Évolutions régionales et mutations de l’habitat

Dossier : Le territoire français en 2050Magazine N°605 Mai 2005Par Philippe BÉATRIX (54)
Par Gérard de LIGNY (43)

I. Dynamique des régions

La France métro­po­li­taine compte 22 régions admi­nis­tra­tives, de dimen­sions très inégales en super­fi­cie et en population :

  • 8 000 km² en Alsace, 45 000 km² en Midi-Pyrénées,
  • 800 000 habi­tants en Limou­sin, 11 mil­lions en Île-de-France.

Elles se dis­tinguent aus­si par leur richesse (Île-de-France, PACA…) ou leur pau­vre­té (Limou­sin, Auvergne…), et plus encore par la pos­ses­sion d’une métro­pole impor­tante : la moi­tié des régions ne com­portent pas de villes de plus de 250 000 habi­tants ; ce sont aus­si les régions ayant la plus faible population.

L’i­den­ti­té régio­nale n’est for­te­ment res­sen­tie que dans les pro­vinces por­teuses d’une his­toire (Bre­tagne, Flandre, Lor­raine, Alsace, Corse…) mais elle peut se ren­for­cer ailleurs mal­gré des décou­pages sou­vent arbitraires.

Comment ces régions ont-elles évolué depuis 1950 ?

Le gra­phique A fait appa­raître l’é­vo­lu­tion de la popu­la­tion d’une part (en abs­cisse) dans la pre­mière période du demi-siècle (1962−1982) mar­quée par les rapa­trie­ments d’Al­gé­rie, l’ex­pan­sion de l’in­dus­trie et la pour­suite de l’exode rural, et d’autre part (en ordon­née) dans la deuxième période (1982−1999), beau­coup plus calme.

Dans la pre­mière période la crois­sance est posi­tive par­tout, mais avec un gros écart entre les extrêmes. Quatre régions : Limou­sin, Auvergne, Lor­raine, Nord-Pas-de-Calais sont aux alen­tours de zéro et quatre régions dépassent 1 % par an : Lan­gue­doc, Rhône-Alpes, PACA, Corse. Dans la deuxième période aucune région n’a main­te­nu son taux de crois­sance de la pre­mière période. La moyenne natio­nale a bais­sé de moi­tié : 0,4 % par an au lieu de 0,8 % soit envi­ron 8,5 % en vingt ans au lieu de 18 %. Les quatre régions voi­sines de zéro, plus la Bour­gogne et la Cham­pagne, sont tou­jours en queue de pelo­ton. La plu­part des régions du Sud ont une crois­sance supé­rieure à la moyenne nationale.

Mais il faut voir de plus près l’é­vo­lu­tion qua­li­ta­tive de ces populations.

Écarts d’âge et de fécondité

(Gra­phique B) : la pro­por­tion des plus de 60 ans va de 17 % en Île-de-France, à 29 % en Limou­sin. Le taux de décès annuel varie évi­dem­ment dans le même sens (de 0,8 % à 1,3 %). Les régions les plus âgées sont presque toutes au sud de la Loire, où l’ac­crois­se­ment de la popu­la­tion a été le plus fort. Il y a donc eu afflux de retrai­tés dans le Midi. Par exemple, dans le Lan­gue­doc-Rous­sillon la crois­sance de la popu­la­tion par migra­tion s’est main­te­nue à 1 % par an pen­dant plus de qua­rante ans (de 1962 à 1999).

Symé­tri­que­ment (gra­phique C) la pro­por­tion des moins de 40 ans varie de 44 % en Limou­sin à 57 % en Île-de-France et les écarts de nata­li­té sont encore plus éle­vés (de 0,9 % par an à 1,65 %), parce que ren­for­cés par un écart de fécon­di­té des femmes en âge d’être mères.

En matière de fécon­di­té les deux fac­teurs domi­nants sont d’une part les tra­di­tions fami­liales (Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire…), d’autre part la pro­por­tion des femmes d’o­ri­gine afri­caine, les taux annuels de nais­sances étant de 4,7 % pour les Euro­péennes, 8,7 % pour les Magh­ré­bines et 14,8 % pour les Afri­caines sub­sa­ha­riennes (ce qui touche sur­tout la Région pari­sienne où 22 % des accou­chées sont des immi­grées contre 6 % en Limou­sin et 2 % en Bretagne).

Écarts dus aux migrations

L’im­mi­gra­tion d’o­ri­gine étran­gère concerne majo­ri­tai­re­ment (60 %) trois régions : Île-de-France, Rhône-Alpes et Pro­vence-Côte d’A­zur. Les régions de l’Ouest et même de Sud-Ouest sont les moins concernées.

Les immi­grés n’ont pas une mobi­li­té très supé­rieure aux autres Fran­çais et leur dif­fu­sion dans le ter­ri­toire se fait très lentement.

À l’in­té­rieur de la France, nous avons vu que la migra­tion domi­nante est Nord-Sud, mais ce n’est que la résul­tante de dépla­ce­ments beau­coup plus variés, à com­men­cer par l’exode rural et la remon­tée vers le Nord des réfu­giés d’A­frique du Nord (dans les années 1960–1980).

Le recen­se­ment de 1999 nous montre qu’en­vi­ron 1 % de la popu­la­tion a chan­gé de région chaque année ce qui tra­duit une assez faible mobi­li­té. Bien enten­du, l’Île-de-France bat le record de la mobi­li­té ; elle aspire les jeunes jus­qu’à 30–35 ans (études et début de car­rière), mais dès l’âge de 35 ans les sor­ties dépassent les entrées, et mas­si­ve­ment à l’âge de la retraite. Plus récem­ment le phé­no­mène d’as­pi­ra­tion tend à dimi­nuer grâce à l’at­trac­ti­vi­té des métro­poles régionales.

Les régions à iden­ti­té forte (Alsace, Bre­tagne…) ont les plus faibles taux de mobilité.

Écarts dus aux fluctuations économiques (voir graphique D)

Les grandes épreuves éco­no­miques qu’ont subies les régions du Nord et du Nord-Est entre 1960 et 2000 ont sus­ci­té une éva­sion de ces régions rela­ti­ve­ment faible (envi­ron 15 % de la popu­la­tion), lar­ge­ment com­pen­sée par le solde naturel.

A contra­rio les régions à solde migra­toire net­te­ment posi­tif pen­dant cette période ne sont pas répu­tées comme par­ti­cu­liè­re­ment dyna­miques économiquement.

C’est donc, dans les deux cas, par les indem­ni­tés de chô­mage et les pré­re­traites que le dés­équi­libre entre pro­duc­tion et » bouches à nour­rir » a été régu­lé, au moins pour partie.

Cela ne peut être une solu­tion durable. Il est temps de don­ner prio­ri­té au déve­lop­pe­ment éco­no­mique par rap­port à l’at­trac­tion du soleil et au confort méridional.

Quel avenir pour les diverses régions de France ?

Nous ne nous atta­che­rons pas beau­coup aux contours des régions admi­nis­tra­tives actuelles. C’est leur vita­li­té qui nous inté­resse le plus. Néan­moins il est pro­bable que des regrou­pe­ments deux à deux inter­vien­dront (par exemple pour les deux « Nor­man­dies »).

Il est pos­sible qu’on aille beau­coup plus loin, en sui­vant les tra­cés des géo­graphes éco­no­mistes, tels que ceux de l’Arc atlan­tique, de l’Arc médi­ter­ra­néen, de la » Banane » Lille-Stras­bourg-Lyon. Mais il sera dif­fi­cile d’y faire naître une vraie soli­da­ri­té populaire.

Quant aux fron­tières exté­rieures des régions qui côtoient la Bel­gique, l’Al­le­magne, l’I­ta­lie et l’Es­pagne, il n’est pas impos­sible que, dans le cas d’une vraie régio­na­li­sa­tion, elles soient au moins par­tiel­le­ment gom­mées du côté de la Wal­lo­nie, de la Cata­logne et du Pays basque.
En rai­son­nant sur le décou­page régio­nal actuel, et dans l’hy­po­thèse, dif­fi­ci­le­ment réfu­table, d’une lente dégra­da­tion éco­no­mique en France, les toutes pro­chaines décen­nies subi­ront néces­sai­re­ment la loi qua­si entro­pique : « affai­blis­se­ment des faibles et résis­tance des forts », c’est-à-dire :

  • crois­sance à peine ralen­tie en Île-de-France, et sou­te­nue dans les régions mobi­li­sées sur le déve­lop­pe­ment éco­no­mique (les « pôles de com­pé­ti­ti­vi­té » sont sur la bonne voie),
  • vieillis­se­ment maxi­mal dans le Sud et mini­mal en Île-de-France (grâce à l’exode des retraités),
  • accueil de l’im­mi­gra­tion étran­gère dans les régions déjà peu­plées de colo­nies de mêmes ori­gines, autour des grandes villes (avec aggra­va­tion des conséquences).

Cette évo­lu­tion serait accé­lé­rée si se met­tait en place une vraie régio­na­li­sa­tion, lais­sant à chaque région un vrai pou­voir sur la fis­ca­li­té, la régle­men­ta­tion sociale et l’é­du­ca­tion. Il est cer­tain que les déci­sions en ces matières ne seraient pas les mêmes dans les régions à 25 % d’é­lec­teurs de plus de 60 ans et dans celles à 40 %. Mais cette éven­tua­li­té est peu vraisemblable.

Le plus pro­bable est qu’il fau­dra des­cendre au même niveau que l’An­gle­terre en 1979 pour que se pro­duise un sur­saut natio­nal – ou des sur­sauts régio­naux – com­pa­rables au redres­se­ment britannique.

Sur ce sur­saut notre mode d’in­ser­tion dans l’Eu­rope et le niveau de san­té de cette Europe peuvent avoir un effet sti­mu­lant donc bien­fai­sant – ou un effet paralysant.

À l’al­lure où évo­lue la Vieille Europe un délai mini­mum de dix à quinze ans est à prévoir.

On se retrou­ve­ra alors face à des dif­fé­ren­cia­tions régio­nales ampli­fiées et à cer­tains déclins irré­ver­sibles, et il fau­dra remon­ter aux sources des réus­sites et des échecs : laxisme fami­lial et édu­ca­tif, manque d’ap­pui aux grands entre­pre­neurs, laxisme fron­ta­lier à l’é­gard des mar­chan­dises, des capi­taux et des hommes, sur­ré­gle­men­ta­tion, suradministration.

Et il fau­dra comp­ter avec d’autres phé­no­mènes dès aujourd’­hui pré­vi­sibles, bien que dif­fi­ciles à quantifier :

  • le réchauf­fe­ment cli­ma­tique sera sen­sible dès l’an­née 2030 sur­tout dans le Midi. Il ne sera pas encore assez fort pour faire fuir les Méri­dio­naux vers le Nord, mais il dimi­nue­ra l’at­trait de la popu­la­tion du Nord pour le Sud ;
  • une pos­sible pous­sée de l’im­mi­gra­tion des Afri­cains vers l’Eu­rope, du fait de l’é­cart crois­sant des condi­tions de vie et de la remon­tée du désert vers le Nord. Mal­gré une mino­ri­té de per­sonnes qua­li­fiées, faciles à inté­grer, les immi­grants risquent fort de gon­fler la popu­la­tion des » insou­mis » des grandes villes et de péna­li­ser les régions environnantes ;
  • la hausse du prix de l’éner­gie, tou­chant par­ti­cu­liè­re­ment les trans­ports rou­tiers, peut inci­ter chaque région à pra­ti­quer une cer­taine autar­cie et avan­ta­ger les façades mari­times dotées de ports bien équipés ;
  • le han­di­cap du vieillis­se­ment de la popu­la­tion face à une concur­rence mon­diale ren­for­cée sera inéga­le­ment sur­mon­té par les régions. Ce n’est pas par hasard que la région la plus jeune et com­pre­nant la plus grande pro­por­tion de cer­veaux inno­va­teurs gagne chaque année du terrain.

Pour s’a­dap­ter aux dif­fi­cul­tés – ou aux oppor­tu­ni­tés – qui se pré­sen­te­ront c’est aux régions du nord de la Loire et à cer­tains îlots dyna­miques du Sud (Lyon, Gre­noble, Tou­louse…) que nous pou­vons le plus faire confiance. Ce sont les plus riches en vraies res­sources natu­relles, à com­men­cer par les hommes et leurs tra­di­tions indus­trielles. Mais l’an­ti­ci­pa­tion risque d’être tou­jours insuffisante.

Les régions du Sud devraient pro­fi­ter de l’at­trac­ti­vi­té de leur cli­mat pour être la Cali­for­nie de l’Eu­rope (elles ont la même popu­la­tion) avec des uni­ver­si­tés de forte répu­ta­tion et des acti­vi­tés de ser­vices de haut niveau. L’ap­port de res­sources humaines exté­rieures dans les domaines de la recherche, de la finance et du mana­ge­ment leur sera pro­ba­ble­ment néces­saire pour sti­mu­ler leurs élites déjà dotées d’un bon potentiel.

Au total, il n’y a pas lieu d’être gra­ve­ment pes­si­miste, car à moins de perdre son iden­ti­té, la France a un poten­tiel de réac­ti­vi­té qui a fait ses preuves dans l’his­toire et elle garde sa répu­ta­tion de » pays de cocagne » mer­veilleu­se­ment diversifié.

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II. Évolution de l’habitat

Rétrospective de 1950 à 2000

Les deux étapes de l’évolution

Au cours de ce demi-siècle la popu­la­tion s’est accrue de 50 % et le nombre de loge­ments de 77 %. Mais ces chiffres glo­baux recouvrent des situa­tions très différentes :

  • en zone rurale hors influence urbaine1, la popu­la­tion a bais­sé (très inéga­le­ment) de 20 % en moyenne alors que le nombre de loge­ments s’est main­te­nu, en rai­son notam­ment des rési­dences secondaires,
  • en zone urbaine la popu­la­tion a été mul­ti­pliée par 2 et le nombre des loge­ments par 2,4, ce qui repré­sente une baisse de 20 % du nombre d’oc­cu­pants par logement.

L’ur­ba­ni­sa­tion est un phé­no­mène géné­ral, lié à l’é­vo­lu­tion des modes de vie et à la loca­li­sa­tion des emplois. Sur ces deux points il n’est pas sûr que le demi-siècle à venir soit iden­tique à celui qui vient de se ter­mi­ner, car il y a du « contre nature » dans une par­tie de cette évolution.

L’exa­men des deux quarts de siècle pas­sés nous éclai­re­ra à ce sujet.

démolition par vérinage d’une tour de la société d’HLM Batigère-IdF, communes de Montgeron et Vigneux-sur-Seine, Essonne.
Bien que diver­se­ment com­men­tée, la démo­li­tion d’immeubles obso­lètes est désor­mais une des com­po­santes de la poli­tique de déve­lop­pe­ment et d’adaptation de l’habitat social : démo­li­tion par véri­nage d’une tour de la socié­té d’HLM Bati­gère-IdF dans le quar­tier de la Prai­rie de l’Oly, com­munes de Mont­ge­ron et Vigneux-sur-Seine, Essonne. © L’IMAGE CONTEMPORAINE POUR BATIGÈRE-IdF

De 1950 à 1975 c’est la grande hâte de la recons­truc­tion et les moyens de trans­ports col­lec­tifs ne sont pas très déve­lop­pés, il faut donc construire le plus pos­sible de loge­ments pour les mal logés et les nou­veaux arri­vants. On le fait dans le pour­tour des villes, en consom­mant le mini­mum de mètres car­rés au sol, donc avec des immeubles mas­sifs et géants. C’est l’é­poque des offices d’HBM (deve­nus HLM), lar­ge­ment sub­ven­tion­nés, à petit loyer et petit confort.

On construit aus­si en ville des immeubles de meilleur stan­ding, ven­dus en copro­prié­té (for­mule nou­velle) à des classes sociales plus aisées qui béné­fi­cient de l’in­fla­tion, les taux d’in­té­rêts réels étant sou­vent néga­tifs. Les plans d’ur­ba­nisme sont éta­blis par les pou­voirs publics, dans une optique de grands immeubles.

De 1975 à 2000 la pla­ni­fi­ca­tion devient moins rigou­reuse, les sub­ven­tions moins géné­reuses, et les lignes de métro et d’au­to­bus sont éten­dues (notam­ment le RER à Paris). Les pro­mo­teurs trouvent alors un mar­ché très inté­res­sant à la péri­phé­rie des villes, jus­qu’à 10–15 kilo­mètres. Dans cet espace et au-delà, les maires ruraux dis­tri­buent des auto­ri­sa­tions de construire aux pay­sans cher­chant à valo­ri­ser leurs ter­rains et leurs bâti­ments conver­tibles en logements.

La mai­son par­ti­cu­lière a fait ain­si flo­rès grâce au déve­lop­pe­ment de l’é­qui­pe­ment rou­tier et à la démo­cra­ti­sa­tion de l’au­to­mo­bile. Son suc­cès tient aus­si au rejet de l’ha­bi­ta­tion en grands immeubles par des habi­tants sor­tis de la pré­ca­ri­té, avides d’au­to­no­mie, de pro­prié­té indi­vi­duelle et de non-pro­mis­cui­té. Il résulte aus­si, pour les classes plus aisées, de la raré­fac­tion des res­sources en mètres car­rés à l’in­té­rieur de la ville, suite à la mul­ti­pli­ca­tion des bureaux et au main­tien chez elles des douai­rières jadis char­gées de familles. Ce qui a entraî­né une élé­va­tion des prix dépas­sant les moyens des jeunes couples.

Bien enten­du les implan­ta­tions hors des villes, par grappes ou de façon iso­lée, se sont stra­ti­fiées par classes sociales à l’exemple de ce qui se passe à l’in­té­rieur des villes. Les appel­la­tions de ces grappes de loge­ments en témoignent : on trouve des » lotis­se­ments « , des » rési­dences « , des » parcs « . Les nou­veaux venus dans l’es­pace rural péri­ur­bain mettent du temps à s’in­té­grer dans les com­munes anté­rieu­re­ment domi­nées par les pay­sans, mais peu à peu la fré­quen­ta­tion des mêmes écoles rap­proche toutes les mamans et sus­cite un cer­tain pana­chage dans les municipalités.

C’est ain­si que près de 6 mil­lions de mai­sons indi­vi­duelles ont été construites ou recons­truites dans les trente der­nières années dont 90 % de rési­dences prin­ci­pales : il s’y loge 30 % de la popu­la­tion fran­çaise dite « urbaine » parce qu’in­cluse dans une agglo­mé­ra­tion de plus de 5 000 habi­tants2.

Et la ville intra-muros ?

Face à cette éva­sion, le centre-ville (stric­to sen­su) se res­sai­sit. Les recen­se­ments lui ont fait appa­raître que les 23 de ses loge­ments sont sous-peu­plés, et qu’il existe dans son voi­si­nage des « friches urbaines » à réha­bi­li­ter. En plus il prend conscience qu’il est por­teur de l’hé­ri­tage his­to­rique de la Cité et que la popu­la­tion épar­pillée a besoin de lui pour se ressourcer.

Mais, le com­merce n’est pas d’ac­cord : il sait que « no par­king = no busi­ness ». Aus­si il s’ins­talle dans le pour­tour des villes, sur­tout si une rocade péri­phé­rique y a été tra­cée. Les halls d’ex­po­si­tion, les dan­cings et les ciné­mas com­mencent eux aus­si à s’ins­tal­ler sur le bord de la rocade.

Com­ment s’ar­ran­ge­ront entre eux les défen­seurs du centre-ville et les défen­seurs de sa péri­phé­rie ? Nous y réflé­chi­rons plus loin.

À la véri­té la ville n’a pas seule­ment un centre : elle a des quar­tiers bour­geois, des quar­tiers popu­laires tra­di­tion­nels, et des quar­tiers à risques parce qu’­ha­bi­tés par une popu­la­tion récente à forte dose d’im­mi­grés et sur­tout de jeunes chô­meurs, tous entas­sés dans des « machines à dor­mir » de dix étages et plus. La solu­tion consis­tant à trans­fé­rer les occu­pants dans des loge­ments plus convi­viaux, puis à dyna­mi­ter les immeubles deve­nus invi­vables, tant par leur archi­tec­ture que par leur envi­ron­ne­ment, répond à une néces­si­té : il faut bien démon­ter l’é­cha­fau­dage qui a été néces­saire en début de recons­truc­tion. Mais on ne doit pas comp­ter sur le seul démé­na­ge­ment pour gué­rir des sau­va­geons dont on a raté l’é­du­ca­tion et l’intégration.

Le pro­blème des zones de non-droit est encore cir­cons­crit à quelques dizaines de quar­tiers chauds en France, mais il ne peut que s’ag­gra­ver dans l’avenir.

Dans l’espace rural

Quant à l’ha­bi­tat de l’es­pace rural, il se main­tient, grâce à l’au­to­mo­bile, aus­si bien dans les com­munes à hameaux dis­per­sés que dans celles concen­trées en gros bourgs.

À ces rési­dences per­ma­nentes (envi­ron 25 mil­lions) s’a­joutent les 3 mil­lions de rési­dences secon­daires, dont la France détient le record, et qui sont pour plus de la moi­tié des rési­dences modestes, pos­sé­dées par les » classes moyennes « , en héri­tage d’an­cêtres pay­sans. Il n’est pas sûr qu’à l’a­ve­nir elles conti­nuent leur pro­gres­sion parce que les fermes à res­tau­rer sont moins nom­breuses et par ailleurs que le pavillon péri­ur­bain avec jar­di­net tient sou­vent lieu de mai­son de campagne.

Résumé de la situation actuelle

Au total, la popu­la­tion de la France se répar­tit approxi­ma­ti­ve­ment comme suit :

  • 38 % dans les 30 plus grandes agglo­mé­ra­tions (plus de 200 000 habi­tants dont un bon tiers en péri­phé­rie de la ville centre),
  • 19 % dans les moyennes agglo­mé­ra­tions (20 000 à 200 000 habitants),
  • 20 % dans les petites agglo­mé­ra­tions (2 000 à 20 000 habi­tants) à domi­nante urbaine3,
  • 23 % dans les com­munes rurales infé­rieures à 2 000 habi­tants à domi­nante rurale…

Plus de 60 % des habi­tants sont logés dans des mai­sons indi­vi­duelles dont ils sont géné­ra­le­ment pro­prié­taires et 12 % ont en outre une rési­dence secondaire.

Rap­pe­lons que les 23 des loge­ments per­ma­nents sont répu­tés » sous-peu­plés » et qu’à ces loge­ments s’a­joutent 7 % de loge­ments vacants (et géné­ra­le­ment volon­tai­re­ment vacants).

Ce der­nier point montre que le parc des loge­ments s’a­dapte dif­fi­ci­le­ment aux évo­lu­tions des besoins, notam­ment à la struc­ture très chan­geante des ménages.

Regard sur le devenir de l’habitat

Nous venons de voir les grandes ten­dances du der­nier quart de siècle, auquel le pre­mier quart du xxie siècle paraît devoir ressembler :

  • crois­sance modé­rée mais régu­lière des grandes agglomérations,
  • fra­gi­li­té plus grande des moyennes et sur­tout des petites (dont dépend l’es­pace rural),
  • main­tien des zones rurales, grâce aux com­munes péri­ur­baines, mais vieillis­se­ment accen­tué de la population,
  • essor du loge­ment en mai­sons par­ti­cu­lières s’é­ta­lant de plus en plus loin autour des villes,
  • désaf­fec­tion pour les loge­ments en grands immeubles en rai­son de leur carac­tère imper­son­nel et pour cer­tains, de leur insécurité,
  • regain du centre-ville en tant que por­teur de l’i­den­ti­té et du patri­moine de la ville.

Exa­mi­nons les fac­teurs de ren­for­ce­ment et d’af­fai­blis­se­ment dans les pro­chaines décen­nies des ten­dances énon­cées ci-des­sus, fac­teurs qui influe­ront le deuxième quart de siècle :

  • le vieillis­se­ment s’ac­cé­lère, mais à niveau de san­té crois­sant. Le main­tien à domi­cile se pro­longe donc jus­qu’à 90–95 ans, donc sous-occu­pa­tion accrue à régle­men­ta­tion constante ;
  • le dédou­ble­ment du loge­ment des couples pour rai­son de divorce se géné­ra­lise, don­nant lieu à la mul­ti­pli­ca­tion des petits loge­ments, plu­tôt pro­pice aux immeubles en ville ;
  • la seg­men­ta­tion des quar­tiers par classe sociale ou par ori­gine eth­nique – qui consti­tue un phé­no­mène natu­rel, his­to­ri­que­ment véri­fié, ne peut que se confir­mer, voire se dur­cir (jus­qu’à l’explosion ?) ;
  • la supré­ma­tie des soli­da­ri­tés non-ter­ri­to­riales (cultu­relles, idéo­lo­giques, pro­fes­sion­nelles…) à l’é­gard de la soli­da­ri­té ter­ri­to­riale (com­munes, régions…) paraît moins évi­dente pour ces » néo­ru­raux » qui ont tro­qué l’a­no­ny­mat des villes contre la rela­tion de voi­si­nage, géné­ra­trice de mul­tiples asso­cia­tions locales. Ce qui est pro­pice aux rési­dences péri­ur­baines, jus­qu’à ce que leurs incon­vé­nients réapparaissent ;
  • la séden­ta­ri­té, ren­for­cée par la pro­prié­té du loge­ment, va à l’en­contre de la mobi­li­té pro­fes­sion­nelle (voire conju­gale) ain­si qu’au réflexe » zap­peur » de » l’homme moderne « . Ce qui devrait don­ner plus d’a­ve­nir à la loca­tion qu’à l’achat ;
  • la pro­li­fé­ra­tion des ser­vices dans l’é­co­no­mie moderne, l’a­bais­se­ment de la masse cri­tique des uni­tés de pro­duc­tion et le déve­lop­pe­ment conjoint de l’In­ter­net devraient pro­fi­ter aux petites villes et au tra­vail à dis­tance exé­cu­té à la cam­pagne. Mais le télé­tra­vail est encore loin de rendre super­flues la proxi­mi­té phy­sique et la rela­tion collégiale ;
  • on n’empêchera pas les immi­grants de se diri­ger vers les grandes villes où ils retrouvent des colo­nies de frères de sang, mais on devrait pou­voir frag­men­ter les colo­nies en diver­si­fiant les modes d’intégration ;
  • la raré­fac­tion et l’en­ché­ris­se­ment des car­bu­rants freinent inévi­ta­ble­ment l’ex­pan­sion péri­ur­baine et les trans­ports rou­tiers domi­cile-tra­vail, mais l’ins­ta­bi­li­té des familles, si elle s’ac­croît encore, com­pro­met­tra la construc­tion de « mai­sons de rêve » pour la vie entière.

Au total, l’ex­pan­sion hori­zon­tale autour des villes devrait s’at­té­nuer pro­gres­si­ve­ment, grâce à l’a­mé­na­ge­ment de nou­veaux quar­tiers, voire des villes nou­velles qui conjuguent la proxi­mi­té d’un grand centre et la dis­po­si­tion, à por­tée de main, de tout ce qui est néces­saire à la vie quo­ti­dienne : nom­breux emplois, éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ments et com­merces de bon standing.

Quant à l’es­pace rural, si son pay­sage est sau­ve­gar­dé (donc culti­vé) les Fran­çais conjoin­te­ment aux Euro­péens du Nord, tous satu­rés de vie arti­fi­cielle et tré­pi­dante, s’y atta­che­ront de plus en plus (au-delà d’un cer­tain âge) et se plai­ront à le sillon­ner et même à y accroître leurs rési­dences secondaires.

Tout cela dans une hypo­thèse de sau­ve­garde de son plus beau jouet : l’au­to­mo­bile pas chère.

Des résolutions pour préparer l’avenir dès aujourd’hui

En consé­quence de ce qui vient d’être dit, les pou­voirs publics et la socié­té civile ont inté­rêt à se liguer pour déve­lop­per les fac­teurs de » bonne évo­lu­tion « , tels que :

  • valo­ri­ser la famille sous peine d’in­co­hé­rence avec l’op­tion » mai­son par­ti­cu­lière » qui mérite alors d’être encou­ra­gée, plu­tôt sous forme locative,
  • trai­ter, selon les méthodes uti­li­sées pour les recrues de l’ar­mée, l’é­du­ca­tion et la mise en situa­tion de res­pon­sa­bi­li­té des jeunes » hors la loi » qui maraudent dans les HLM des années cinquante,
  • conso­li­der éco­no­mi­que­ment les petites et moyennes villes par deux ou trois spé­cia­li­tés pro­fes­sion­nelles sup­por­tées par un ensei­gne­ment de répu­ta­tion nationale,
  • au niveau des muni­ci­pa­li­tés des com­munes rurales (ou petites villes) déve­lop­per la vie asso­cia­tive : notam­ment en ins­ti­tu­tion­na­li­sant l’a­ni­ma­teur social au même titre que le garde champêtre,
  • frag­men­ter les com­mu­nau­tés d’im­mi­grés, par exemple en offrant des loge­ments durables et des écoles adap­tées au voi­si­nage des chan­tiers, longue durée, sur les­quels cer­tains émi­grés travaillent,
  • encou­ra­ger la recherche et l’ex­pé­ri­men­ta­tion sur les véhi­cules de trans­ports les plus sobres en éner­gie ain­si que sur la connexion avec le réseau fer­ré urbain,
  • favo­ri­ser le par­tage des loge­ments sous-peu­plés grâce à des contrats de voi­si­nage ori­gi­naux et pour­suivre l’en­cou­ra­ge­ment fis­cal aux loca­tions meublées.

De telles mesures devraient per­mettre à l’ha­bi­tat fran­çais de se déve­lop­per de façon équi­li­brée sans pro­vo­quer la déser­ti­fi­ca­tion d’au­cune région.

Ne pas oublier cepen­dant que de telles pers­pec­tives sup­posent un dérou­le­ment paci­fique des pro­chaines décen­nies. Or des rup­tures sont tout à fait pos­sibles, telles que :

  • recul éco­no­mique de la France, ou d’une région, ou d’une pro­fes­sion vitale (agri­cul­ture, forêt, transports…),
  • déclin démo­gra­phique (voir hypo­thèse basse de G. F. Dumont),
  • gros­sis­se­ment accé­lé­ré d’une popu­la­tion immi­grée non assimilée,
  • frac­ture sociale aggravée.

Rap­pe­lons-nous que la période des six der­nières décen­nies (1945−2005) qui ont per­mis à la France, comme à ses voi­sins, d’ac­cu­mu­ler, année par année, des pro­grès conti­nus, notam­ment sur le loge­ment, consti­tue une « pre­mière » dans l’his­toire humaine. Nous sou­hai­tons tous qu’elle se répète mais ce n’est pas une certitude.

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1. Noter que cette zone se rétracte sous l’ef­fet de la bana­li­sa­tion de l’au­to­mo­bile et de l’a­mé­lio­ra­tion des routes.
2. Les clas­si­fi­ca­tions « urbain-rural » et « centre-péri­phé­rie » ont varié d’un âge à l’autre de l’IN­SEE et a for­tio­ri d’un pays à l’autre.
3. Revoir la note 1.

(pho­to­gra­phie) Bien que diver­se­ment com­men­tée, la démo­li­tion d’im­meubles obso­lètes est désor­mais une des com­po­santes de la poli­tique de déve­lop­pe­ment et d’a­dap­ta­tion de l’ha­bi­tat social : démo­li­tion par véri­nage d’une tour d’HLM Bati­gère-IdF dans le quar­tie de la Prai­rie de l’O­ly, com­munes de Mont­ge­ron et Vigneux-sur-Seine, Essone.

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