Extraits d’un message en date du 14 janvier 2005 de Pierre Corset à ses amis à propos de ses activités à Piura, au Pérou
Il me faudrait beaucoup de temps et surtout plus d’informations et plus de compétence que je n’en ai pour présenter avec pertinence l’évolution du Pérou. Certes, le pays a retrouvé un régime démocratique après le dramatique épisode du Sentier lumineux et les dix années d’autoritarisme et de corruption du régime de Fujimori. Mais le mot de démocratie est loin de recouvrir la même réalité, ici et en Europe. Je découvre le poids de l’histoire et des traditions culturelles qui ont sédimenté dans les comportements. Ceux-ci évoluent d’autant plus lentement que l’éducation de base est, ici, fort médiocre et que personne ne s’en préoccupe réellement, à croire que les élites du pays auraient intérêt à ce que tout reste en l’état.
Le niveau de pauvreté augmente, bien que l’économie progresse grâce à l’exploitation des mines métalliques par des capitaux étrangers ; mais leurs revenus servent surtout à payer la dette extérieure. Il s’agit surtout d’une politique de rente qui ne se soucie que fort peu des investissements productifs. Dans la région que je connais un peu mieux, les jeunes ne souhaitent pas travailler dans l’agriculture qu’ils considèrent vouée à la pauvreté ; ils quittent donc la campagne pour venir dans les bidonvilles de Piura qui s’agrandissent démesurément. Mais, ne pouvant y trouver d’emplois, la délinquance les guette. Les journaux, dont la lecture matinale donne la déprime, sont pleins d’accidents, de vols et de plaintes ; la vie humaine semble avoir moins de poids qu’ailleurs. Dans ces conditions on parle peu de l’Irak ni de l’effroyable drame de l’Asie. Je ne m’habitue pas, et découvre chaque jour un peu plus profondément la réalité du sous-développement.
La difficulté est de savoir ce qu’il est possible de faire. Bien évidemment, même sur un territoire réduit on ne peut pas tout prendre en charge et, si on ne veut pas tomber dans un pur comportement d’assistance qui ne peut engendrer aucun impact durable, il me semble préférable de se contenter d’un travail aux dimensions modestes, mais qui a chance, à plus ou moins long terme, de contribuer au développement local.
Un problème : trouver un financement pour ces activités. Les agences de financement européennes se tournent de plus en plus vers l’Afrique et maintenant vers l’Asie et, pour l’Amérique latine, n’ont qu’une exigence : travailler pour le marché…, comme si dans cet état d’informalité que nous connaissons existait un marché !
Un nouveau programme à cinq ans…
En ce qui concerne le Cipca – (Centre de Recherche et de Promotion du monde rural), l’ONG où je travaille, située à Piura, sur la côte, au nord du Pérou, à la frontière de l’Équateur – nous avons consacré du temps cette année à rédiger un nouveau Programme pour les cinq prochaines années. C’est un travail intéressant qui nous a amenés à analyser la réalité socioéconomique et politique des populations environnantes pour identifier les processus qui sont en train de faire évoluer la région et devraient nous permettre d’y insuffler un peu plus de dynamisme.
… pour le développement des structures sociales
Nous allons réduire notre travail dans l’agriculture. La sécheresse qui a sévi toute l’année – il n’a pas plu depuis un an et le réservoir qui alimente les canaux d’irrigation non seulement a perdu la moitié de sa capacité en se remplissant de sable en raison de l’érosion et surtout durant les deux derniers Niños, mais les torrents qui dévalent des Andes sont restés à sec cette année – et les nouveaux accords commerciaux avec l’Amérique, qui réduisent les gains de la production de coton, rendent trop aléatoire la possibilité d’améliorer la productivité.
Campesinos
Nous allons plutôt travailler sur la dynamique des rapports sociaux : donner mutuellement confiance aux petits agriculteurs pour qu’ils s’associent et gèrent collectivement leurs parcelles de terrain, en faisant des économies d’échelle autant dans leur recherche de crédit et leurs achats de semences et d’engrais que dans la vente de leur récolte.
Pour ce faire, comme le meilleur apprentissage est la pratique concrète, nous espérons refaire avec les mêmes groupes les démarches collectives de négociation commerciale, lors de chacune des deux campagnes annuelles (coton ou riz puis maïs) en visant à ce qu’ils deviennent peu à peu autonomes dans cette pratique.
De même, nous allons soutenir la participation de ces groupes d’agriculteurs à la gestion de leur municipalité, pour qu’ils s’intéressent au développement économique de leur commune, en veillant aussi à prendre en compte la participation des femmes et surtout des jeunes. Il y a un gros travail à réaliser pour que les adultes fassent un peu de place dans les responsabilités citoyennes aux jeunes. Ils sont ici considérés, à juste titre, comme sans expérience et donc inefficaces et peu dignes de confiance, mais ils ont un meilleur niveau éducatif que leur père et, surtout, la volonté (ou le rêve éveillé, grâce à ce qu’ils découvrent par la télévision) de sortir de la pauvreté.
Les femmes, bien que très dominées ici par la culture machiste, sont les éléments moteurs de l’évolution ; beaucoup d’entre elles, en plus de l’aide qu’elles apportent au travail agricole du mari, gèrent dans leur habitation un petit négoce, qui leur permet de contribuer au paiement des études de leurs enfants et surtout celles de leurs filles qu’elles ne souhaitent pas voir reproduire leur vie. Dans la mesure où elles ne se retrouvent pas rapidement enceintes, les filles sont pratiquement les seules à concevoir un projet d’avenir et à s’y préparer en tentant d’inventer un nouveau comportement plus libre que celui de leur mère, tandis que les garçons n’ont d’autre modèle à reproduire que celui, machiste, du père ou de l’oncle…
… et en faveur des adolescents
L’ONG » Les petites mains au travail » (Manitos Trabajando) prend en charge les enfants qui travaillent dans le marché. Elle s’est agrandie. Un deuxième groupe s’occupe désormais des adolescents qui ont terminé leur primaire et n’ont guère la capacité de faire le secondaire. La directrice, avec des professeurs quasi bénévoles, essaie de mettre sur pied des ateliers pratiques de cuisine, couture, coiffure, maquillage, mécanique, etc., pour leur donner moins un apprentissage professionnel (les investissements en outils, salles équipées et salaires d’enseignants sont trop onéreux) que de leur proposer, ainsi qu’à leur famille (le plus souvent une mère célibataire), un minimum d’encadrement et, à travers des activités pratiques, une formation personnelle. Celle-ci devrait permettre à tout un chacun de pouvoir bricoler correctement dans son foyer : faire la couture, la cuisine, scier correctement un bout de planche, faire un branchement électrique, remplacer une vitre, etc.
Ce qui est visé à travers ces activités, c’est autant le développement manuel qu’humain : réfléchir sur leurs droits, leur santé, leur développement affectif et sexuel, la réalité sociale qu’ils ignorent et, bien évidemment, leur développement intellectuel, lire, écrire, compter, qu’en sortant du primaire ils ne maîtrisent pas, loin de là. Le tout est de trouver des volontaires qui sachent transmettre ces savoir-faire.
Au-delà de tout ce que je peux te décrire, il y a, dans ce pays, l’intraduisible accueil joyeux des gens, tout entiers disponibles pour passer des heures à parler avec toi, comme si le futur trop incertain invitait à vivre intensément l’heureux moment présent.
Pierre Corset
pcorset@cipca.org.pe
L’auteur de ce texte a précisé qu’il ne l’avait pas écrit pour récolter de l’argent. Ceux qui voudraient quand même contribuer à son action pourraient alimenter le compte en banque de l’association citée dans le texte : Manitos Trabajando, dont le compte est
BCPLPEPL
N° : 475 – 12141452 – 1 – 51
en $ US
Succursal PIURA (Peru),
en le prévenant d’un virement à venir, » car ici, même avec les banques, il faut vérifier « .