Faciles et moins faciles
Encore Mozart
Encore Mozart
Assez de Mozart pour cette année, vous êtes vous promis, sauf à sortir des sentiers battus. Chiara Bianchini et son Ensemble 415 (23 musiciens) ont précisément enregistré trois oeuvres peu jouées de la jeunesse salzbourgeoise de Mozart : la Cassation KV 63, écrite à 11 ans, la Serenata Notturna, composée neuf ans plus tard et qui annonce la musique de la maturité, et, de la même époque, l’extraordinaire Concertone, sorte de concerto pour plusieurs instruments solistes (deux violons, hautbois, violoncelle)1. Dans le même esprit – petit effectif, tous solistes – le Quatuor Debussy et le pianiste François Chaplin jouent les transcriptions, de la main de Mozart, des Concertos pour piano 11 et 122 : deux petits chefs‑d’œuvre, dont la formation quintette, piano et cordes et une prise de son intimiste révèlent les subtilités mieux que la version orchestrale, et qu’accompagne l’Adagio et fugue en ut mineur, moderne hommage à Bach.
Friedrich Gulda, connu pour les improvisations jazziques de sa période “ flower-power ”, touché sur le tard par la révélation de Mozart, avait enregistré en privé dix Sonates et la Fantaisie en ut mineur, retrouvées récemment et que DGG vient de publier3. C’est clair, délié, à la Glenn Gould, d’une régularité de jazzman, joué comme on joue Bach, sans romantisme, très intéressant, malgré quelques imperfections techniques.
Symphonies de Chostakovitch
On célèbre le 100e anniversaire de la naissance de Chostakovitch et l’on redécouvre sa musique comme on avait redécouvert celle de Mahler il y a trente ans, et, ce, grâce à une nouvelle génération de chefs russes : Valéry Gerguiev, bien sûr, et aussi Mikhaïl Pletnev, superbe pianiste passé à l’orchestre, et Vladimir Jurowski, qui dirigent l’Orchestre National Russe – l’un des quatre ou cinq meilleurs orchestres du monde – le premier dans la Symphonie n° 114 (“ L’année 1905 ”), le second dans les Symphonies 1 et 65. On connaît bien le style orchestral si particulier de Chostakovitch, qui fait appel à des orchestres de grande dimension où cuivres et percussions sont mis en valeur, dans des compositions dramatiques, tourmentées, contrastées, où l’évocation du grotesque côtoie le pathos, et qui atteignent à la vraie grandeur, au point de faire apparaître Beethoven comme fade et suranné. De la 1re Symphonie écrite en 1924 à dix-neuf ans à la 11e, composée en 1957, l’une des plus belles avec les Symphonies “ Leningrad ” et “ Babi Yar ”, il y a une unité de ton exaltation- amertume-révolte, où l’on ne peut s’empêcher de voir, comme le suggère la vie de Chostakovitch sur le fil du rasoir, la nostalgie de ce qu’aurait pu être le communisme s’il n’avait sombré dans le totalitarisme en engloutissant à jamais l’utopie d’un âge d’or.
Voix
Chostakovitch n’a pas composé que des symphonies et des quatuors, et un tout nouveau disque permet de faire la connaissance de ses mélodies pour basse et orchestre, avec Oldar Abdrazakov et le BBC Philharmonic dirigé par Gianandrea Noseda6 : Suite sur des paroles de Michel-Ange, Six Romances sur des poèmes de Raleigh, Burns et Shakespeare, et, en prime, le poème symphonique Octobre. Les mélodies sont plus austères que les symphonies, mais l’orchestration est toujours foisonnante. Le contraste est saisissant avec les mélodies de Britten pour ténor et orchestre, enregistrées par Ian Bostridge et le Philharmonique de Berlin dirigé par Sir Simon Rattle7 : les Illuminations de Rimbaud, Sérénade (avec cor) sur des poèmes de Blake, Keats, Ben Johnson, etc., Nocturne sur des textes de Shelley, Tennyson, Coleridge, Wordsworth, Shakespeare, etc. Une musique extrêmement raffinée et subtile, la quintessence de l’art européen, que Bostridge détaille avec une telle finesse gourmande qu’on la croirait écrite pour lui.
Piano
L’enregistrement par Aldo Ciccolini en 1966–1967 des Goyescas de Granados et de la suite Iberia d’Albeniz n’a pas pris une ride et il faut se réjouir que EMI le publie en CD8 : c’est le sommet de la musique espagnole de piano du XXe siècle, et l’un des sommets de la musique de piano tout court. Le toucher très fin de Ciccolini fait merveille dans les constructions complexes et les harmonies délicieuses de Granados, comme dans les mélodies et les rythmes d’Albeniz. Une interprétation de référence, inégalée.
Plus anciens (1947−1954) sont les enregistrements qu’Alfred Cortot, pianiste légendaire, a faits de Chopin (Tarentelle, Études, Valses), Mendelssohn (Variations sérieuses), Schumann (Scènes d’enfants, l’Oiseau prophète), Debussy (Children’s corner, Préludes livre 1)9, et plus datées les interprétations : nous sommes accoutumés à de jeunes pianistes à la technique d’acier et au jeu souvent métronomique, tandis que l’on jouait alors plus rubato et que la technique passait au second plan. Néanmoins, l’honnête homme d’aujourd’hui ne peut ignorer les interprétations de Cortot, qui ont marqué une époque, et Cortot dans Debussy – vision impressionniste – restera au-delà des modes.
La musique de piano de Szymanowski et celle pour piano et violon, beaucoup moins connues que son Concerto pour violon, sont à découvrir toutes affaires cessantes. Études, Métopes, Masques (dédiés à Cortot), Mazurkas, joués par Mikhaïl Rudy, et, avec Ulf Hoelscher au violon, Mythes, Romance, Trois Caprices de Paganini, Nocturne et Tarentelle, révèlent un compositeur très original, préoccupé par la couleur, et qui a plus innové en musique tonale que son contemporain Richard Strauss.
Pour le plaisir
On se contera de citer, par manque de place, deux très jolis disques : l’un du Groupe des Six par cinq musiciens d’une exquise élégance dont Gérard Poulet et Christian Ivaldi : Sonatine pour violon et piano de Germaine Tailleferre, Sonatine pour clarinette et piano d’Arthur Honegger, Sonatine pour flûte et piano du peu joué Louis Durey, Suite “ Le Printemps ” pour piano de Darius Milhaud, Imaginées de Georges Auric, et la merveilleuse musique de scène de Poulenc pour L’Invitation au château de Jean Anouilh10, à déguster dans un fauteuil de cuir avec un verre de banyuls ; l’autre de musique ibérique et sud-américaine pour guitare (Manuel Ponce, Rodrigo, Falla, Turina, Villa-Lobos, etc.) enregistrée en 1969 par Alberto Ponce11, à écouter assis dans un fauteuil de rotin, dans un jardin exotique, en buvant non du xérès mais, si vous le pouvez, un verre de pulque ou, à défaut, d’une très bonne tequila.
_________________________________
1. 1 CD ZIG ZAG ZZT 060301.
2. 1 CD ARION ARN 68718.
3. 3 CD DGG 289 477 6130.
4. 1 SACD PENTATONE PTC 5 186 076.
5. 1 SACD PENTATONE 5 186 068.
6. 1 CD CHANDOS 10358.
7. 1 CD EMI 5 58049 2.
8. 2 CD EMI 4 78906 2.
9. 2 CD EMI 351857 2.
10. 1 CD ARION ARN 68652.
11. 1 CD ARION ARN 60678.