Extraire du gaz de houille au cœur de l’Australie
Cinq heures. Le soleil brille, fort. La première chose qui frappe, au sens littéral, un Français ou une Française emménageant en Australie, et en particulier dans le Queensland, c’est le soleil. Et il frappe tôt : dès 5 heures du matin en été, c’est- à‑dire en janvier.
Les habitants du Queensland ont en effet toujours refusé la politique Day light saving (changement d’heure en été), que leurs concitoyens de Sydney ont, eux, adoptée dans l’État du New South Wales. Résultat : Brisbane a une heure de différence avec Sydney six mois par an.
Mes premières semaines à Brisbane ont été physiquement éprouvantes : 29 degrés au réveil, 35 en milieu de journée, 25 en soirée, avec 100 % d’humidité. Dans ces conditions, le ronron du ventilateur devient rapidement le symbole de la survie, surtout la nuit.
Mais n’anticipons pas. Je vous propose de partir à la découverte de l’Australie en m’accompagnant pendant une journée de mon quotidien. Il est désormais l’heure de partir au travail.
Un pays sûr et discipliné
Huit heures. Comme tous les matins, je quitte ma maison sans prendre la peine de fermer à clé, comme le font mes colocataires. Les cambriolages sont très rares, et de l’avis général nos minces portes en bois ne résisteraient pas longtemps à un voleur bien préparé. La maison est donc ouverte aux quatre vents en permanence, ce qui est très appréciable.
Je pars ainsi prendre le bus pour me rendre dans la City où est situé mon bureau. Au vu de la file d’attente parfaite constituée par les futurs passagers, je devine que le bus ne va pas tarder. Après que chaque personne a salué le conducteur et validé son ticket, nous partons. Le trajet est très court — grosso modo nous n’avons qu’un pont à traverser pour rejoindre le centre-ville —, mais il donne un excellent aperçu de l’architecture de la ville.
D’un quartier résidentiel séculaire (les maisons sont classées au patrimoine national pour leur exceptionnelle longévité), on passe à un business center grouillant de vie, après avoir traversé successivement la plage artificielle, la rivière et l’autoroute.
Le gaz de houille
QU’EST-CE QUE LE GAZ DE HOUILLE ?
Source d’énergie fossile non conventionnelle comme le gaz de schiste, le gaz de houille est principalement composé du méthane piégé dans des réseaux de veines de charbon (coal seams) non exploitées par l’industrie minière ; c’est le fameux « grisou ».
Après une première phase de fracturation hydraulique (avec ou sans produits chimiques) qui permet d’ouvrir les veines de charbon, l’eau du sous-sol est pompée depuis la surface et la diminution de pression au niveau des veines de charbon permet de faire remonter les bulles de gaz.
À la surface, l’eau et le gaz sont immédiatement séparés : le gaz est envoyé vers une station de compression puis exporté, l’eau est stockée dans d’immenses bassins avant d’être traitée.
Huit heures trente. Le projet au sein duquel je travaille depuis quelques mois à Brisbane a pour client l’un des plus gros exploitants de gaz de houille (coal seam gas) du Queensland, qui ne sait que faire des gigantesques volumes d’eau saumâtre dont il hérite à la fin du processus. Participer à un projet dans le domaine du gaz de houille en Australie est particulièrement intéressant.
D’une part, il s’agit d’accompagner le développement d’une filière en croissance en Australie, pour l’instant absente en France. L’extraction du gaz de houille a pris son essor il y a une quinzaine d’années en Australie. La production s’élevait à plus de 7 milliards de mètres cubes en 2012 dans le Queensland, qui est le principal État extracteur. Et le nombre de puits devrait continuer de croître de façon exponentielle dans les prochaines années.
Trois terminaux méthaniers sont par ailleurs en construction sur Curtis Island, une île de la Grande Barrière de Corail, afin d’exporter le gaz de houille liquéfié vers les marchés asiatiques.
D’autre part, l’industrie du gaz de houille fait face aujourd’hui à d’importants défis sociaux, environnementaux et financiers. Les compagnies exploitant le gaz de houille se heurtent régulièrement à l’opposition des propriétaires des terres concernées (agriculteurs, éleveurs, communautés, etc.). En effet, si la surface appartient à ces derniers, le sous-sol appartient, lui, à l’État du Queensland qui en donne l’accès aux compagnies gazières. Le bras de fer entre industriels et propriétaires autour de la création de forages donne lieu à de nombreux recours juridiques.
Une exploitation contestée
Les conséquences environnementales de l’exploitation du gaz de houille sont également sources de tension, bien qu’elles soient encore mal connues. Les eaux souterraines destinées à la consommation peuvent être polluées par la présence de gaz ou de produits chimiques (bien qu’ils soient interdits dans le Queensland actuellement).
Les bénéfices du gaz de houille par rapport au charbon en termes d’émission de gaz à effet de serre, souvent vantés, sont aujourd’hui remis en question par des études considérant l’ensemble du cycle de vie de son exploitation.
Enfin, l’industrie du gaz de houille souffre aujourd’hui de la baisse du cours du pétrole (sur lequel est historiquement indexé celui du gaz liquéfié) ainsi que de la baisse du dollar australien, favorable à l’exportation mais comprimant les revenus des exploitants. Ceux-ci cherchent donc aujourd’hui à réduire leurs coûts et à différer leurs investissements, en particulier lorsque ceux-ci concernent des activités périphériques à l’extraction de gaz.
La mise en service prochaine des terminaux méthaniers dans le Queensland devrait cependant générer de nouveaux revenus pour les compagnies gazières – en supposant l’absence de tout nouvel obstacle réglementaire ou citoyen.
Trente minutes pour déjeuner
Midi. Vient l’heure de la pause déjeuner. Les quelques personnes qui ne déjeunent pas face à leur ordinateur se retrouvent dans la salle à manger, qui a une jolie vue sur l’ouest de Brisbane. Au loin, nous observons une épaisse fumée blanche : la saison des feux contrôlés vient de commencer dans le bush (forêt australienne).
TRAITER L’EAU EXTRAITE
Certains défis techniques – en particulier le traitement de l’eau du sous-sol extraite – sont plus importants qu’ils ne paraissent. L’eau du sous-sol remontée en même temps que le gaz de houille est actuellement traitée par osmose inverse puis rejetée dans l’environnement, mais les déchets de ce processus (des sels très concentrés) ne sont pour l’instant pas valorisés.
Dans l’impossibilité de rejeter cette saumure résiduelle dans l’océan (trop éloigné) comme le font les usines de dessalement, ou de la stocker indéfiniment dans les immenses et coûteux bassins actuels, il devient nécessaire de la traiter, en commençant par retirer les algues ayant proliféré à sa surface. Mais avec une concentration en sel supérieure à 200 grammes par litre, cette étape préliminaire devient vite un véritable casse-tête technologique et financier.
De plus, en admettant que l’on parvienne à récupérer les sels de la saumure mais sans pouvoir les valoriser pour des raisons économiques, un nouveau défi consiste à créer un centre d’enfouissement parfaitement imperméable, afin de les stocker sans contaminer le sous-sol. Or, les matériaux nécessaires à ce stockage à long terme sont encore en cours de développement et la recherche ne dispose pas du recul nécessaire pour garantir une durée de vie supérieure à une centaine d’années.
Cette pratique, qui provient des communautés aborigènes et est aujourd’hui perpétuée par les gardes forestiers (rangers), est bénéfique aux écosystèmes forestiers locaux et aux populations voisines.
Le premier avantage est d’éviter des feux sauvages dévastateurs. Faire brûler les basses strates du couvert forestier permet également aux espèces d’arbres indigènes de s’épanouir en éliminant les plantes invasives non natives (weeds) qui leur font concurrence. La matière organique résiduelle fertilise les sols et améliore leur structure, donc leur résistance à l’érosion.
J’apprends même que certaines espèces végétales ne relâchent leurs graines que sous la chaleur d’un feu, et que la fumée facilite la germination chez de nombreuses plantes natives australiennes.
Les feux contrôlés sont donc organisés par les parcs nationaux ou entreprises possédant des terres pour préserver la qualité des forêts, des sols et a fortiori des cours d’eau qui alimentent les villes, ainsi que pour protéger les populations.
Visas, contrats, immigration & cie
14 heures. Mon manager me convoque dans son bureau pour évoquer la suite de mon stage au sein de l’entreprise. La situation est plutôt complexe. Je suis en effet arrivée en Australie avec un visa vacances-travail, qui ne me permet pas de travailler plus de six mois pour le même employeur.
Un mois avant la fin de mon premier contrat, mon manager m’a proposé de me « sponsoriser », c’est-à-dire de soutenir financièrement ma candidature pour un visa de travail (business visa 457), afin que je puisse rester dans la même entreprise et la même équipe pour mes cinq derniers mois de stage. Mais nous nous sommes heurtés à un mur, le ministère de l’Immigration.
Pour décrocher le visa 457, les entreprises doivent désormais prouver qu’elles n’ont trouvé aucune personne australienne sur le marché du travail et que, par conséquent, la personne étrangère qu’elles souhaitent sponsoriser leur est indispensable.
Ce que mon entreprise ne réussit évidemment pas à justifier, malgré l’appui de consultants spécialistes dans ce genre de dossier. Mon manager me propose finalement de m’embaucher dans une mission différente au sein d’une entreprise cousine, tout en déplorant la rigidité du système australien.
Le durcissement des règles d’immigration semble être lié à la récente montée du chômage, passé de 5 % à 6 % au cours des trois dernières années dans un contexte de ralentissement de l’économie australienne à la fin du boom minier, mais aussi à des facteurs politiques, car le chômage est tout de même loin d’être aussi problématique qu’en Europe et le niveau de vie des Australiens est l’un des plus élevés au monde.
La dispute
16 heures. À l’issue d’une réunion plutôt intéressante et dynamique, j’entends un collègue s’excuser auprès d’un autre de s’être emporté. Je n’avais même pas remarqué que le ton était monté. En tant que Française, j’ai au contraire trouvé la réunion calme et il ne m’aurait pas semblé anormal qu’elle s’agite un peu plus.
Un collègue australien m’explique que c’est une différence fondamentale des relations professionnelles dans nos deux pays : « En France, les gens s’emportent facilement mais se retrouvent ensuite autour d’un verre à la fin de la journée ; en Australie, les gens partagent aisément un after work mais peuvent très bien se faire licencier le lendemain par le manager qui payait justement sa tournée. »
La question aborigène
La question aborigène est un sujet sensible. © EVANTRAVELS / SHUTTERSTOCK.COM
En parlant d’after work, deux de mes collègues me proposent justement de les accompagner au pub le plus proche, ce que j’accepte avec plaisir car les bières australiennes sont excellentes. Personne ne boit de la Foster.
Pour amorcer la conversation, je m’étonne du fait que la majorité des personnes sans domicile fixe à Brisbane semblent d’origine aborigène, alors que je n’ai jamais croisé de personne aborigène dans le cadre de mes fonctions professionnelles. La question est un sujet sensible pour mes collègues, tous deux Australiens d’origine occidentale.
D’un côté, ils reconnaissent la lourdeur du passé colonial, qui a décimé la population aborigène, l’a confinée dans des zones hostiles et a imposé par la force la culture occidentale sur le continent australien. Ils ont également conscience des effets désastreux des mesures d’« assimilation » prises au XXe siècle et de la mauvaise qualité des terres qui ont été rendues aux aborigènes.
Cependant, ils sont désemparés face à l’échec des mesures récentes (excuses nationales, financement d’écoles, d’hôpitaux, emplois réservés, etc.). Ces mesures n’ayant pas permis de réduire la criminalité, l’alcoolisme et la marginalité des aborigènes (dont la pratique d’inhalation de pétrole bon marché est un triste symbole en Australie), elles sont perçues comme des dépenses inutiles.
Les partis au pouvoir n’ayant pas d’idées novatrices sur le sujet et les partis aborigènes étant peu présents sur la scène politique, la situation semble aujourd’hui être un statu quo peu satisfaisant.
Je reconnais qu’étant donné l’omniprésence de la culture occidentale en Australie, l’autodétermination des populations aborigènes n’est probablement plus possible, mais je demande à mes interlocuteurs s’il ne serait pas alors possible d’accroître leur représentation dans les instances dirigeantes et de tenir compte de la dette historique occidentale dans les choix économiques et politiques faits aujourd’hui, par exemple concernant l’accès à la terre des compagnies minières.
Ils sont plutôt d’accord mais la question des moyens nous entraîne vers un autre débat (la démocratie), ce qui semble alléger l’atmosphère. Entre-temps, le soleil s’est couché.
Au supermarché
Le caissier. – G’day, how’s it going ?
Le client. – Pretty good thanks… how’s your day been ?
– Yeah, not too bad. How good’s the weather ?
– Pretty nice aye ?
– Yeah, I reckon. That’ll be 90 bucks. Paywave ?
– Yeah, that’d be great.
– Fantastic ! Would you like a receipt ?
– No thanks.
– No worries, you have an awesome evening.
– Thanks mate, have a good one.
Le caissier. – Bonjour.
Le client. –…
– …
– …
– 90 dollars. Paiement par contact ?
– Oui.
– Voulez-vous votre ticket ?
– Non, merci.
– Au revoir.
– …
19 heures. Sur le chemin du retour, je m’arrête au supermarché du coin. Comme tous les supermarchés, il est ouvert jusqu’à 21 heures en semaine, et jusqu’à 19 heures le samedi et le dimanche. Invitée à un barbie (barbecue) ce week-end, j’achète des steaks de kangourou et de grosses crevettes (nommées prawns, le terme shrimps faisant uniquement référence à de la friture).
J’ai également besoin d’une bouteille de vin, mais les supermarchés ne vendent pas d’alcool : il faut se rendre au bottle shop. Dans la file d’attente à la caisse, je savoure la conversation typiquement (au)’stralian entre le caissier et le client me précédant. La voici, ainsi que sa transposition dans un univers français.
Home sweet home
20 heures. Dans les rues de West End, les pubs sont pleins à craquer car le cricket fait rage depuis plusieurs heures déjà à la télévision. Mais c’est l’heure pour moi de rentrer à la maison, car demain, comme tous les jours, le soleil brillera tôt. Bien trop tôt.