Faciles et moins faciles

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°615 Mai 2006Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Encore Mozart

Encore Mozart

Assez de Mozart pour cette année, vous êtes vous pro­mis, sauf à sor­tir des sen­tiers bat­tus. Chia­ra Bian­chi­ni et son Ensemble 415 (23 musi­ciens) ont pré­ci­sé­ment enre­gis­tré trois oeuvres peu jouées de la jeu­nesse salz­bour­geoise de Mozart : la Cas­sa­tion KV 63, écrite à 11 ans, la Sere­na­ta Not­tur­na, com­po­sée neuf ans plus tard et qui annonce la musique de la matu­ri­té, et, de la même époque, l’extraordinaire Concer­tone, sorte de concer­to pour plu­sieurs ins­tru­ments solistes (deux vio­lons, haut­bois, vio­lon­celle)1. Dans le même esprit – petit effec­tif, tous solistes – le Qua­tuor Debus­sy et le pia­niste Fran­çois Cha­plin jouent les trans­crip­tions, de la main de Mozart, des Concer­tos pour pia­no 11 et 122 : deux petits chefs‑d’œuvre, dont la for­ma­tion quin­tette, pia­no et cordes et une prise de son inti­miste révèlent les sub­ti­li­tés mieux que la ver­sion orches­trale, et qu’accompagne l’Ada­gio et fugue en ut mineur, moderne hom­mage à Bach.

Frie­drich Gul­da, connu pour les impro­vi­sa­tions jaz­ziques de sa période “ flo­wer-power ”, tou­ché sur le tard par la révé­la­tion de Mozart, avait enre­gis­tré en pri­vé dix Sonates et la Fan­tai­sie en ut mineur, retrou­vées récem­ment et que DGG vient de publier3. C’est clair, délié, à la Glenn Gould, d’une régu­la­ri­té de jazz­man, joué comme on joue Bach, sans roman­tisme, très inté­res­sant, mal­gré quelques imper­fec­tions techniques.

Symphonies de Chostakovitch

On célèbre le 100e anni­ver­saire de la nais­sance de Chos­ta­ko­vitch et l’on redé­couvre sa musique comme on avait redé­cou­vert celle de Mah­ler il y a trente ans, et, ce, grâce à une nou­velle géné­ra­tion de chefs russes : Valé­ry Ger­guiev, bien sûr, et aus­si Mikhaïl Plet­nev, superbe pia­niste pas­sé à l’orchestre, et Vla­di­mir Jurows­ki, qui dirigent l’Orchestre Natio­nal Russe – l’un des quatre ou cinq meilleurs orchestres du monde – le pre­mier dans la Sym­pho­nie n° 114 (“ L’année 1905 ”), le second dans les Sym­pho­nies 1 et 65. On connaît bien le style orches­tral si par­ti­cu­lier de Chos­ta­ko­vitch, qui fait appel à des orchestres de grande dimen­sion où cuivres et per­cus­sions sont mis en valeur, dans des com­po­si­tions dra­ma­tiques, tour­men­tées, contras­tées, où l’évocation du gro­tesque côtoie le pathos, et qui atteignent à la vraie gran­deur, au point de faire appa­raître Bee­tho­ven comme fade et sur­an­né. De la 1re Sym­pho­nie écrite en 1924 à dix-neuf ans à la 11e, com­po­sée en 1957, l’une des plus belles avec les Sym­pho­nies “ Lenin­grad ” et “ Babi Yar ”, il y a une uni­té de ton exal­ta­tion- amer­tume-révolte, où l’on ne peut s’empêcher de voir, comme le sug­gère la vie de Chos­ta­ko­vitch sur le fil du rasoir, la nos­tal­gie de ce qu’aurait pu être le com­mu­nisme s’il n’avait som­bré dans le tota­li­ta­risme en englou­tis­sant à jamais l’utopie d’un âge d’or.

Voix

Chos­ta­ko­vitch n’a pas com­po­sé que des sym­pho­nies et des qua­tuors, et un tout nou­veau disque per­met de faire la connais­sance de ses mélo­dies pour basse et orchestre, avec Oldar Abdra­za­kov et le BBC Phil­har­mo­nic diri­gé par Gia­nan­drea Nose­da6 : Suite sur des paroles de Michel-Ange, Six Romances sur des poèmes de Raleigh, Burns et Sha­kes­peare, et, en prime, le poème sym­pho­nique Octobre. Les mélo­dies sont plus aus­tères que les sym­pho­nies, mais l’orchestration est tou­jours foi­son­nante. Le contraste est sai­sis­sant avec les mélo­dies de Brit­ten pour ténor et orchestre, enre­gis­trées par Ian Bos­tridge et le Phil­har­mo­nique de Ber­lin diri­gé par Sir Simon Rat­tle7 : les Illu­mi­na­tions de Rim­baud, Séré­nade (avec cor) sur des poèmes de Blake, Keats, Ben John­son, etc., Noc­turne sur des textes de Shel­ley, Ten­ny­son, Cole­ridge, Word­sworth, Sha­kes­peare, etc. Une musique extrê­me­ment raf­fi­née et sub­tile, la quin­tes­sence de l’art euro­péen, que Bos­tridge détaille avec une telle finesse gour­mande qu’on la croi­rait écrite pour lui.

Piano

L’enregistrement par Aldo Cic­co­li­ni en 1966–1967 des Goyes­cas de Gra­na­dos et de la suite Ibe­ria d’Albeniz n’a pas pris une ride et il faut se réjouir que EMI le publie en CD8 : c’est le som­met de la musique espa­gnole de pia­no du XXe siècle, et l’un des som­mets de la musique de pia­no tout court. Le tou­cher très fin de Cic­co­li­ni fait mer­veille dans les construc­tions com­plexes et les har­mo­nies déli­cieuses de Gra­na­dos, comme dans les mélo­dies et les rythmes d’Albeniz. Une inter­pré­ta­tion de réfé­rence, inégalée.

Plus anciens (1947−1954) sont les enre­gis­tre­ments qu’Alfred Cor­tot, pia­niste légen­daire, a faits de Cho­pin (Taren­telle, Études, Valses), Men­dels­sohn (Varia­tions sérieuses), Schu­mann (Scènes d’enfants, l’Oiseau pro­phète), Debus­sy (Children’s cor­ner, Pré­ludes livre 1)9, et plus datées les inter­pré­ta­tions : nous sommes accou­tu­més à de jeunes pia­nistes à la tech­nique d’acier et au jeu sou­vent métro­no­mique, tan­dis que l’on jouait alors plus ruba­to et que la tech­nique pas­sait au second plan. Néan­moins, l’honnête homme d’aujourd’hui ne peut igno­rer les inter­pré­ta­tions de Cor­tot, qui ont mar­qué une époque, et Cor­tot dans Debus­sy – vision impres­sion­niste – res­te­ra au-delà des modes.

La musique de pia­no de Szy­ma­nows­ki et celle pour pia­no et vio­lon, beau­coup moins connues que son Concer­to pour vio­lon, sont à décou­vrir toutes affaires ces­santes. Études, Métopes, Masques (dédiés à Cor­tot), Mazur­kas, joués par Mikhaïl Rudy, et, avec Ulf Hoel­scher au vio­lon, Mythes, Romance, Trois Caprices de Paga­ni­ni, Noc­turne et Taren­telle, révèlent un com­po­si­teur très ori­gi­nal, pré­oc­cu­pé par la cou­leur, et qui a plus inno­vé en musique tonale que son contem­po­rain Richard Strauss.

Pour le plaisir

On se conte­ra de citer, par manque de place, deux très jolis disques : l’un du Groupe des Six par cinq musi­ciens d’une exquise élé­gance dont Gérard Pou­let et Chris­tian Ival­di : Sona­tine pour vio­lon et pia­no de Ger­maine Taille­ferre, Sona­tine pour cla­ri­nette et pia­no d’Arthur Honeg­ger, Sona­tine pour flûte et pia­no du peu joué Louis Durey, Suite “ Le Prin­temps ” pour pia­no de Darius Mil­haud, Ima­gi­nées de Georges Auric, et la mer­veilleuse musique de scène de Pou­lenc pour L’Invi­ta­tion au châ­teau de Jean Anouilh10, à dégus­ter dans un fau­teuil de cuir avec un verre de banyuls ; l’autre de musique ibé­rique et sud-amé­ri­caine pour gui­tare (Manuel Ponce, Rodri­go, Fal­la, Turi­na, Vil­la-Lobos, etc.) enre­gis­trée en 1969 par Alber­to Ponce11, à écou­ter assis dans un fau­teuil de rotin, dans un jar­din exo­tique, en buvant non du xérès mais, si vous le pou­vez, un verre de pulque ou, à défaut, d’une très bonne tequila.

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1. 1 CD ZIG ZAG ZZT 060301.
2. 1 CD ARION ARN 68718.
3. 3 CD DGG 289 477 6130.
4. 1 SACD PENTATONE PTC 5 186 076.
5. 1 SACD PENTATONE 5 186 068.
6. 1 CD CHANDOS 10358.
7. 1 CD EMI 5 58049 2.
8. 2 CD EMI 4 78906 2.
9. 2 CD EMI 351857 2.
10. 1 CD ARION ARN 68652.
11. 1 CD ARION ARN 60678.

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