Externalisation : légitimité et opportunité
Externalisation : littéralement mettre à l’extérieur. Tout peut en faire l’objet, de l’entretien d’un parc automobile à l’exploitation des ordinateurs, en passant par les centres d’appels clients, le personnel des back-offices en intérim ou la fonction recrutement. Tout ce qui participe à la chaîne de valeur d’une entreprise est potentiellement concerné à différents niveaux : technique, humain, comptable, ou juridique. Dans le secteur bancaire ces pratiques d’externalisation peuvent notamment prendre les formes suivantes :
- l’utilisation d’un progiciel, qui consiste à effectuer des traitements avec des programmes externes et mutualisés,
- le facility management, qui consiste quant à lui à faire exploiter par un prestataire informatique les logiciels de la banque,
- le service bureau, qui couvre logiciel, ordinateur et personnel d’exploitation externes,
- la délégation de moyens, consistant à faire appel à des ressources externes à la banque mais qui vont toutefois travailler « dans les livres » de celle-ci (exemples : certaines offres de prestataires back-offices titres),
- la sous-traitance, où le prestataire va représenter juridiquement la banque pour certaines de ses activités (exemples : une banque sous-affiliée d’un autre établissement chez Euroclear France ou les participants indirects à des systèmes de compensation cash).
Le retour d’expérience que nous vous proposons est néanmoins issu de cas d’externalisation de services commerciaux, tels que des centres d’appels, ou opérationnels, tels que les moyens de paiement, la conservation de valeurs mobilières ou certaines activités de crédit.
Les nombreux efforts entrepris depuis une vingtaine d’années pour améliorer la souplesse des organisations créent de nouvelles possibilités d’utiliser des maillons opérationnels d’origines diversifiées pour constituer une chaîne de valeur homogène. Cette assez récente1 liberté d’organisation ouvre de nouvelles voies d’optimisation. C’est à la mode, crée des tentations pas systématiquement légitimes, voire ouvre des perspectives lourdes de conséquences.
Les limites
Les réserves évoquées par les établissements ayant du recul sur ces approches portent le plus fréquemment sur les impacts sociaux et la perte de savoir-faire.
Sachant que la masse salariale représente une composante essentielle des budgets opérationnels d’une banque, il est rationnel que ce poste soit régulièrement concerné par les projets d’externalisation. Le personnel commercial, interne ou externe, sera toujours nécessaire pour répondre aux questions des clients, sous forme de plateau téléphonique-Internet ou de façon classique en agence ; dans ce cas l’externalisation a un impact limité sur la taille des effectifs.
Le ratio du nombre de contacts entrant ou sortant par chargé de clientèle (téléphone ou visite), d’environ dix mille, est peu dépendant de la situation du professionnel (centre d’appels ou agence), mais varie significativement selon l’organisation commerciale. À l’opposé, les études informatiques ou certains back-offices opérationnels constituent des coûts essentiellement fixes pour une fonction donnée, ce qui en fait des domaines privilégiés de recherches de synergies.
Néanmoins dans bien des cas, et au-delà des départs volontaires ou à la retraite, un traitement adéquat de toutes les situations individuelles, et notamment des redéploiements chez les prestataires, permet d’aboutir de façon satisfaisante pour tous.
La perte de savoir-faire, liée au point précédent autant qu’à une perte de pratique par les personnels dont le rôle évolue dans la banque, constitue un enjeu essentiel. Néanmoins, cet aspect peut constituer une opportunité de transfert de savoir-faire vers des établissements bénéficiant de conditions d’activité plus favorables. Conditions qui résultent de conditions d’emploi (niveau de salaire, protection sociale) plus économiques ou de conditions fiscales privilégiées (zones franches ou régions à fiscalité réduite). La perte de savoir-faire est toutefois réelle et surtout quasi irréversible. S’il est assez facile de changer de prestataire, tel un fournisseur de chéquier, un compensateur ou un dépositaire, il est en revanche illusoire de vouloir reconstituer des équipes opérationnelles fiables AVANT de reprendre une activité en interne. Le risque opérationnel est trop grand, à moins de reprendre les équipes du prestataire.
D’autres réserves évoquées avant de mettre en place une telle organisation ont plus classiquement trait à la préservation du fonds de commerce, à la confidentialité, à la mise en jeu de certains revenus et à la qualité.
Toutes ces interrogations sont importantes, mais trouvent des réponses très claires dans les engagements contractuels des prestataires, plus fortes même que dans la relation qui lie l’employeur et le salarié. La confidentialité et la préservation du fonds de commerce sont en général mieux protégées par le prestataire qu’elles ne peuvent l’être vis-à-vis d’un employé démissionnaire. Il existe même quelques cas où la protection du fonds de commerce a mené à l’externalisation de toutes les opérations.
L’externalisation peut mettre en risque certains revenus de trésorerie, avoir un impact sur le fonctionnement de « packages » dont le traitement opérationnel deviendrait scindé, ou enfin compliquer le maintien de la cohésion des relations avec la clientèle (relevés différents, interlocuteurs multiples). Néanmoins ces changements sont de même nature que ceux découlant de la mise en place d’une organisation par filière « métier » (crédit consommation, épargne, assurance-vie…), schéma en vogue actuellement.
Concernant la qualité, le manque de souplesse des procédures, induit par un souci de normalisation industrielle, peut constituer le talon d’Achille de certains prestataires, même chez les plus professionnels.
Les constantes
En France, l’externalisation ne modifie pas, sauf convention spécifique, la responsabilité juridique vis-à-vis des clients.
Un périmètre très clair de la prestation est nécessaire pour organiser les relations, définir les responsabilités et établir un prix. C’est pour cette raison que ce qui est très réglementé est plus facile à déléguer ; le titre VI de l’ex-CMF a, de ce point de vue, favorisé la généralisation de l’industrialisation de la tenue de compte conservation en France (ce point concerne de fait plus de 95 % des comptes titres).
L’expérience de nombreuses situations d’externalisation fait ressortir l’utilité d’une équipe assurant le lien entre prestataire et utilisateurs ; l’exemple le plus classique est la hot line pour la bureautique. Faire faire ou déléguer nécessite un contrôle régulier et une revue périodique des attentes ou résultats ; l’externalisation ne réduit rien sur ce plan, et au contraire ajoute des aspects contractuels. Pour une sous-traitance des opérations bancaires diversifiée (monétique, crédit par découvert ou cautions, prêts immobiliers, placements réglementés…) la charge (suivi, rapprochement, ajustements) opérationnelle est d’environ une dizaine de personnes pour un établissement ayant cent mille clients, dont quelques dizaines de jours de suivi de la relation contractuelle et des indicateurs de qualité de service.
Le secret bancaire et plus généralement la confidentialité des affaires sont juridiquement et contractuellement protégés avec efficacité dans le cadre des contrats de services actuels, levant les craintes légitimes évoquées lors des premières opérations.
Le diable est dans les détails suggère le dicton. Et ces détails deviennent vite des fossés entre établissements lorsque l’externalisation n’est pas soigneuse. Sans surprise, la mise en œuvre de telles organisations est lourde.
Les moteurs
Les grands moteurs sont d’ordre financier, du risque et de la maîtrise des opérations, et souvent stratégiques.
Les charges fixes liées à une fonction, par exemple des abonnements ou des logiciels, créent une opportunité de réduire les coûts unitaires par une recherche de taille critique. Le meilleur exemple est celui du traitement de la conservation de portefeuilles titres ; face à un budget d’environ 60 euros annuels pour certains prestataires industriels (exemple de la gestion du stock d’un portefeuille de 8 lignes dont une étrangère), d’autres conservateurs peuvent voir ce budget être multiplié par 5, voire plus. Les modalités de facturation des prestataires, généralement à la pièce, permettent de transformer un coût fixe en un coût variable lié à l’activité. Aspect essentiel, la grille tarifaire du prestataire contribue à rendre objectifs les coûts opératoires lors des calculs de RBE par activité ou client ; le gain sur ce point peut par exemple représenter un ETP (Équivalent temps plein) dans une banque de gestion privée gérant quelques milliers de portefeuilles et externalisant les opérations de tenue de comptes clients.
Les obligations de suivi et de mesure du risque opérationnel de la réforme Bâle II entraînent, pour les établissements sous-traités, l’adoption du profil de risques du prestataire a priori plus favorable du fait de son positionnement d’industriel. De surcroît certaines fonctions sont (ou seront pour respecter les ratios Mac Donough) fortement mobilisatrices de capitaux.
La mise en place de plans de continuité d’activité exigée par le CRBF 2004-02, la mobilisation de capitaux induit par Mac Donough en relation avec certaines activités et les réformes en général sont par ailleurs autant de raisons d’envisager des externalisations pour autant qu’elles permettent d’atténuer les effets de ces réformes.
La maîtrise de la qualité, par exemple le délai de mise à disposition d’une carte de paiement, passe par la mise en place de conventions de services entre les chargés de clientèle et la production bancaire. Il est alors envisageable de faire exécuter cette convention par un prestataire externe.
Les priorités stratégiques, comme un développement international ou le renforcement des liens avec les forces de distribution d’un groupe d’appartenance, sont très mobilisatrices d’énergie pour le management ; en contrepartie le temps disponible pour d’autres thèmes peut s’en trouver si réduit qu’un « abandon » est inévitable. La comptabilité des OPCVM, la gestion des sinistres sur les contrats d’assurance-vie en sont des exemples courants.
Des perspectives lourdes de conséquences
La comptabilité de certaines sociétés d’envergure mondiale est élaborée en Inde, la tenue des référentiels de valeurs mobilières de tel dépositaire est effectuée en Asie : la délocalisation des services est une réalité.
Alors pourquoi ne pas considérer avec ouverture la possibilité pour les banques situées hors d’Europe occidentale d’apporter des services de sous-traitance, de toutes formes, aux établissements d’Europe de l’Ouest ?
Cette perspective est même favorisée par l’élargissement récent de l’Europe et les accords passés entre la CEE et certains pays proches. Elle constitue une opportunité pour le développement de ces régions.
Le Conseil économique et social (Le Figaro, 22 mars 2005) s’est d’ailleurs ému des conséquences sur l’emploi en France de l’externalisation, perçue comme une première étape vers la délocalisation : le paquet structuré et emballé, il ne resterait plus qu’à l’envoyer à l’étranger.
Ce modèle, qui vise à exploiter à l’échelle mondiale un gisement de productivité, pousserait un cran plus loin les effets de l’externalisation, tant dans les limites, notamment linguistiques, culturelles ou réglementaires, que dans les moteurs, en particulier économiques, et dans la mise en œuvre de tels changements ; même déjà pratiqués par des banques anglo-saxonnes, ils restent complexes.
Un univers de cas particuliers
Tout « faire soi-même » est ambitieux, tout « faire faire » ou « fermer » peuvent malheureusement être synonymes, il appartient donc à chaque établissement de trouver le juste milieu en fonction de son histoire, ses priorités, et surtout sa stratégie.
Chacun est dans une situation spécifique, qui ouvre plus ou moins largement les possibilités de mettre en œuvre une politique d’externalisation. Vu comme un arbitrage entre des métiers, fonctions ou projets, le bénéfice le plus visible provient souvent de la concentration sur les projets prioritaires, ainsi menés à bien.
Cette analyse a été initialement élaborée à l’intention des banques adhérentes de l’OCBF. Elle est ici actualisée et élargie à un contexte international.
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1. Les premières externalisations fonctionnelles concernèrent principalement la publicité et le recrutement, à la fin des années soixante. Au plan opérationnel le régime de la sous-affiliation SICOVAM a été un formidable catalyseur.