Évolution du contrôle du trafic aérien en Europe
Le contrôle aérien est souvent méconnu, et assimilé à la “ tour de contrôle ” ou aux “ aiguilleurs du ciel ”. C’est en fait un service public qui assure la sécurité des avions contrôlés entre eux pendant toutes les phases de mouvement au sol et en vol. On verra ici que c’est un secteur en forte croissance, dont la valeur ajoutée, mais aussi les pénalisations pour la société, peuvent être importantes.
Cet article va examiner les défis posés au contrôle du trafic et évoquera les évolutions institutionnelles, techniques et opérationnelles, économiques et financières, qui doivent permettre d’y répondre. L’Europe est l’entité appropriée pour aborder ces questions, car les espaces nationaux y sont très interdépendants2.
Rafale B01 © François ROBINEAU – DASAULT/AVIAPLANS
Préambule
Le transport aérien en Europe connaît une croissance durable depuis 1985. Dans ce contexte, maintenir voire renforcer la sécurité des vols est une condition essentielle pour assurer la confiance du public. La capacité du contrôle aérien doit augmenter en proportion du trafic, sans quoi des attentes au sol doivent être imposées par l’organisme de gestion des flux pour éviter une surcharge des services de contrôle. De plus, l’espace aérien européen, petit à l’échelle de l’avion, est partagé entre civils et militaires, et entre de nombreux pays.
La gestion du trafic aérien (ATM)3, qui comprend le contrôle du trafic aérien (ATC), la gestion des flux (ATFM) et la gestion de l’espace (ASM), et s’appuie sur des services de communication, navigation et surveillance (CNS) standardisés au plan mondial par l’Organisation de l’aviation civile internationale, doit évoluer fortement pour faire face aux défis qui lui sont posés.
Le coût du service ATM en Europe, soit la somme imposante de 18,5 GF en 1996, est entièrement supporté au travers de redevances de route par les usagers : transport aérien, aviation militaire et privée. Les redevances en route représentent environ 4 % des coûts d’exploitation des grandes compagnies, et s’approchent du coût du carburant (10 % des coûts d’exploitation). Quand on sait que les avionneurs et les compagnies aériennes sont prêts à investir lourdement pour économiser 1 % de carburant, on mesure la pression pour réduire les coûts du service ATM.
Évolution de la demande
Alors que le trafic aérien civil contrôlé en Europe était quasi stagnant de 1975 à 1985, il a entamé une progression soutenue de 5 à 12 % par an à partir de 1985 (figure 1)4. Malgré la concurrence de moyens de transport et de communication alternatifs, les experts s’accordent pour prédire une expansion prolongée du trafic aérien en Europe, accompagnant l’extension de la construction européenne et de la mondialisation. Ainsi, plus de la moitié des 200 premières liaisons aériennes en Europe sont encore des liaisons intérieures à un même pays, comme le montre la figure 2. Même aux États-Unis, où le marché du transport aérien est plus mûr qu’en Europe, le trafic aérien continue à croître.
Les défis du contrôle aérien
La sécurité
Assurer la sécurité des vols contrôlés entre eux est la mission première de l’ATM. Cette mission a jusqu’ici été remplie de manière satisfaisante, puisque les accidents de l’aviation civile liés à des déficiences de l’ATM sont extrêmement rares : il n’y en a heureusement eu aucun en Europe dans les vingt dernières années, et une cause ATM est relevée dans 5 % des accidents aériens seulement dans le monde.
Toutefois, il faut attacher une grande importance au renforcement de la sécurité. En effet, si la fréquence des accidents d’un avion croît linéairement avec le trafic, la fréquence des accidents des avions entre eux, que l’ATM doit prévenir, croît naturellement comme le carré du trafic. Si le trafic est multiplié par deux dans les quinze ans à venir, il n’est pas acceptable que la fréquence des accidents soit multipliée par quatre. De plus, plusieurs incidents graves sont relevés chaque année, qui ne doivent une issue heureuse qu’à la très faible probabilité de la présence de deux avions dans la même zone d’espace-temps, ou à une action d’évitement à vue de dernière minute. Se fier à une approche purement probabiliste est insuffisant, et il est clair que la » sécurité ajoutée » par l’ATM est nécessaire6. Un système d’anti-collision embarqué indépendant (TCAS), qui renforce la sécurité fournie par les services de contrôle au sol, équipe déjà un bon nombre d’avions de ligne, et sera obligatoire en Europe à partir de l’an 2000. La sécurité est un élément clé de la conception des systèmes et procédures futurs évoqués plus loin.
Enjeux économiques et financiers
Le tableau suivant résume les principaux ordres de grandeur des enjeux économiques et financiers liés à l’ATM. Il apparaît clairement qu’une réduction des coûts ou pénalisations apporterait des bénéfices importants aux usagers de l’espace. Ainsi, un gain de productivité des services ATM de 10 %, une réduction de 80 % des retards, ou une réduction de 50 % des allongements de route (ce qui n’est pas impossible), résulteraient chacun en une économie de l’ordre de 2 GF par an.
Toutefois, la principale valeur ajoutée par l’ATM provient sans doute de l’opportunité de croissance du transport aérien. Comme on l’a vu plus haut, celui-ci devrait croître fortement dans les quinze ans à venir. Un doublement du trafic entraînerait une augmentation du chiffre d’affaires brut annuel des transporteurs aériens en Europe de l’ordre de 300 GF par an, avec des bénéfices directs et indirects sur l’emploi et la croissance. Toutefois, de nombreux facteurs peuvent limiter cette croissance, notamment la capacité des aéroports principaux, les nuisances, et la capacité de l’ATM. La création de cette valeur nécessite de lever l’ensemble de ces limitations. Nous allons voir les aspects liés à l’ATM plus en détail. L’article de Pélegrin, Féron et Delcaire étudie les questions aéroportuaires.
Coût et financement de l’ATM
Transport aérien civil en Europe | GF (1996) | |
Revenus | Recettes d’exploitation7 | 350 |
Coûts directs liés à l’ATM | Redevances de route8 | 18,5 |
Redevances aéroportuaires9 (dont une fraction pour l’ATM) | 25 | |
Pénalisations | Retards au sol cause ATM10 | 2,5 |
Retards en vol | non disponible | |
Allongements de route | 4 |
Traditionnellement, le financement du contrôle aérien, dont la responsabilité incombe aux États d’après la Convention de Chicago signée en 1944, était à la charge du budget de l’État. C’est encore le cas aux États-Unis, où l’État perçoit une taxe sur les billets pour les vols commerciaux et sur le carburant pour les vols privés. Toutefois, lier aux mécanismes budgétaires le financement d’un service dont la qualité dépend d’investissements spécifiques et dont le coût est répercuté à des entreprises commerciales introduit des dysfonctionnements. Pour résoudre ce problème classique, le Budget annexe de la navigation aérienne (maintenant étendu à l’aviation civile) a été introduit en France en 1985. Aujourd’hui, les usagers financent entièrement le service ATM en Europe au travers de redevances. Les États-Unis perçoivent déjà des redevances pour les survols, y compris sur une immense zone du Pacifique, et étudient sérieusement leur extension à tous les vols commerciaux.
Le Service central des redevances de route d’Eurocontrol11 (SCRR) assure le recouvrement des redevances pour le compte des États adhérents, soit 18,5 GF pour vingt États européens en 1996, dont 4,5 GF pour la France. En Europe, les redevances en route sont proportionnelles à la distance parcourue et à la racine carrée de la masse. Cette formule d’équité permet de répartir les coûts en fonction des capacités contributives, sans trop pénaliser les avions les plus lourds. L’unité de service correspond au contrôle d’un avion de 50 tonnes sur 100 kilomètres. Depuis janvier 1998, le kilométrage est calculé sur la base de la route demandée12, par opposition à la route la plus courante, et les redevances versées à l’État effectivement survolé, ce qui permet de rapprocher le prix et le service rendu. Le choix de la route va désormais introduire un élément de compétition entre les fournisseurs de service ATM, particulièrement en Europe où les espaces aériens sont petits. C’est là un des aspects de l’évolution institutionnelle en cours visant à améliorer les performances du système.
Figure 3 – Taux moyen des redevances de route en Europe |
La figure 3 donne l’évolution des taux unitaires moyens de redevance. La stagnation du trafic au début de la décennie 198013 avait conduit à une forte réduction des investissements ATM14 ; la forte croissance du trafic à la fin de cette période a conduit à une forte augmentation des retards causés par l’ATM, et finalement aux mesures des ministres des Transports de la CEAC évoquées plus loin. La situation a été redressée dans la période 1990–1994 au prix d’une croissance des taux unitaires, alors que l’ensemble des autres coûts du transport aérien diminuait. Le taux unitaire moyen a ensuite diminué à partir de 1995 sous la pression des usagers.
La figure ci-dessus montre aussi qu’il a été possible jusqu’ici d’augmenter la capacité à coût unitaire relativement constant à long terme. C’est en soi remarquable, car la méthode traditionnelle pour créer de la capacité consiste à diviser l’espace en secteurs de contrôle15 de plus en plus petits, un processus à rendement décroissant. Ainsi, augmenter le nombre de secteurs de 40 % n’augmente la capacité que de 20 % environ. Les gains de productivité ont donc historiquement compensé la décroissance du rendement de la subdivision de l’espace.
Les usagers demandent maintenant, non seulement que la capacité soit augmentée et les pénalisations réduites, mais également que les coûts unitaires diminuent. Ceci donne une première idée du défi posé aux services ATM.
Pénalisations liées au contrôle aérien
L’ATM génère des coûts directs liés aux redevances de route et d’aéroport, et des pénalisations dues aux retards, aux allongements de trajectoire ou de temps de vol imposés et à l’utilisation non optimale de l’avion dans le plan vertical.
Capacité ATM du point de vue des retards
Le système ATM actuel présente un avantage principal : une sécurité éprouvée. Il a cependant plusieurs inconvénients : il est lourd en charge de travail, donc relativement cher, et la capacité sera limitée par un » mur de la capacité » peu après l’an 2000. En effet, en dehors des zones terminales, sortes d’entonnoirs autour des aéroports, l’espace physique n’est pas une contrainte, sauf dans le cas de zones réservées à des fins militaires, de zones montagneuses et de fortes perturbations météorologiques. Les seuils de capacité « en route » proviennent essentiellement de la charge de travail limitée que peuvent absorber les contrôleurs de chaque « secteur » d’espace aérien. Or la limite utile de la subdivision de l’espace en secteurs de plus en plus petits sera atteinte vers 2003 dans les zones les plus denses. D’où cette notion de « mur de la capacité« 16. La capacité de portions de plus en plus grandes de l’espace aérien sera donc limitée par ce « mur de la capacité » si des méthodes ATM radicalement différentes ne sont pas introduites. L’introduction de nouvelles technologies de communication, navigation, surveillance (CNS), par exemple satellitaires, n’a d’intérêt que si elles favorisent l’utilisation de procédures plus efficaces ou diminuent le coût de l’infrastructure.
Figure 4 Capacité ATM mesurée comme relation entre demande et retards |
Le système ATM peut être analysé comme un réseau dont chaque nœud et chaque arc ont une capacité limitée. Quand la demande excède la capacité à certains endroits, la solution la plus immédiate est de gérer des files d’attente au sol. Cela réduit le risque, le coût (l’attente en vol coûte environ 3,5 fois plus cher qu’au sol), et la pollution. Mais cela crée des retards d’origine ATM, dont chacun d’entre nous a certainement souffert18. La gestion des flux est donc une des solutions qui ont été développées pour répondre à la crise de la fin des années 80.
Depuis 1996, la gestion des flux est traitée de manière centralisée par l’Unité centrale de gestion des flux (CFMU) d’Eurocontrol pour le compte de l’ensemble des États participants18. Un « créneau de décollage » est attribué à chaque vol passant dans une zone surchargée selon une règle d’équité « premier planifié, premier servi ». L’expérience a montré qu’une gestion centralisée et individuelle des attentes au sol était plus efficace qu’une gestion décentralisée par flux origine-destination, comme c’était le cas auparavant. De plus, la bonne protection contre les pointes aléatoires de trafic apportée par la gestion centralisée permet dans certains cas de relever le seuil de trafic acceptable dans les centres de contrôle. Les délais au sol imposés par la CFMU proviennent du manque de capacité de certains centres de contrôle et aéroports. En 1996, 15 % des centres de contrôle ont causé 90 % des retards liés à l’ATM. De même, parmi les 800 aéroports capables d’accueillir du trafic commercial en Europe, une vingtaine (Heathrow, Milan, Athènes en été…) cause la plus grande partie des retards imputables au manque de capacité aéroportuaire.
Comme pour beaucoup de systèmes à files d’attente, les retards journaliers cumulés sur l’ensemble des vols de la zone ont un comportement explosif dès que le rapport demande/ capacité approche l’unité. La capacité du réseau est difficile à déterminer de manière univoque, car il existe des routes alternatives et la structure du trafic change, notamment entre jours de semaine et week-end. La capacité apparaît donc comme une relation entre demande et retards. On a mesuré une élasticité de l’ordre de 5 entre retards et » demande-capacité « , c’est-à-dire que 1 % de demande en plus entraîne 5 % de retards en plus à capacité constante, et qu’inversement, 1 % de capacité en plus réduit les retards d’environ 5 % à demande constante. L’augmentation de capacité peut être mesurée comme l’augmentation de trafic réalisable à retard constant (+ 6,2 % entre 1996 et 1997). Ceci est illustré par le graphique suivant.
Les retards cumulés liés à l’ATM dans la zone CFMU se sont élevés à 20,6 millions de minutes en 1996, pour environ 7 millions de vols, soit trois minutes de retard ATM par vol en moyenne. Environ 20 % des retards sont d’origine ATM, et 7 % de ceux-ci dépassent quinze minutes. L’arrivée tardive des avions effectuant le segment de vol précédent, elle-même pour partie due à l’ATM, est la principale cause de retard (environ 40 %). Le coût induit des attentes au sol pour les exploitants est estimé à 2,5 GF19 en 1996. Ce chiffre ne prend pas en compte les inconvénients pour les passagers.
Les retards en vol sont beaucoup moins connus globalement, mais participent également aux retards à l’arrivée et aux pénalisations.
Routes indirectes
Les systèmes de navigation de surface multi-senseurs ou par satellite permettent maintenant de suivre une route optimale entre deux points éloignés et de s’affranchir du survol des radiobalises. Toutefois, les avions contrôlés suivent encore souvent un réseau de routes publiées, ce qui facilite le contrôle (vitesses de rapprochement faibles à une même altitude, nombre limité de points de croisement à surveiller). L’allongement moyen est de 10 % environ (45 % dans certains cas). Il serait possible de le réduire de moitié environ par des routes directes, car les trajectoires de départ et arrivée autour des aéroports doivent rester très organisées. Le bénéfice économique serait de l’ordre de 2 GF par an, et la pollution liée aux émissions serait réduite de 5 %.
Résumé
Voici en résumé l’ampleur de la tâche à accomplir pour permettre à l’ATM de supporter le doublement du trafic aérien dans les années à venir, ce dont on a vu l’effet positif pour l’emploi et la croissance en Europe :
- le » mur de la capacité » doit être vaincu, sinon les retards ATM vont exploser au point de mettre en cause le développement de l’aviation,
- les taux d’incidents/accidents par heure de vol doivent être divisés par quatre,
- les coûts doivent être réduits.
Le tableau suivant donne quelques ordres de grandeur.
Il est rassurant que les travaux des dix dernières années, notamment en Europe, permettent d’aborder ces défis avec confiance, comme nous allons le voir. Toutefois, les bénéfices ne se matérialiseront que si les autres facteurs limitatifs, notamment capacité des aéroports et nuisances, sont traités corrélativement.
Autres limitations à la croissance
Capacité aéroportuaire
Comme on l’a vu plus haut, une vingtaine d’aéroports sur un total de 800 génère la plus grande partie des retards aéroportuaires. La capacité des aéroports où se concentre la demande sera un élément déterminant pour la croissance du transport aérien en Europe dans les années à venir, comme c’est déjà le cas aux États-Unis. En effet, il est difficile de construire d’autres pistes, et la fréquence d’atterrissage est limitée par des phénomènes physiques (turbulence de sillage, temps de freinage et de dégagement de la piste).
Tendance naturelle de 1995 à 2010–2015 |
Besoin | Enjeux | |
Trafic | x 2 | id. | 300 GF de recettes annuelles additionnelles pour le transport aérien européen en 2010 |
Accidents/incidents | x 4 | x 1 | Confiance du public |
Retards aéroports/ATM | x 10–20 | x 0,5 | Croissance du transport aérien Compétition avec d’autres modes de transport ou de communication |
Taux de redevances | x 1 | <1 | Prix et part de marché du transport aérien Variation de 10 % = 2 GF en 1997 |
L’article de Pélegrin, Féron et Delcaire étudie les questions aéroportuaires en détail. Nous nous intéressons ici à leurs conséquences sur l’ATM.
De plus en plus de compagnies exploitent un hub, nœud de leur réseau où sont organisées les correspondances. Un hub permet d’offrir n(n + 1) liaisons avec seulement 2n routes, de maximiser le remplissage des avions, et d’optimiser les temps de correspondance. Il en résulte une concentration du trafic sur certains aéroports à certaines heures, avec des vagues d’arrivées, puis de départs.
La demande sur les principaux aéroports est limitée par des comités des horaires, qui ne permettent pas de planifier plus de vols réguliers que de créneaux disponibles. Pour réduire les contraintes aéroportuaires les affectant, des compagnies établissent leur » hub » sur un aéroport secondaire, qui leur est pratiquement réservé, comme Delta Airlines à Cincinnati ou Regional Airlines à Clermont-Ferrand. Ces implantations évoluent en fonction des opportunités du marché, de manière difficilement prévisible.
La structure du trafic se modifiera donc nécessairement, en fonction de l’évolution des réseaux des compagnies, de la concurrence intermodale et de la vidéoconférence, des pressions écologiques, etc. L’ATM devra être adaptable aux nouveaux flux et modes d’opérations aéroportuaires.
Environnement
La préservation de l’environnement pourrait constituer une contrainte majeure pour le développement du transport aérien, notamment le contrôle des nuisances sonores. Certains aéroports (Amsterdam, Orly par exemple) font déjà l’objet de restrictions significatives liées à l’environnement. L’ATM ne peut limiter l’impact de l’aviation sur l’environnement que marginalement, grâce à la réduction de la distance de vol, soit environ 5 % des émissions, ou à des procédures de décollage et d’atterrissage moins bruyantes. Les principaux progrès doivent venir de l’amélioration de moteurs et des règles visant à écarter les avions les plus bruyants.
Les réponses aux défis du contrôle aérien
Actions institutionnelles
La gestion de la circulation aérienne est régie au niveau mondial par la Convention de Chicago, qui en attribue la responsabilité aux États. Les usagers demandent avec raison une amélioration significative des performances du système ATM. La forte interaction des éléments liés à l’ATM – contrôle aérien, gestion de l’espace, gestion des flux, opérations aériennes, équipement des avions – demande des actions conjointes fortes et cohérentes de la part de tous les acteurs au niveau européen, voire mondial. Les aspects institutionnels ont donc nécessairement une place importante dans l’évolution du contrôle aérien.
OACI
Grâce à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), les avions et équipages peuvent naviguer et atterrir en utilisant les mêmes systèmes et procédures dans le monde entier. C’est un atout considérable pour l’efficacité du transport aérien, que d’autres modes de transport peuvent envier.
Il est aujourd’hui nécessaire, comme nous l’avons vu, d’introduire de nouveaux systèmes et procédures pour la navigation aérienne : c’est l’objet de la stratégie dite CNS/ATM en cours de développement à l’OACI. Un des éléments essentiels de cette stratégie est que des solutions universelles doivent être appliquées dans chaque région du monde, en fonction des contraintes locales. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement au cas de l’Europe.
Eurocontrol
Eurocontrol, l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, a été fondée en 1960 sous l’impulsion notamment de René Bulin (41), son premier directeur général, au moment où l’avènement des jets faisait de l’Europe l’entité appropriée pour traiter les questions de contrôle aérien. L’idée initiale, un organisme unique de contrôle civil et militaire pour l’espace supérieur20 des six États fondateurs21, s’est matérialisée, partiellement seulement du fait d’impératifs de défense dans certains États, avec la création du centre de contrôle de Maastricht en 1972. L’Organisation a trouvé un nouvel élan à la fin des années 80 lorsqu’elle est devenue le point focal des stratégies pour l’amélioration de l’ATM décidées par les ministres des Transports réunis au sein de la Conférence européenne de l’aviation civile (CEAC22, voir encadré). Elle comptait 27 États membres au 1.12.9723 et tous les États membres de la CEAC ont été invités à devenir membres d’Eurocontrol.
L’Agence Eurocontrol, échelon permanent de l’Organisation, a été dirigée notamment par Jean Lévêque (49). Son directeur général est aujourd’hui Yves Lambert (56). Elle dispose d’un budget de 3 200 MF et emploie 2 150 agents. Elle a son siège à Bruxelles, un Institut de formation à Luxembourg, un centre de contrôle à Maastricht et un centre expérimental à Brétigny-sur-Orge. Ses principales fonctions sont les suivantes :
- gestion du programme européen d’harmonisation et d’intégration de l’ATC (EATCHIP) pour le compte des États membres de la CEAC, et mise en place d’une nouvelle stratégie ATM (ATM 2000+),
– opération de l’Unité centrale de gestion des flux (CFMU) pour le compte des États membres de la CEAC,
– recherche et développement en vue d’améliorer le service ATM en Europe,
– opération de centres de contrôle pour le compte d’États membres (ex. : centre de Maastricht),
– facturation et perception centralisées des redevances de route au bénéfice des États signataires.
Centres communs
Le centre de Maastricht contrôle l’espace supérieur du Benelux et du nord de l’Allemagne depuis 1972. Un accord prévoyant un centre commun géré par Eurocontrol pour huit États de l’Europe centrale vient d’être signé (CEATS : Autriche, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Hongrie, Italie, République slovaque, Slovénie et République tchèque). Des études sont en cours sur un espace couvrant les quatre États scandinaves (NHIP) et un centre franco-suisse (ZOE). Les centres communs permettent de rationaliser le contrôle et les investissements dans des espaces initialement fragmentés, d’attribuer plus facilement des routes directes sur de longues distances, et de créer des centres de taille comparable à ceux des États-Unis, dont les ratios de productivité sont nettement meilleurs qu’en Europe.
Les stratégies CEAC
L’ampleur des problèmes réels ou potentiels liés au contrôle aérien vus ci-dessus a conduit les ministres des Transports de la CEAC à prendre une série de mesures visant à améliorer la situation, comme indiqué dans l’encadré ci-après.
Privatisation des prestataires de service ATM
Chaque État décide souverainement de la manière dont il remplit son obligation de fournir le service ATM, pour lequel il reçoit des redevances. De plus en plus d’États délèguent ce service à une compagnie privée, dont les actionnaires peuvent être privés (Swisscontrol) ou, le plus souvent, publics. Ceci permet une plus grande souplesse pour la gestion des ressources humaines et financières, et induit un comportement d’entreprise commerciale, recherchant des opportunités de marché et la satisfaction de ses clients, radicalement différent de celui de structures gouvernementales traditionnelles. Ceci appelle un mécanisme de régulation et une séparation claire entre régulateur et prestataire. Une organisation des prestataires de service ATM (CANSO) vient d’être créée.
Actions techniques et opérationnelles
Les stratégies CEAC
- 1988 Gestion centralisée des flux, CFMU
Décision de créer un organisme centralisé de gestion des flux pour l’Europe de l’Ouest. Cet organisme (CFMU) est opérationnel depuis 1995 et géré par l’Agence Eurocontrol au bénéfice de 33 États européens en 1997. - 1990 Stratégie CEAC des années 1990, EATCHIP
L’élément essentiel de cette stratégie est le programme d’harmonisation etd’intégration de l’ATC en Europe (EATCHIP) : l’Agence Eurocontrol est chargée de coordonner des plans de convergence et de mise en œuvre (CIP)24 avec les États membres (par exemple : généralisation de la surveillance radar, des liaisons téléphoniques et numériques inter-centres, etc.) et de conduire un programme de travail couvrant tous les aspects techniques et opérationnels requis communs. À ce jour, EATCHIP a permis d’absorber un trafic en croissance de 5 à 10 % selon les années, en gardant les retards unitaires à peu près constants, alors que la tendance était à l’explosion. - 1992 Compléments à la stratégie CEAC
– Stratégie pour les aéroports, où un manque de capacité a un effet limitatif prépondérant sur le transport aérien. Le programme correspondant APATSI a été géré par le secrétariat de la CEAC jusqu’en 1997, et repris désormais par Eurocontrol.
– Lancement des travaux de définition du futur système ATM européen (EATMS) capable d’absorber la croissance du trafic dans la première partie du xxie siècle, et donc de repousser le » mur de la capacité « . - 1994 Lancement des travaux de la stratégie institutionnelle
Il était clair que la multiplicité et le manque d’autorité des instances décisionnelles pour l’ATM en Europe, ainsi que l’augmentation du nombre d’États membres d’Eurocontrol, appelaient des institutions plus efficaces. Se posait aussi la question des rôles respectifs de l’Union européenne et d’Eurocontrol. - 1997 Adoption de la stratégie institutionnelle de la CEAC
Signature de la Convention révisée d’Eurocontrol
La stratégie institutionnelle introduit des instruments importants pour
la gestion de l’ATM en Europe, qui sont incorporés dans la Convention révisée d’Eurocontrol, signée lors d’une conférence diplomatique en juin 1997, et
en cours de ratification dans chacun des 27 États membres d’Eurocontrol.
En voici les éléments principaux :- Renforcement des processus de décision
– Structure de décision unique, dirigée par une » Assemblée » générale composée des ministres des Transports et de la Défense, et un Conseil au niveau des
directeurs généraux de l’Aviation civile,
– Décisions à la majorité pondérée de 75 % au sein d’Eurocontrol
contraignantes pour les parties ; il est prévu que l’Union européenne devienne membre sui generis d’Eurocontrol,
– Direction unique de l’Agence Eurocontrol par son directeur général et abandon du mécanisme de codécision (États-directeur général), - Engagement mutuel des États à fournir le service de contrôle au niveau
de performance requis. Il y a des objectifs de résultats, par opposition à un engagement non contraignant sur les moyens dans le cadre de la stratégie pour les années 1990. Une Commission indépendante d’Examen des Performances (PRC)25 sera créée en 1998, dont le rôle est de fixer les objectifs de
performance, de déterminer et mesurer les indicateurs associés, et enfin
de proposer des règles de régulation économique à appliquer dans chaque État et au sein de l’Agence Eurocontrol - Commission indépendante de Réglementation de la Sécurité (SRC)26
- Renforcement d’actions communes ou concertées dans les domaines
de l’espace aérien, de la recherche-développement et des systèmes communs - Approche globale de l’ATM comprenant la circulation aéroportuaire
- Consultation et participation plus forte des usagers aux débats.
- Renforcement des processus de décision
- 1999 Adoption prévue de la stratégie ATM pour les années 2000+ (ATM 2000+)
Cette stratégie devrait fixer des objectifs ambitieux et définir les moyens pour y parvenir. - 1998 à 2002 Adhésion de l’Union européenne à Eurocontrol
Ratification de la Convention révisée d’Eurocontrol
L’évolution du cadre institutionnel est un élément nécessaire, mais non suffisant pour assurer l’évolution du contrôle aérien en Europe, dans le contexte plus général du programme CNS/ATM de l’OACI. Nous allons voir ici certaines des solutions opérationnelles et techniques qui devraient permettre de répondre aux défis posés à l’ATM par la croissance du trafic en Europe, dans l’ordre chronologique de leur application.
Contrôle des flux
La première action face à la croissance soudaine du trafic à partir de 1985 fut et reste de limiter le trafic en vol par un mécanisme d’attente au sol. C’est une solution préservant la sécurité au prix de retards dans l’exécution des vols. La gestion de flux centralisée en Europe par la CFMU a permis d’optimiser les retards et de mieux protéger les centres contre les pointes de trafic, d’où une augmentation de la capacité acceptable d’environ 10 %. Les améliorations à venir concernent principalement le reroutage, aujourd’hui employé de manière ad hoc, pour employer au mieux les capacités disponibles. Il devrait être possible à terme d’offrir un choix de routes pour chaque vol à l’exploitant, qui choisirait en fonction des retards acceptables à l’arrivée, des temps de vol et consommation prévus, des conditions météorologiques et des redevances.
Améliorations du système existant
Dans certains cas, les centres ne sont pas équipés ou exploités au mieux de l’état de l’art. Il est souvent possible par des actions relativement simples, d’ordre technique (liaisons entre centres), opérationnelles (optimisation du réseau de routes) ou organisationnelles (optimisation de l’ouverture des secteurs), d’améliorer significativement le service fourni par un centre de contrôle. Toutefois, une action ponctuelle peut être sans effet, le réseau ne valant que ce que vaut son plus faible maillon. Eurocontrol coordonne un plan de convergence et de mise en œuvre (CIP) depuis 1992, visant à la cohérence des actions dans les 65 centres en route, et diffuse les meilleures pratiques entre ses États membres. La Commission d’examen des performances, qui sera créée en 1998 (voir plus haut), établira des indicateurs et des objectifs de performance pour chaque élément du réseau ATM. Cela permettra de mieux détecter les points faibles et de fixer des objectifs équitables pour chacun des prestataires de service.
Premières évolutions de fond
Au-delà des améliorations du système actuel, on peut voir se dessiner les premiers éléments de solutions futures qui permettront de supporter la croissance de trafic pendant quelques années, juste assez pour développer et mettre en œuvre des solutions plus avancées.
L’ajout de huit niveaux de vols aux altitudes les plus demandées, par réduction de la séparation verticale à 1 000 pieds (300 m) entre les niveaux 290 et 410, doit augmenter la capacité aux altitudes de croisière d’environ 30 %, soit l’équivalent de cinq ans de croissance de trafic dans cette partie de l’espace.
La libération de zones militaires pénalisant le trafic civil au moment des pointes permet de réduire les retards de manière significative27. En Hongrie par exemple, les exercices militaires sont systématiquement planifiés en dehors des pointes de trafic civil.
L’introduction de routes directes en espace supérieur, dans la mesure où les zones militaires réservées le permettent, est une piste prometteuse, qui permettrait de réduire les pénalisations en temps et distance de vol, de diminuer le nombre de conflits et de réduire la pollution. Des méthodes et systèmes de contrôle adaptés à de nouvelles structures de trafic plus aléatoires devront être mis en œuvre. Des solutions expérimentales existent (voir plus loin). Mais leur implantation coordonnée dans un nombre suffisant de centres est délicate. L’introduction de grandes zones homogènes en espace supérieur en faciliterait la mise en œuvre (voir paragraphe » Centres communs »).
Programmes de recherche européens
Dans une étape ultérieure, les procédures et systèmes ATM devront connaître une évolution importante par rapport à aujourd’hui. Des programmes de recherche menés depuis une dizaine d’années en particulier dans le cadre d’Eurocontrol et de l’Union européenne tracent des voies prometteuses. Ainsi les troisième et quatrième programmes cadres de la Commission européenne (EURET, FANSTIC, ECARDA, etc.) et le programme coopératif PHARE ont contribué aux recherches ATM. Environ 800 MF, soit 5 % des redevances de route, ont été consacrés à la recherche sur CNS/ATM en 1995, dont la plus grande part dans des programmes nationaux.
PHARE
PHARE est un programme coopératif européen qui devrait marquer l’histoire de l’ATM. Il s’étend sur dix ans (1989−1998) et aura coûté 600 MF, soit 0,4 % des redevances de route pendant cette période.
L’une des voies de recherche est l’intégration air-sol, tirant parti de liaisons numériques air-sol. En effet, toute liaison entre les calculateurs sophistiqués utilisés à bord et au sol pour l’ATM passe actuellement par une communication orale impliquant le contrôleur et le pilote. Le programme PHARE est certainement l’un des plus avancés dans ce domaine. Il est conduit en coopération par les principaux établissements de recherche aéronautique et ATM en Europe28, conjointement avec les autorités ATM nationales. PHARE est cofinancé par Eurocontrol et ses participants.
PHARE donne aux hommes, contrôleurs et pilotes, un rôle central dans la détection et la résolution des conflits. Des outils puissants pour la planification en routes directes et la négociation de trajectoire air-sol, reliés aux systèmes de gestion de vol 4D29, ont été développés à leur intention. PHARE s’appuie sur une liaison de données numérique mobile air-sol, dont les technologies sont disponibles aujourd’hui.
La première démonstration PHARE, conduite en Grande-Bretagne en décembre 1995, a montré la faisabilité de la négociation de trajectoires entre le bord et le sol assistée par liaison de données pour le contrôle en route. La deuxième démonstration PHARE en février 1997 au DLR en Allemagne a démontré la valeur du séquencement 4D en zone terminale. Finalement, une grande démonstration prévue en 1998 (PD 3) intégrera tous les composants PHARE et l’expérience des travaux antérieurs. Elle devra démontrer le concept aux pilotes et contrôleurs en conditions expérimentales, et mesurer les performances obtenues.
Vers une gestion coopérative du trafic aérien
a) Coopération Air-sol
Jusqu’ici, le contrôleur radar disposait d’une bonne image de la situation présente sur son écran radar. Par contre, l’assistance à la planification était primitive et se limitait à des estimées de passage sur quelques balises. Ainsi aucune assistance à la planification des routes directes n’était fournie. Un contrôleur devait acquérir une longue expérience, près d’un an, avant de maîtriser une zone particulière. Le concept exploré dans PHARE ajoute au contrôle radar tactique plusieurs étapes de planification :
- égalisation des flux et des charges, permettant de détecter et traiter les accumulations de conflits avec un préavis de 40 minutes ;
- planification multi-secteur préorganisant le trafic 15–20 minutes en avance à l’aide de l’outil HIPS, les conflits résiduels étant gérés par le contrôle tactique ;
- contrôle tactique assisté grâce aux » outils coopératifs « , qui présentent automatiquement le sous-ensemble des avions interagissant dans un conflit et fournissent un » agenda » d’actions à prendre.
On introduit ainsi un autre élément d’un nouveau concept ATM : la coopération air-air. À la coopération air-sol et air-air peut s’ajouter une coopération sol-sol.
Ces outils avancés s’appuient eux-mêmes sur d’autres outils, tel le prédicteur de trajectoires.
Finalement, le système anti-collision embarqué TCAS fournit un secours de dernière minute.
Il aura ainsi fallu plus de trente ans pour mettre en application la » Méthode des filtres » publiée par J. Villiers (45) en 196830, selon laquelle un flux naturel de conflits est progressivement réduit à un niveau acceptable par une série de » filtres » à échéances de plus en plus courtes. Il doit ainsi être possible de repousser le » mur de la capacité » en découpant la charge de travail non plus seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps, et en fournissant des outils adaptés à des hommes et femmes qui restent les décideurs.
Outre une capacité accrue, dont on a vu la nécessité pour absorber le trafic et réduire les retards, ces nouveaux concepts devraient offrir plusieurs avantages : formation allégée pour un secteur spécifique, meilleure anticipation des contraintes et optimisation du vol par les pilotes, réduction de la charge de travail des contrôleurs, donc meilleure productivité, réduction des pénalisations grâce à une planification efficace en routes directes, enfin, sécurité améliorée grâce aux vérifications automatiques de cohérence entre les informations de planification au sol et à bord.
Une meilleure coopération air-sol semble donc un élément important d’un nouveau concept ATM.
b) Coopération Air-air
Supposons maintenant que des outils de planification (interactifs comme HIPS, ou automatiques) et cohérents avec ceux du sol soient disponibles à bord. Cela fournirait un support puissant pour la coopération air-sol dans les zones denses et étendrait le champ des croisements à vue déjà couramment pratiqués. Par exemple, le suivi tactique d’un conflit résolu par planification pourrait être assuré à bord, déchargeant le contrôleur radar d’une grande partie de sa charge de travail. Ce concept doit être exploré par le projet FREER 2 du Centre expérimental Eurocontrol (CEE).
Dans certaines zones océaniques ou désertiques, où la sécurité laisse parfois à désirer, et où la charge de travail à bord est faible, la délégation pourrait être permanente, et la séparation assurée par les équipages eux-mêmes. Ceci nécessiterait de définir des règles de priorité universelles pour tous types de conflits entre deux ou plusieurs avions. En effet, les règles de vol à vue actuelles (VFR) ne traitent que du cas de deux avions en palier en conditions de bonne visibilité. Plusieurs projets expérimentaux sont menés notamment par NASA/NLR, par le CENA en France et par le CEE (FREER 1)31.
Ces projets pourraient avoir une incidence majeure sur l’ATM dans les zones peu denses (peut-être 10 % du trafic et 80 % de la surface du globe), en réduisant considérablement le besoin de contrôle au sol dans ces espaces. Il resterait toutefois un rôle de surveillance de la régularité des opérations et de secours en cas d’accident.
c) Coopération Sol-sol
On introduit ainsi un autre élément d’un nouveau concept ATM : la coopération air-air. À la coopération air-sol et air-air peut s’ajouter une coopération sol-sol.
Les besoins opérationnels des exploitants sont différents pour chaque vol. Arriver à l’heure sera prioritaire pour un vol assurant des correspondances dans un hub, quitte à allonger la route pour éviter des retards ATM. Par contre, minimiser les coûts d’exploitation sera essentiel pour un long courrier. Au dépôt d’un plan de vol, l’ATM pourrait proposer plusieurs routes et donner l’ensemble des contraintes affectant le vol (espace aérien, météo, retard et redevances de route pour chaque alternative). L’exploitant pourrait choisir sa route en fonction de ces éléments. Il serait également possible, comme aux États-Unis, d’attribuer à chaque compagnie un ensemble de créneaux d’atterrissage, en coopération avec les aéroports, à charge pour elle d’établir et de communiquer les priorités entre ses vols. Ces dispositions peuvent générer des économies d’exploitation importantes, sans créer de charge de travail inacceptable pour l’ATM.
d) Diffusion de la position et des intentions
Enfin, chaque avion pourrait transmettre obligatoirement sa position et ses intentions, par exemple par ADS/B32. Cela permettrait d’améliorer la prédiction de trajectoire.
Or ces scénarios s’appuient sur une prévision de trajectoire fiable à la fois au sol et à bord. Ceci est atteint dans PHARE grâce aux FMS 4D (qui arrivent par construction à l’heure fixée) et à la liaison de données pour assurer une cohérence air-sol. Une meilleure prédiction de trajectoire basée sur des informations disponibles au sol ou à bord et diffusées à toutes les parties concernées permettrait sans doute d’atténuer l’exigence coûteuse d’équiper la plupart des avions de FMS 4D. En effet, de nombreuses compagnies disposent d’informations très précises sur les conditions d’exploitation de chaque vol (masse, profils de montée/descente, etc.). Les vents et températures mesurés automatiquement à bord pourraient aussi être transmis par liaison de données et intégrés dans les modèles météo, remplaçant pour partie les radiosondes. Les études météo de PHARE ont montré qu’il était possible de réduire l’incertitude sur la vitesse du vent, principal facteur d’erreur de prédiction, d’environ 60 %. Enfin, l’interpolation sur la base d’intentions est nécessairement plus précise que l’extrapolation sur la base des informations rudimentaires contenues dans le plan de vol.
On voit ainsi se dessiner la gestion coopérative du contrôle aérien (coopération air-sol, air-air et sol-sol, diffusion des positions et intentions), où ATM, exploitants, équipages et aéroports seraient parties prenantes, comme élément de réponse aux défis décrits plus haut.
Que serait-il nécessaire pour cela ?
- Des systèmes et méthodes de gestion d’informations cohérentes entre compagnies aériennes (AOC), avions, aéroports et ATM (centres de contrôle, CFMU, gestion de l’espace), permettant à toutes les parties concernées de connaître les contraintes les affectant (trafic, météo, relief, créneaux à l’arrivée, espaces réservés…).
- Des avions, non nécessairement équipés de FMS 4‑D, capables de communiquer leurs positions et intentions.
- Des hommes et des femmes formés (ce qui peut poser un problème de flux de formation).
- Des financements (ce qui ne sera pas un problème si un bon retour sur investissement est démontré).
- Des liaisons de données air-sol et air-air (les technologies sont disponibles).
- Et surtout, la volonté d’aboutir !
L’expérience de mise en place du GSM33, avec engagement des différentes parties sur des plans de mise en œuvre coordonnés est sans doute à méditer.
Que pourrait-on attendre d’un tel modèle ?
- Il devrait être capable de répondre aux défis posés à l’ATM pour les dix-vingt ans à venir. Les résultats des travaux en cours, notamment PHARE, devraient permettre de commencer à le démontrer.
- Il pourrait comporter un spectre complet de concepts opérationnels, depuis le contrôle classique jusqu’à l’avion autonome, basés sur un paradigme unique : la connaissance partagée des contraintes et des intentions.
- Il permet de s’approcher à terme de l’objectif du Free Flight, ardemment défendu aux USA.
Le concept EATMS, développé sous la conduite de Bernard Miaillier (73), maintenant officiellement accepté par l’organisation Eurocontrol et ses usagers comme cible de la stratégie de mise en œuvre commune pour les années 2000+, incorpore ces éléments et d’autres encore34.
Aspects économiques et réglementaires
Les aspects institutionnels, opérationnels et techniques évoqués jusqu’ici seraient impuissants sans financement approprié. Nous avons vu que les redevances de route sont calculées depuis le 1er janvier 1998 sur la base de la route demandée, ce qui introduit un certain degré de compétition entre fournisseurs ATM, car les exploitants pourront désormais choisir une route alternative où la redevance est moins chère. La responsabilité du contrôle d’un espace aérien donné est attribuée à un État particulier, en situation de monopole. Il arrive toutefois qu’un État, tel le Royaume-Uni, ouvre à la concurrence la prestation de service ATM pour une zone et une période donnée. Le mode de financement est aujourd’hui inflationniste, car les redevances recouvrent par définition les coûts encourus. Enfin, les utilisateurs et payeurs de l’ATM n’ont pas d’autorité directe sur la fixation des tarifs.
Dans ce contexte, il faut assurer que la sécurité est gérée selon des règles établies, assurer un contrepoids aux situations de monopole, et éventuellement réguler la concurrence. De plus, certains services tels les communications sol-sol ou air-sol, la surveillance et les aides à la navigation, ne seront plus nécessairement fournis par les prestataires de service ATM eux-mêmes, mais par des opérateurs globaux. La séparation entre régulateur et opérateurs, et la régulation du service ATM devront donc se développer, à l’instar de ce qui passe dans les Télécommunications35 ou les transports ferroviaires. Un des rôles de la Commission d’examen des performances (PRC) nouvellement créée sera de proposer au Conseil les lignes directrices de la régulation à appliquer par chaque État.
Conclusions
Les initiatives et travaux en cours, notamment dans le cadre de la Convention révisée d’Eurocontrol, permettent de penser que des solutions sont et seront apportées pour que le contrôle du trafic aérien en Europe satisfasse les besoins des utilisateurs en quantité et en qualité dans les décennies qui viennent. Nul doute que les usagers de l’espace, qui payent entièrement le service ATM en fin de compte, feront pression pour que les promesses se réalisent
Le transport aérien est porteur d’un fort potentiel de croissance et d’emplois de haut niveau dans un contexte de construction européenne et de mondialisation. Toutefois, les bénéfices associés ne se matérialiseront que si les facteurs limitatifs, notamment capacité des aéroports et nuisances, sont traités avec la vigueur qui convient.
Pour ce qui concerne la gestion du trafic aérien, une forte évolution des systèmes et méthodes pour le contrôle des flux, la gestion de l’espace et la séparation des avions seront nécessaires pour vaincre le » mur de la capacité » prévu vers 2003 dans les zones les plus denses. La stratégie institutionnelle adoptée par les ministres des Transports en février 1997 fournit des instruments pour y parvenir. Entre les deux options extrêmes, fractionnement dans chaque État et organisme européen unique de gestion du trafic aérien, les ministres des Transports se sont engagés à fournir de manière distribuée un service à un niveau de performance décidé et vérifié en commun, ce qui nécessite un mécanisme de régulation économique.
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1. Le Centre expérimental Eurocontrol est dirigé par J.-M. Garot (67). Adresse : B.P. 15, 91222 Brétigny-sur-Orge Cedex. http:// www.eurocontrol.fr
2. 92 % du trafic aérien européen est interne à la région, alors que seulement 30 % du trafic évoluant dans le ciel français reste à l’intérieur de notre pays.
3. ATM : Air Traffic Management = ATC + ATFM + ASM.
ATC : Air Traffic Control ; ATFM : Air Traffic Flow Management ; ASM : Airspace Management. Pour une vue d’ensemble sur la gestion du trafic aérien, voir Le Contrôle de la circulation aérienne, Que sais-je ? n° 2572, par Georges Maignan (52).
4. Notez que cette date coïncide avec la signature de l’Acte unique, qui devait introduire un Marché unique en 1993, et dont les usagers ont pu anticiper l’effet.
5. Source : Eurocontrol/Statfor. La zone » Euro 88 » comprend 11 États de l’Europe de l’Ouest, soit environ 75 % du trafic de la zone CEAC (la plupart des États européens à l’ouest de la CEI).
6. Voir à ce sujet le » Que sais-je ? » de G. Maignan.
7. Source CEAC : » Stratégie institutionnel pour l’ATM en Europe ”.
8. Source Eurocontrol/SCRR (20 États).
9. Estimation.
10. Source Eurocontrol/CFMU ; ce chiffre comprend toutes les restrictions gérées par la CFMU, y compris les limitations dues aux capacités de piste et à la météo.
11. Voir plus bas le paragraphe consacré à Eurocontrol.
12. Méthode de calcul dite “RSO”.
13. Voir figure 1.
14. Budget d’investissement de la Direction de la navigation aérienne divisé par deux en termes réels de 1972 à 1984.
15. C’est l’unité géographique d’organisation des tâches de contrôle, sous la responsabilité d’un ou deux contrôleurs.
16. Voir articles de J. VILLIERS (45) dans les magazines de l’Institut du Transport Aérien n° 59 et 60.
17. Noter qu’il y a de nombreuses autres sources de retards : chargement des passagers ou des bagages, problèmes techniques de l’avion, capacité insuffisante de la piste, météorologie défavorable…
18. 33 États en 1997.
19. Coût moyen d’une minute d’attente au sol : 120 F (source IATA).
20. Au-dessus de 7 500 m d’altitude.
21. Allemagne de l’Ouest, Benelux, Grande- Bretagne, France.
22. La CEAC comprenait 37 États européens au 1.1.98, soit la quasi-totalité des États à l’ouest de la CEI.
23. Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande, Portugal, Grèce, Turquie, Malte, Chypre, Hongrie, Suisse, Autriche, Norvège, Danemark, Slovénie, Suède, République tchèque, Italie, Roumanie, République slovaque, Espagne, Bulgarie, Croatie, Monaco.
24. CIP : Convergence and Implementation Plan.
25. PRC : Performance Review Commission.
26. SRC : Safety Regulation Commission.
27. Si le gain de capacité est de 10 %, les délais induits peuvent être réduits d’environ 50 % (voir l’élasticité capacité/retards au chapitre “ Capacités ATM du point de vue des retards ”).
28. Membres principaux : Centre d’études de la navigation aérienne (CENA/DGAC France), NLR (NL), DLR (Allemagne), National Air Traffic Services (GB), Agence Eurocontrol.
29. Les calculateurs sophistiqués installés à bord des avions les plus modernes (Flight Management System 4D, ou FMS 4D) assurent la gestion des trajectoires des avions dans l’espace et le temps.
30. “ La méthode des filtres ”, J. VILLIERS, Revue Navigation n° 61, 3e trimestre 1968.
31. Voir http://www.eurocontrol.fr/projects/ freer
32. Automatic Dependent Surveillance/Broadcast, par lequel l’avion transmet omnidirectionnellement sa position, son identité et ses intentions.
33. Système de communications avec les mobiles.
34. Réf. : EATMS Operational Concept document (OCD), EUROCONTROL, EATCHIP Doc : FCO.ET1. ST07.DEL01 – Issue 1.0 – 1 March 1997, http:www.eurocontrol.be
35. Voir l’article de J.-M. CHADUC (62) “ La régulation des Télécommunications ” dans La Jaune et la Rouge n° 514.