé au sens col­lec­tif de « doc­trine », sens que n’a plus le fran­çais rai­son, sauf si l’on évoque le culte de la Rai­son de la Révo­lu­tion, qui éri­geait la rai­son en doctrine.

La raison d’être

Le sens de rai­son d’être pro­longe celui de rai­son, pour se rap­pro­cher de la notion de but, d’objectif, qui peut concer­ner un indi­vi­du ou une col­lec­ti­vi­té. Ain­si, la rai­son d’être basique des entre­prises consiste à mobi­li­ser des moyens finan­ciers et des res­sources humaines pour pro­duire des biens et ser­vices des­ti­nés au mar­ché. Et c’est pour pro­mou­voir un rôle des entre­prises au-delà de leur strict péri­mètre que la notion de rai­son d’être des entre­prises, « consti­tuée des prin­cipes dont la socié­té se dote », a été intro­duite en 2019 dans le Code civil, rôle dif­fé­rent de celui des fon­da­tions d’entreprise dans le domaine cultu­rel ou humanitaire.

Épilogue

La rai­son d’être des entre­prises ne se réduit plus à leur rai­son sociale, ni à des rai­sons à base de ratios et de pro­ra­tas, ni à leur seule rai­son d’être sur le mar­ché. Les entre­prises peuvent désor­mais se doter de rai­sons d’être à carac­tère col­lec­tif, rele­vant sou­vent de la RSE et de l’environnement, ou encore de la san­té publique.


En illus­tra­tion : Des­sin d’A­ga­tha Bauer pour For­ma­part : Votre entre­prise a‑t-elle une Rai­son d’Avoir ou une Rai­son d’Être ?

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