Évocations
La musique n’a pas pour ambition de décrire. Les opéras, les lieder racontent une histoire, bien sûr. Mais ceux qui survivent à leur époque dépassent toujours l’argument sur lequel ils ont été fondés.
On pourra prendre du plaisir à la Suite du Chevalier à la rose sans avoir vu l’opéra, aimer le lied de Schubert Erlkönig (le Roi des aulnes) sans entendre l’allemand.
En revanche, la musique a, plus que toute autre forme d’art, le pouvoir d’évoquer – un souvenir, une vision, un rêve, ou, dans de rares cas – Bach – une aspiration à la transcendance.
DANIIL TRIFONOV – CHOPIN EVOCATIONS
Sous le titre Chopin Evocations1, Trifonov a rassemblé des pièces qui évoquent explicitement sa musique : Chopin de Schumann (extrait de Carnaval), Hommage à Chopin de Grieg, Nocturne de Samuel Barber, Un poco di Chopin de Tchaïkovski et les délicieuses Variations sur un thème de Chopin de Frédéric Mompou, aux harmonies décalées, qui méritent à elles seules le détour.
S’ajoutent à cet enregistrement les deux Concertos pour piano, les brillantissimes Variations sur « La ci darem la mano » de Don Giovanni, et le très virtuose Rondo pour deux pianos en ut majeur.
L’originalité de cette version des deux concertos, que Trifonov joue avec un toucher, une sérénité qui dépassent toutes les interprétations que nous connaissons, réside par ailleurs dans la nouvelle orchestration, allégée et raffinée, pour orchestre de chambre, due à Mikhaïl Pletnev qui dirige le Mahler Chamber Orchestra.
Chopin, comme nombre de compositeurs, était un piètre orchestrateur. On peut rêver à d’autres réécritures orchestrales, celle, par exemple, de la Rhapsody in blue, orchestrée pour l’ensemble de jazz de Paul Whiteman et qui sonne si mal dans les exécutions des orchestres symphoniques.
RETRATOS DO BRAZIL
La musique brésilienne est reconnaissable entre toutes. On aime Heitor Villa-Lobos mais qui connaît Gnattali ou Mignone ? La violoncelliste Juliette Salmona – du Quatuor Zaïde – et le guitariste Benjamin Valette se sont plongés dans cette musique et en ont tiré un disque qui constitue une de ces petites merveilles improbables2 : de Villa-Lobos, la célèbre Bachiana Brasileira n° 5 et aussi une mélodie belle à pleurer, Melodia Sentimental, Odeon, Carioca et Fon-Fon, d’Ernesto Nazareth, sont devenus des standards de la musique brésilienne. Les Valses de Francisco Mignone, le Noturno d’Alberto Nepomuceno, la Sonate pour guitare et violoncelle de Radamés Gnattali sont autant de facettes d’une musique profondément évocatrice du pays dont elle est issue.
DEBUSSY
Renaud Capuçon, Gérard Caussé (alto), Edgar Moreau (violoncelle), Emmanuel Pahud (flûte), Bertrand Chamayou et la harpiste Marie-Pierre Langlamet consacrent un disque à la musique de chambre de Debussy : les Sonates pour violoncelle et piano, pour violon et piano, pour flûte, violon et harpe, Syrinx pour flûte solo et le Trio pour piano, violon et violoncelle3.
Les Sonates sont novatrices, complexes et raffinées ; le Trio, rarement joué, écrit à 18 ans, est une œuvre exquise, proche à la fois de Saint-Saëns, de Fauré et plus encore de Reynaldo Hahn, à découvrir sans attendre et qui couronne un très grand disque.
À écouter en buvant un thé blanc de Chine et en évoquant une société insouciante et décadente qui cultivait la mélancolie et qui feignait de ne pas avoir la prescience de l’apocalypse qui allait balayer l’Europe et l’emporter.
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1. 2 CD DEUTSCHE GRAMMOPHON
2. 1 CD AD VITAM
3. 1 CD ERATO