Évolution du climat : le témoignage des glaces polaires
Le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC, IPCC en anglais), créé en 1988 sous l’égide des Nations Unies, a publié en 2001 son troisième rapport, la publication du prochain étant prévue pour la fin de l’année 2007. Ces rapports du GIEC traitent à la fois des aspects scientifiques du changement climatique lié à l’augmentation de l’effet de serre, lui-même lié aux activités humaines, des conséquences de ce changement, et des mesures d’adaptation et d’atténuation à envisager.
Ils jouent un rôle clé dans les propositions élaborées dans le cadre des réunions annuelles des pays signataires de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique dont, en 1997, la troisième a conduit à la signature du protocole de Kyoto qui ne constitue qu’une toute première étape vers la nécessaire maîtrise des émissions des gaz à effet de serre.
Malgré le refus des États-Unis d’y adhérer, le protocole qui stipule que les pays développés doivent, sur la période 2008–2012, réduire leurs émissions de 5,2 % par rapport à leur niveau de 1990, va, grâce à la ratification récente de la Russie, entrer en vigueur en ce début d’année 2007.
Le climat est un système extrêmement complexe régi par de multiples interactions entre différents réservoirs (atmosphère et sa composition, océan, hydrosphère, cryosphère, biosphère…) et dans lequel intervient un très large spectre d’échelles de temps (de la journée au million d’années) et d’espace (échelle locale, régionale ou globale). Cette complexité explique que l’état de nos connaissances évolue lentement, tout au moins aux yeux du grand public, car nombreuses sont les avancées et les découvertes qui ont jalonné notre domaine de recherches au cours des quinze dernières années. Ce sont elles qui nourrissent les rapports successifs du GIEC.
Mon propos ici n’est pas d’en faire une synthèse mais d’illustrer, à travers l’exemple des résultats déduits de l’analyse des glaces polaires, comment un regard sur les variations passées de notre climat est riche d’informations pertinentes vis-à-vis de son évolution future. L’étude du climat du passé, domaine dans lequel les équipes françaises sont très actives, s’appuie en fait sur un ensemble d’archives continentales, océaniques et glaciaires dont il est facile de mettre en évidence la complémentarité que ce soit au niveau des échelles de temps ou des paramètres climatiques auxquelles elles donnent accès. Dans ce contexte, l’intérêt des glaces polaires est qu’elles témoignent à la fois des variations du climat et de celles de la composition de l’atmosphère, en particulier au niveau des principaux gaz à effet de serre dont les activités humaines sont en train de modifier les concentrations, le gaz carbonique, CO2, le méthane, CH4, et le protoxyde d’azote, N2O. Dans cet article, je rappellerai de façon succincte en quoi les glaces polaires nous permettent d’enrichir notre connaissance de l’évolution de notre climat et de notre environnement et, par là même, contribuent au débat sur le réchauffement climatique. Je consacrerai une seconde partie aux résultats récents obtenus sur les forages d’EPICA Dome C en Antarctique et de North GRIP au Groenland.
Climat et gaz à effet de serre
Rappelons tout d’abord que, depuis deux siècles, les activités humaines modifient de façon sensible la composition de l’atmosphère en CO2, essentiellement à cause de l’utilisation de combustibles fossiles, en CH4, à travers l’intensification de l’agriculture et de l’élevage, et en N2O, avec là aussi une contribution notable liée aux pratiques agricoles. Bien qu’il s’agisse là de constituants mineurs de l’atmosphère, de tels changements sont susceptibles de modifier le climat car ils conduisent à une modification de l’effet de serre atmosphérique. Alors que l’atmosphère est transparente au rayonnement qui arrive du soleil dans le visible, les gaz à effet de serre, où la vapeur d’eau et le gaz carbonique jouent les rôles principaux, ont la propriété d’absorber le rayonnement infrarouge réémis par le sol.
L’évolution de la composition de l’atmosphère n’est suivie que depuis quelques décennies et c’est une première contribution des glaces polaires que de permettre, grâce à l’analyse des bulles d’air piégées lorsque la neige sous son propre poids se transforme en glace, une remontée dans le temps et de donner accès aux concentrations atmosphériques de ces trois composés avant le début de l’ère industrielle. Le verdict est sans appel : ces mesures montrent, qu’en deux siècles, celles-ci ont augmenté de plus de 30 % pour le CO2, d’environ 15 % pour N2O et plus que doublé (+ 150%) dans le cas du méthane.
D’autres composés contribuent à l’effet de serre tels l’ozone, les chlorofluorocarbones dont l’emploi s’est développé au cours des deux dernières décennies, et leurs produits de remplacement. L’effet de serre est en soi très bénéfique : il amène la température moyenne de la surface de la terre à + 15 °C valeur beaucoup plus clémente que celle, estimée à – 18 °C, qui prévaudrait si ces gaz n’étaient pas présents dans l’atmosphère. Mais c’est son augmentation, largement imputable aux activités humaines, qui inquiète. Ces gaz à effet de serre ont, depuis deux cents ans, augmenté l’énergie moyenne utilisable pour chauffer les basses couches de l’atmosphère de 2,45 Wm-2 (celle-ci est voisine de 240 Wm-2). Cette augmentation est liée pour près de 60 % au gaz carbonique et pour environ 20 % au méthane. Les autres composés interviennent pour environ 20 % et on s’attend à ce que ce pourcentage diminue sensiblement grâce à l’application du protocole de Montréal qui réglemente la production des chlorofluorocarbones. À noter que ces chlorofluorocarbones interviennent dans la destruction de l’ozone stratosphérique et, à ce titre, diminuent légèrement l’effet de serre auquel celui-ci contribue. La concentration d’ozone troposphérique liée aux activités humaines s’est quant à elle accrue dans l’hémisphère Nord entraînant un forçage radiatif positif évalué à environ 0,4 Wm-2. Encore mal caractérisé, celui-ci n’est pas pris en compte dans le bilan ci-dessus. D’autres composés (hydrocarbures autres que le méthane, perfluorocarbone, hexafluorure de soufre…) ont une contribution marginale.
L’outil des glaces polaires
À l’échelle des derniers siècles et millénaires, les glaces polaires, à travers leur composition isotopique (isotopes de l’hydrogène et de l’oxygène), contribuent à mieux situer le réchauffement observé au cours du XXe siècle dans sa perspective historique, approche dont on comprend qu’elle est critique lorsqu’il s’agit de détecter l’empreinte des activités humaines sur le climat dont le dernier rapport du GIEC indique qu’elle est de plus en plus probable, au moins pour ce qui concerne le réchauffement très marqué des cinquante dernières années. À ces échelles de temps, il est également essentiel d’évaluer les composantes du forçage climatique autres que l’effet de serre, qu’elles soient d’origine naturelle (aérosols volcaniques, activité solaire) ou anthropique (aérosols produits par l’activité humaine). Les glaces polaires contiennent sur chacun de ces aspects des informations extrêmement utiles. Ainsi, elles enregistrent, de façon fidèle, le calendrier et l’intensité des éruptions volcaniques, cependant que la concentration des isotopes cosmogéniques y témoigne des variations de l’activité solaire.
Mais les résultats qui ont fait probablement le plus pour la renommée des calottes polaires, qui font référence et sont très largement cités dans notre communauté scientifique mais aussi dans les manuels de l’enseignement secondaire, diagramme à l’appui, concernent les grands changements climatiques qui ont marqué les dernières centaines de milliers d’années. Obtenues à partir de la carotte de Vostok forée en plein cœur de l’Antarctique dans le cadre d’une collaboration à laquelle ont participé équipes françaises, russes et américaines, ces données indiquent que les variations atmosphériques du CO2 et du CH4 sont fortement corrélées aux oscillations caractérisant la succession des périodes glaciaires et interglaciaires. Ainsi, voisines de 200 ppm (parties par million) au dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans, les concentrations en gaz carbonique étaient plus élevées de 40 % en période chaude (280 ppm contre près de 380 actuellement) tandis que celles du méthane étaient deux fois plus élevées en période froide qu’en période chaude.
Certes, le rythme d’apparition des périodes glaciaires, longues de 80 à 100 000 ans et suivies de périodes chaudes telles que celle que nous vivons actuellement, plus courtes et n’excédant généralement pas 10 000 ans, est gouverné par la position de la terre sur son orbite (théorie astronomique). Mais cette corrélation forte entre les variations passées de l’effet de serre et de la température indique que gaz carbonique et méthane ont également été des acteurs de ces grands changements climatiques. Ces variations de l’effet de serre, dans ce cas d’origine naturelle, ont contribué à peu près pour moitié à l’amplitude des variations climatiques et ce sur toute la durée de l’enregistrement qui remonte à – 420 000 ans, soit quatre cycles climatiques complets.
En outre, ces résultats offrent la possibilité d’évaluer la façon dont le climat réagit lorsque l’effet de serre se modifie. Ils permettent d’estimer ce que, dans notre jargon, nous appelons la sensibilité du climat, le réchauffement qui résulterait d’un doublement de la teneur en gaz carbonique une fois le nouvel équilibre climatique atteint. L’estimation de 3 à 4 °C suggérée par les données de Vostok est dans la gamme de celle retenue par les rapports du GIEC, comprise, elle, entre 1,5 et 4,5 °C. Il faut noter que cette estimation du GIEC est basée uniquement sur des résultats de modèles climatiques qui, d’un modèle à l’autre, fournissent des estimations de la sensibilité climatique qui peuvent donc varier d’un facteur 3. Cela illustre l’intérêt d’une approche indépendante basée sur des données du passé. En outre, la période du dernier maximum glaciaire permet de tester les capacités des modèles climatiques utilisés pour prédire le climat du futur, à rendre compte de conditions climatiques très différentes de celles que nous connaissons actuellement.
Surprises climatiques
Les enregistrements déduits de l’analyse des glaces polaires ont largement été à l’origine de la notion de « surprise climatique », qui doit beaucoup à la découverte de l’existence de variations climatiques rapides au cours de la dernière période glaciaire et de la transition qui a conduit il y a un peu plus de 10 000 ans au climat actuel. Elle est indissociablement liée à l’étude des glaces du Groenland. Évoquée à partir de l’analyse de la glace du forage Dye 3 (1982), l’existence de ces variations rapides était pleinement confirmée, dix ans plus tard, à partir des deux forages de plus de 3 km réalisés au centre du Groenland, l’un européen, GRIP, l’autre américain, GISP2, dont les enregistrements couvrent environ 100 000 ans.
Le réchauffement associé est de l’ordre de 10 °C, moitié de celui correspondant au passage du climat glaciaire vers le climat actuel, voire plus. Il s’opère en quelques dizaines d’années et les changements du taux de précipitation et de la circulation atmosphérique qui l’accompagne sont également importants et encore plus brusques. Le retour vers les conditions froides est d’abord lent puis relativement rapide. Ces séquences en « dent de scie » d’une durée de 500 à 2 000 ans se répètent une vingtaine de fois au cours de la dernière période glaciaire. Leur structure et les variations de températures associées apparaissent extrêmement similaires à celles associées à des événements rapides mis en évidence dans des sédiments marins de l’Atlantique Nord et à chacune d’entre elles correspond généralement une augmentation significative des teneurs en méthane. Celles-ci témoignent très probablement de variations du cycle hydrologique continental aux basses latitudes (la production du méthane est liée à l’étendue des zones inondées) et suggèrent que ces événements rapides ont influencé le climat de l’hémisphère Nord dans son ensemble. Leur influence s’étend à l’hémisphère Sud, où elles se manifestent par des changements moins rapides et moins marqués. De plus, l’analyse des sédiments marins montre qu’il y a un lien entre ces évènements et la décharge massive d’icebergs provenant des grandes calottes qui existaient alors dans l’hémisphère Nord. Cette arrivée d’énormes quantités d’eau douce aurait alors contribué à modifier la circulation océanique et par là même le climat, fournissant ainsi une explication raisonnable à l’existence d’instabilités climatiques en période glaciaire.
L’existence de ces variations, très probablement liées à des changements de circulation océanique, a conduit les experts du GIEC à attirer l’attention sur la difficulté de prévoir, de par leur nature même, des fluctuations inattendues, rapides et de grande ampleur. Dans notre esprit, cette possibilité de surprise invite à réfléchir à la fragilité de notre climat et ajoute à la nécessité de maintenir l’augmentation de l’effet de serre à un niveau tel que le climat du futur soit le plus proche possible de celui que nous connaissons actuellement. De telles surprises seraient synonymes de véritable bouleversement climatique, même si une modification notable des courants marins comme le Gulf Stream, qui surviendrait alors en période plus chaude qu’actuellement, ne ramènerait pas bien sûr nos régions vers des conditions glaciaires (l’arrêt du Gulf Stream ne changerait pratiquement pas la température moyenne de la planète, mais affecterait sa répartition).
Une profondeur de vision de près de 800 000 ans
Avec GRIP et GISP2, et avec l’extension de Vostok à quatre cycles climatiques (résultats publiés en 1998), la dernière décennie a donc été très riche pour la communauté scientifique impliquée dans l’étude des glaces polaires. Mais l’année 2004 a, elle, été exceptionnelle en ce qu’elle a permis de repousser les limites sur lesquelles cette communauté butait depuis un certain nombre d’années aussi bien au Groenland qu’en Antarctique. Dans le premier cas, les enregistrements fiables n’allaient guère au-delà de 100 000 ans en raison des perturbations qui, dues à la proximité du socle rocheux, affectent les 300 derniers mètres des forages GRIP et GISP2. En Antarctique, la moisson des résultats extraits des carottages de Vostok est limitée aux 420 000 dernières années, là aussi en raison du mélange des couches de glace les plus profondes.
Deux nouveaux forages, North GRIP au Groenland et EPICA Dome C en Antarctique, ont permis de faire sauter ces verrous, d’obtenir au Groenland de la glace de la dernière période chaude, l’Eémien, il y a 120 000 ans, et de doubler, ou presque, la période désormais couverte par les carottes de glace en Antarctique (800 000 ans). Les équipes françaises de Grenoble (LGGE), Saclay (LSCE) et Orsay (CSNSM) sont fortement impliquées dans ces deux programmes conduits respectivement dans le cadre du projet européen EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica) qui, au Dome C, bénéficie d’un important soutien logistique de l’Institut polaire Paul-Émile Victor (IPEV), et du projet international NGRIP (the North GReenland Ice core Project) mis sur pied et coordonné par l’équipe danoise du Département de géophysique de l’université de Copenhague. Les premiers résultats marquants obtenus sur ces deux carottages, qui l’un et l’autre ont dépassé 3 km, ont été présentés en 2004 dans deux articles collectifs publiés dans la revue Nature.
Du point de vue climatique, le nouveau forage EPICA confirme l’homogénéité des variations de température en Antarctique, avec des changements tout à fait similaires à Vostok, au Dome C et au Dome F sur les parties communes de ces enregistrements (figure 1). Au-delà de 430 000 ans, le forage du Dome C est marqué par un changement de rythme avec des périodes moins chaudes mais plus longues que lors des quatre derniers cycles climatiques. L’interprétation du profil de teneur en deutérium confirme que les températures à la surface de la calotte étaient environ 10 °C plus froides qu’actuellement lors du dernier maximum glaciaire tandis que les températures les plus élevées (supérieures d’environ 5 °C à celles de l’Holocène) correspondent aux périodes interglaciaires les plus chaudes, autour de 125 000 et de 335 000 ans.
La comparaison avec l’enregistrement de variation du niveau de la mer, déduit de l’analyse isotopique des sédiments marins, conforte par ailleurs le caractère global des changements climatiques enregistrés en Antarctique, tout au moins d’un point de vue qualitatif et lorsque l’on considère les grands changements entre périodes glaciaires et interglaciaires (et abstraction faite des déphasages interhémisphériques qui peuvent atteindre quelques milliers d’années).
FIGURE 1 |
Trois forages profonds de l’Antarctique de l’Est (Vostok, Dome F et EPICA Dome C) couvrent des périodes supérieures à 300 000 ans. À ces échelles de temps, les variations climatiques sont remarquablement homogènes en Antarctique de l’Est. La mise en évidence d’une corrélation entre la température en Antarctique et les teneurs en gaz carbonique de l’atmosphère (courbe b), qui vaut également pour le méthane, est un des résultats marquants, fruit de la collaboration entre les équipes de Grenoble et de Saclay. Le forage EPICA Dome C témoigne d’un changement de rythme du climat il y a un peu plus de 400 000 ans. Ce changement de rythme, qui reste à expliquer, est également enregistré dans les sédiments marins (courbe e). |
Autres périodes chaudes
La période entre – 435 000 et – 410 000 ans a d’ores et déjà été étudiée avec un certain détail. En dehors du fait qu’elle marque la transition entre deux régimes climatiques distincts, cette période présente un double intérêt. D’une part, de nombreux indicateurs suggèrent que l’interglaciaire correspondant appelé stade 11.3 était une période particulièrement chaude avec un niveau de la mer peut-être nettement plus élevé qu’aujourd’hui (certaines évaluations font état d’une hausse pouvant atteindre 20 m par rapport au niveau actuel). D’autre part, cet interglaciaire, très long dans les enregistrements marins, correspond à des conditions d’insolation relativement proches de celles que nous connaissons actuellement. De plus les mesures disponibles sur la carotte de Vostok et du Dome C suggèrent que les teneurs en CO2 sont restées équivalentes à celles de l’Holocène (la période dans laquelle nos civilisations se sont développées depuis un peu plus de 10 000 ans). Les températures en Antarctique apparaissent, elles aussi, très similaires à celles de l’Holocène pendant les 10 000 premières années du stade 11.3. Il en est de même pour les teneurs en méthane dont l’augmentation débute cependant 4 à 5 milliers d’années avant celle du gaz carbonique, contrairement à la dernière déglaciation et, plus généralement, aux quatre dernières, au cours desquelles gaz carbonique et méthane varient pratiquement en phase. La durée exceptionnellement longue du stade 11.3 est confirmée par le forage EPICA Dome C ; elle est estimée à 28 000 ans ce qui laisse entrevoir que, sans intervention des activités humaines, des conditions climatiques proches de celles que nous connaissons actuellement pourraient prévaloir pendant près de 20 000 ans, d’autant que les conditions de forçage climatique (insolation et gaz à effet de serre) semblent identiques pour ces deux périodes.
Même s’ils sont perturbés avant 100 000 ans, les profils isotopiques analysés le long des forages GRIP et North GRIP suggéraient que la période de l’Eémien était, comme indiqué par de nombreux enregistrements (océaniques, continentaux ou glaciaires), plus chaude que l’Holocène. Il n’en reste pas moins que la démonstration désormais apportée de cette différence de température entre le dernier interglaciaire et l’Holocène, estimée à 5 °C au Groenland, est un des résultats importants du forage North GRIP (figure 2).
Mais c’est en fait l’accès désormais possible à tout un ensemble de données à très haute résolution lors de l’entrée en glaciation qui en constitue le résultat majeur (la période entre – 123 000 et – 110 000 ans est représentée par 130 m de glace). Cette séquence a déjà révélé des similitudes notables avec un enregistrement océanique obtenu sur un forage réalisé sur la marge ibérique à hauteur du Portugal. Plus surprenant est le fait qu’à North GRIP l’entrée en glaciation est interrompue, vers 115 000 ans, par un réchauffement rapide et bien marqué car il est alors difficile de faire appel au même mécanisme de débâcle d’icebergs ou d’arrivée d’eau douce pour en expliquer l’existence, les grandes calottes de l’hémisphère Nord (calottes Laurentide et Fenno-scandienne) n’étant alors qu’au tout début de leur formation. Une estimation de l’amplitude du réchauffement associé à chacun des événements rapides est en cours. La méthode s’appuie sur l’existence d’anomalies dans les rapports isotopiques de l’azote et de l’argon qui résultent des processus de fractionnements, thermique et gravitationnel, qui prennent place dans le névé entre la surface de la calotte et la profondeur à laquelle les bulles d’air sont définitivement piégées dans la glace. Cette méthode montre que les réchauffements associés aux événements rapides peuvent atteindre des valeurs très élevées jusqu’à 16 °C.
FIGURE 2 |
La figure ©, adaptée de North GRIP members, 2004, illustre la comparaison entre les forages de GRIP, en bleu, et de North GRIP en rouge. Au-delà de 100000 ans, environ, les couches de glace de GRIP sont mélangées et ce forage ne peut pas être utilisé pour reconstruire les variations du climat. À l’inverse la partie profonde de North GRIP n’a pas été perturbée et permet de décrire l’entrée en glaciation il y a 120000 ans. La courbe (a) montre la partie profonde de North GRIP. Celle-ci permet de décrire l’entrée en glaciation de façon détaillée et de mettre en évidence des similarités avec les variations climatiques enregistrées dans des sédiments marins de l’Atlantique Nord (courbe b). |
Au-delà du million d’années
La réalisation de programmes de forages profonds tels ceux conduits au Dome C et North GRIP a demandé près d’une dizaine d’années entre le lancement du projet et l’obtention des premières séries de résultats qui en marquent le succès. Consciente de ces contraintes, la communauté internationale concernée a d’ores et déjà commencé à établir des plans pour les années à venir avec comme objectifs prioritaires de remonter si possible au-delà du million d’années en Antarctique de l’Est et d’extraire une carotte qui couvre l’ensemble du dernier interglaciaire et atteigne l’avant- dernière période glaciaire au Groenland.
L’année polaire internationale, qui débutera en 2007, devrait en marquer le point de départ avec, d’une part, une reconnaissance de régions encore peu explorées de l’Antarctique de l’Est qui permette de sélectionner celles susceptibles de recéler la glace très vieille, et, de l’autre, le début de réalisation d’un nouveau forage au Groenland en un site très prometteur déjà sélectionné au nord de North GRIP. Mais, il reste d’ici là énormément à faire pour extraire l’ensemble des informations que recèlent ces deux carottages profonds du Dome C et de North GRIP dont nous avons décrit les premiers résultats et à les interpréter en termes de mécanismes climatiques.
Comment explique-t-on le changement de rythme observé il y a un peu plus de 400 000 ans en Antarctique avec, et c’est là une des découvertes les plus marquantes du forage EPICA, des périodes chaudes moins chaudes mais aussi nettement plus longues avant 430 000 ans ? Quel est le rôle précis des gaz à effet de serre et que peut-on en déduire pour des paramètres tels que la sensibilité du climat ? Quels sont les mécanismes mis en jeu lors d’une entrée en glaciation ?