« Face à l’urgence climatique, il nous faut fixer des priorités et explorer toutes les pistes »
Depuis 45 ans, Pâris Mouratoglou (X60) a été en première ligne du développement des énergies renouvelables. Dans cet entretien, il dresse pour nous un état des lieux et nous en dit plus sur son groupe EREN et sa contribution à la construction d’un monde décarboné. Rencontre.
Vous évoluez dans le monde des énergies renouvelables depuis 1978. Comment ce secteur s’est-il développé au fil des années ? Qu’avez-vous pu observer à votre niveau ?
Jusqu’à la révolution industrielle, toutes les énergies étaient renouvelables ! Le cheval, la force musculaire, les moulins à eau et à vent… Il y a près de deux siècles, la révolution industrielle a permis l’émergence et le développement de nouvelles sources d’énergies : le charbon, puis plus tard, le pétrole et le gaz, qui ont permis d’accélérer le développement de nos sociétés.
Ces énergies dites fossiles ont occulté les renouvelables. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle que nous avons commencé à redévelopper les énergies renouvelables pour des raisons qui, à l’époque, n’étaient en rien écologiques ou environnementales ! L’idée était alors de casser les monopoles des compagnies électriques. Ce renouveau des énergies renouvelables avait également été poussé par le Club de Rome et son hypothèse que les ressources fossiles étaient limitées et que nos économies devaient trouver un complément à ces ressources.
En matière de promotion et de développement des énergies renouvelables, la France a, par ailleurs, été précurseur avec la loi de 1955 qui a obligé EDF à acheter de l’énergie hydroélectrique à un prix défini sur le long terme. La loi a permis d’apporter une forme de réponse à deux problèmes propres aux énergies renouvelables : le prix et l’intermittence. Ce système dit de « feed-in tariff » a, par la suite, été adopté par de nombreux pays à travers le monde.
Dans les deux décennies suivantes, les énergies renouvelables se sont principalement développées dans les pays qui ont mis en place ce système de subventions. Ce contexte a permis de faire des avancées absolument colossales sur le plan technologique. En 15 ans, le prix du kilowattheure photovoltaïque a été divisé par 10. En 1991, les éoliennes faisaient un maximum de 35 mètres de hauteur. Aujourd’hui elles en font plus de 150, ont des pales de 120 mètres de long et leur puissance peut atteindre 15 mégawatts !
À l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, les énergies renouvelables sont devenues une énergie fondamentale au service de la décarbonation du monde.
Dans ce cadre, comment se positionne le groupe EREN ?
Avec mon associé William Kriegel, nous avons eu l’opportunité de participer à cette histoire en France, en Europe et aux États-Unis. Par la suite, en partenariat avec EDF et plus récemment TotalEnergies, nous nous sommes développés sur les cinq continents. Mais ces partenariats se sont inscrits dans une démarche plus large de décarbonation, qui m’a conduit dès 1978 à la création de ce qui est aujourd’hui le groupe EREN. Son périmètre d’action actuel s’articule autour de trois activités : les économies d’énergie, la production d’énergie renouvelable, le stockage d’énergie.
Jusqu’en juillet 2023 nous avons développé la production d’énergie renouvelable éolienne et photovoltaïque dans plus de 25 pays avec TotalEnergies. Mais nous produisions par ailleurs, et continuons donc de produire, de l’énergie thermique renouvelable pour les bâtiments domestiques, tertiaires ou commerciaux. Nous avons notamment développé, via notre filiale Accenta, un procédé de géo stockage innovant qui permet de réduire de plus de 70 % la consommation d’énergie d’un bâtiment sans procéder à une rénovation de son enveloppe ! Nous sommes par ailleurs actifs dans la récupération de la chaleur fatale des processus industriels. Et parce que la production d’énergie thermique renouvelable nécessite du stockage, nous avons aussi dans notre portefeuille des sociétés dans le stockage de froid ou de chaleur.
Mais le champ de nos activités est encore plus large. Nous sommes ainsi actionnaire de deux sociétés qui développent des projets de petites centrales nucléaires : NAAREA et JIMMY ENERGY. Nous nous développons dans le domaine de l’hydrogène, en produisant par exemple des électrons verts à des endroits reculés du monde et donc sans en priver aucun réseau électrique, afin de produire de l’hydrogène véritablement vert. Et nous nous renforçons dans la production de bio-méthane et de carburants bio en général.
Enfin, je ne peux pas parler du groupe EREN sans mentionner son pôle Musique en association avec le groupe Les Echos, et son pôle Sport, avec l’Académie de Tennis Mouratoglou bien sûr, mais aussi la compétition Ultimate Tennis Showdown (UTS) !
En quoi votre approche et votre stratégie sont-elles différenciantes et à forte valeur ajoutée alors que le développement des énergies renouvelables représente un enjeu stratégique dans un contexte où le dérèglement climatique s’accélère ?
Sur le marché de l’énergie, nous avons la particularité d’être une société à capitaux entièrement privés, qui finance donc les investissements avec ses fonds propres et dans une logique de long terme. Ceci nous permet d’être plus flexible, mais aussi de pouvoir prendre des risques que les fonds d’investissement ne pourraient pas forcément prendre.
En parallèle, nous avons toujours été ouverts sur l’international, ce qui permet d’équilibrer le portefeuille de projets, d’optimiser les financements et, in fine, de se développer plus vite.
Enfin, au cours des quatre décennies, notre entreprise et sa vision ont été capable d’attirer des grands partenaires : la Compagnie Générale des Eaux, Lazard, EDF et TotalEnergies in fine. C’est un vecteur de crédibilité très important pour notre groupe.
Quelques mots sur les projets que vous avez développés.
Nous avons développé des projets de petite taille, d’une puissance moyenne de 15 mégawatts. Nous avons, par exemple, travaillé un projet de 15 mégawatts solaires dans une mine d’or au Burkina-Faso, un site isolé qui n’est pas rattaché au réseau et qui est même protégé par l’Armée. Le principal défi technique sur ce projet a été de pallier l’intermittence du photovoltaïque. Pour y faire face, nous avons renforcé l’installation avec un système de stockage d’énergie. Nous pouvons aussi nous positionner sur des projets de plus grande taille, comme en Inde, où nous avons développé une centrale de 450 mégawatts photovoltaïque. Au fil des années, nous avons développé plus d’une centaine de centrales en activité dans 25 pays.
Selon vous, quels sont les freins et enjeux qui persistent en matière de développement des énergies renouvelables ?
Le principal frein est l’acceptabilité de ces projets par l’opinion publique. Selon les pays, le rapport aux énergies renouvelables diffère. Aux États-Unis, nous avions rencontré une résistance au développement des centrales hydroélectriques. En France, les problèmes d’acceptabilité concernent principalement l’éolien, même si le photovoltaïque n’est pas épargné !
Le deuxième frein est lié à l’intermittence des énergies renouvelables et la question du stockage. Tant que l’on ne dépasse pas 30 à 40 % de renouvelables sur les réseaux électriques, ces derniers peuvent faire face au phénomène d’intermittence grâce à des moyens de stockage, la mise en route de centrales de gaz… Mais, un fois qu’on dépasse le cap des 50 %, et si on ambitionne d’aller jusqu’à 100 %, des moyens complémentaires vont être nécessaire pour gérer l’intermittence. Alors qu’on envisage une sortie du gaz et que, pour produire de l’hydrogène vert, il y a un besoin important d’électricité verte, donc renouvelable, l’intermittence reste aujourd’hui le principal frein sur le plan technique et technologique.
Votre actualité est marquée par le rachat de Total Eren par TotalEnergies en juillet dernier. Comment vous projetez-vous aujourd’hui ?
Nous restons très actifs sur nos trois métiers : les économies d’énergie, la production d’énergie renouvelable thermique qui a encore un important potentiel de développement, et le stockage.
Sur ces segments, notre ambition est de devenir un acteur mondial, comme nous avons réussi à l’être pour le photovoltaïque et l’éolien électrique.
Et pour conclure, des pistes de réflexion à partager avec nos lecteurs ?
Nous devons faire face à l’urgence climatique qui se traduit par le réchauffement de la planète. Tous les pays vont être affectés par ce phénomène, à des échelles différentes. Il nous faut aujourd’hui accélérer la décarbonation de nos systèmes énergétiques et engager tous les pays dans cette démarche. Si en Europe, la dynamique est lancée, cela n’est pas forcément le cas dans le monde entier. En parallèle, se pose aussi la question de la neutralité carbone, car tant que nous continuerons à émettre du CO₂, la planète continuera à se réchauffer.
Enfin, face à l’urgence climatique, il nous faut fixer des priorités et explorer toutes les pistes : le renouvelable ne fera pas tout, et on ne pourra pas se passer de nucléaire ! Avec les nouvelles technologies, le renouvelable et le nucléaire, il nous faut construire, dès aujourd’hui, le mix décarboné de demain !