Eurotunnel –Panama deux grands défis de l’histoire
Vous connaissez bien sûr, comme moi, l’histoire du tunnel sous la Manche. Mais, comme moi, vous connaissez peu celle du canal de Panama.
Alors lisez le livre de notre camarade Guy Fargette : ayant eu l’occasion de suivre de près la préparation et la réalisation de l’opération Eurotunnel et ayant étudié de près également tout le déroulement de l’opération Panama, il nous instruit – ou rafraîchit nos souvenirs – sur la genèse et l’accomplissement de l’une et l’autre réalisations, sous une forme originale et intéressante.
Son ouvrage ne comporte pas deux parties distinctes, successives. Les chapitres consacrés à Panama et Eurotunnel s’imbriquent intelligemment en les alternant à chaque stade de l’évolution des deux projets et jusqu’à leur achèvement et leur mise en exploitation.
La mise en parallèle est instructive. Mais soyons clairs, avec l’auteur, dès le début : s’il y a eu scandale financier dans l’affaire de Panama, avec procès en escroquerie et procès en corruption, il n’y a en aucune façon rien eu de tel dans Eurotunnel : seulement un surcoût très important, dont une partie aurait peut-être pu être évitée, donc un surcroît important de besoin de financement très difficilement supportable pour l’économie du projet.
Cette mise au point étant faite, les deux opérations permettent des rapprochements très intéressants et Guy Fargette les a faits. Il rappelle d’abord l’époque lointaine à laquelle remontent les premiers germes de l’idée de l’une et l’autre liaisons : 1700 et quelques avec Nicolas Desmarets pour la liaison sous la Manche, et bien avant, 1500 et quelques sur instructions de Charles Quint pour la traversée de l’isthme de Panama.
Sautons quelques siècles et relevons une coïncidence de temps : c’est en 1879 que F. de Lesseps lance sa première souscription publique – pratiquement ratée – pour Panama. C’est en 1880 que se situe un début de travaux du Tunnel, modeste et vite arrêté.
Panama reprend une bonne avance sur Eurotunnel puisque c’est finalement le 3 août 1914 que le Cristobal, navire de haute mer, a le premier franchi le Canal transocéanique, passant de l’Atlantique au Pacifique, alors que l’inauguration du Tunnel par Elizabeth II et François Mitterrand n’a eu lieu que le 6 mai 1994.
Je n’analyserai pas les péripéties parfaitement décrites par Guy Fargette de l’une et l’autre réalisations. Bien sûr ce sont celles de Panama qui m’ont le plus intéressé puisque je n’en avais que de très vagues notions. Et ce qui m’a déconcerté, c’est l’évolution de la personnalité éminente mais hélas ! vieillissante de l’homme de génie qu’avait été Ferdinand de Lesseps, devenu mégalomane après la réussite extraordinaire de son canal de Suez, et pour Panama refusant les conseils de qui que ce soit et notamment des ingénieurs, ignorant délibérément les conditions géologiques et climatiques locales, la malaria, la fièvre jaune, et allant jusqu’à remanier autoritairement à la baisse les devis de la construction du Canal.
Lorsque, enfin, il se rend à l’évidence que le Canal ne peut être d’un bout à l’autre à niveau, c’est tout de même à un ingénieur déjà de grand renom – bien que sa Tour ne devait être inaugurée que deux ans plus tard – qu’il fait appel pour la construction des 10 écluses : on voit alors apparaître Gustave Eiffel.
Hélas ! faute de moyens financiers, les travaux sont arrêtés fin 1888 (ceux du tunnel sous la Manche, repris en 1973, ont eux aussi été arrêtés, très vite, pour raison avouée de crise économique mondiale et inavouée d’opposition politique outre-Manche) et la Compagnie universelle du Canal transocéanique est liquidée.
Le Canal sera finalement repris par les Américains, et achevé vingtcinq ans plus tard.
Vous trouverez dans le livre de Guy Fargette toute l’histoire, technique bien sûr, mais plus encore financière et politique des deux réalisations, dans les moindres détails. Vous trouverez aussi les noms de très nombreuses personnalités mêlées aux deux réalisations. Notre camarade Philippe Bunau-Varilla (X1878) a joué un très grand rôle dans celle du Canal, et notamment dans la reprise de l’affaire par les Américains avec le coup d’État de fin 1903 aboutissant à la sécession et à l’indépendance de Panama.
Il est dommage que l’auteur n’ait pas inséré un index des noms cités. Je pense qu’on en rencontre plusieurs centaines et non des moindres. Vous croiserez Clemenceau et André Siegfried, Theodore Roosevelt et le Président de la République de Colombie – et combien d’autres à propos de Panama !
Vous rencontrerez Francis Bouygues à propos d’Eurotunnel, à qui l’auteur voue manifestement une très grande admiration – méritée – et dont il regrette qu’il n’ait pas voulu s’imposer au commandement du Tunnel de A à Z. Mais il manque un nom et je tiens à le rétablir : c’est celui de Pierre Matheron, directeur de la totalité des travaux du côté français tant sous-marins qu’en surface, à qui l’on doit incontestablement la pleine réussite du chantier de génie civil et en particulier celle, dans les délais, du forage de la partie française des tunnels.
Mon analyse met en valeur les points qui m’ont personnellement le plus intéressé. Mais, je le répète, vous trouverez dans le livre de Guy Fargette une étude particulièrement détaillée et documentée de tous les aspects de ces deux réalisations et tout particulièrement, outre l’aspect technique, des aspects politique, administratif et financier.
Si, en conclusion, le canal de Panama, âgé aujourd’hui de 80 ans, ne fait plus parler de lui depuis longtemps, son utilité ayant été reconnue et son utilisation passée avec plein succès “ dans les moeurs ” – mais la concession se termine dans quelques années et son renouvellement donnera peut-être lieu à quelques difficultés – le tunnel sous la Manche vient seulement d’atteindre avec peine l’âge de raison. Il est de plus en plus utile et utilisé, mais son équilibre financier est encore en suspens. Guy Fargette termine cependant sur une note d’optimisme : l’avenir d’Eurotunnel et de ses actionnaires n’est peut-être pas aussi sombre qu’on pourrait le craindre. Il faut savoir être patient et d’abord se réjouir de voir la Grande-Bretagne enfin ancrée à l’Europe qui donc, maintenant, n’est plus “ isolée ”.