Faire de l’euro une monnaie moderne permettant de poursuivre les objectifs énoncés dans le traité sur l’Union européenne
L’euro répond bien aux trois critères classiques d’une monnaie : permettre les échanges de biens et services, être une unité de mesure de la valeur de ces biens et services, enfin être un moyen de stockage de valeur, mais cette monnaie n’est pas souveraine et les états, qui ne maîtrisent plus la création monétaire, sont contraints de s’endetter auprès des marchés pour faire face à leurs obligations régaliennes.
En contrepoint de l’article « L’union monétaire après le Brexit » (JR n°759 p. 41)
Notre pays et la plupart des pays européens se trouvent dans l’impossibilité de financer à un niveau suffisant les missions régaliennes qui sont les leurs avec des conséquences sérieuses. On peut citer notamment les dépenses de l’État employeur (éducation, santé, sécurité, défense), de l’État pourvoyeur de bien-être social (logement, infrastructures, services publics), de l’État stratège (recherche et développement à long terme), de l’État mécène (associations, culture…).
Un besoin de financement des politiques publiques
Le chômage ne cesse de s’accroître alors qu’il existe un potentiel humain non utilisé et en augmentation, ce qui ne devrait pas être accepté. Sous prétexte de ne pas endetter nos enfants, nous interdisons à nombre d’entre eux de construire leur avenir et les privons des moyens de vivre aussi bien que nous vivions avant la crise Covid en disposant d’avantages compétitifs acquis avant l’adoption de l’euro.
Nous ne sommes plus au temps de l’étalon or depuis 1971 date à laquelle les États-Unis ont abandonné toute référence à l’or pour leur monnaie. Est alors apparue la notion de monnaie moderne théorisée à l’Université de Kansas City sous le nom de MMT (Modern Money Theory).
Qu’est-ce qu’une monnaie moderne ?
La monnaie est un titre de dette. Elle est exprimée en unités de compte. Dans toutes les nations modernes l’unité de compte qui est officiellement appelée monnaie est choisie par l’État. Un État totalement souverain est maître de sa monnaie. L’État souverain a le pouvoir sur la création monétaire.
La monnaie est indispensable aux acteurs économiques parce qu’elle sert à payer les impôts à l’État qui l’émet et a cours légal dans cet État ; nul ne peut la refuser en règlement d’une dette et les prix des biens et services doivent au sein de l’État émetteur être exprimés dans cette unité.
Dans un État souverain les différents titres de dette utilisés sont hiérarchisés en fonction de la confiance qu’on leur accorde. C’est la dette de l’État (sa monnaie) qui est la plus recherchée car cette dette sera toujours remboursée à l’échéance, un État souverain n’étant pas comme un ménage ou une entreprise qui ne peuvent pas créer de monnaie.
Contrairement aux ménages et aux entreprises l’État souverain n’a pas de contrainte sur ses dépenses. Cela ne veut pas dire qu’il peut dépenser sans limite et générer de l’inflation. L’objectif devrait être le plein emploi des ressources humaines grâce à des commandes publiques. Cette remarque avait été faite dans un libre propos de Marcel Macaire (42) dans le numéro de La Jaune et la Rouge daté de janvier 1991. Marcel Macaire a été à l’origine de l’association Chômage et Monnaie dont le site internet est aujourd’hui un des meilleurs pour se documenter et réfléchir sur la monnaie. En 2008 avec mon ami le professeur Alain Parguez nous nous sommes rapprochés des membres de cette association pour élaborer un manifeste pour le plein emploi qui a été publié sur nos sites internet respectifs : http://www.neties.com/manifeste.html et http://www.chomage-et-monnaie.org/2008/01/manifeste-2008/
Alain Parguez, docteur d’État en économie de l’Université de Paris‑I, a enseigné l’économie comme professeur à l’Université de Franche-Comté à Besançon de 1978 à 2009 et a été associé du département d’économie à l’Université d’Ottawa (Canada). Il a beaucoup travaillé à développer une véritable théorie du capitalisme, économie monétaire de production, qu’il a baptisée Théorie du circuit monétaire.
L’euro n’est pas une monnaie moderne
L’euro n’est pas une devise moderne car les États membres ont abandonné leur souveraineté sur son émission et sont devenus de simples utilisateurs ce qui a fait dire à certains que l’euro est pour les états membres une monnaie étrangère. La différence avec les États-Unis est patente.
Il faut bien constater que la BCE n’a pas dans ses objectifs le plein emploi et ne dispose pas totalement de l’outil qui a permis aux États-Unis de rétablir la situation en 2008 ; le rachat massif par la Fed de dettes publiques et privées. Les dollars ainsi créés permettent de résister aux crises et de maintenir le plein emploi des ressources humaines du pays. C’est avec ces dollars que les compagnies américaines ont racheté des fleurons de l’industrie comme Alstom et quelques-unes de nos start-up prometteuses. Ces dollars ont servi aussi à passer des commandes à l’industrie américaine consommatrice d’importations. Ceci n’a pas empêché le dollar de s’apprécier et la Fed reste libre d’émettre la quantité de dollars nécessaire pour tout remboursement exigé par un créancier, il faut simplement un vote du Congrès pour augmenter la dette.
L’Euro n’est pas une monnaie moderne au sens de la MMT (Modern Money Theory). Dans les pays qui ont adopté l’euro l’État ne peut pas émettre de la monnaie et il est contraint de financer tout déficit en empruntant sur les marchés, il peut ainsi se trouver en défaut de paiement.
Un euro moderne pour poursuivre les objectifs de l’Union européenne
À la décharge des Britanniques qui quittent l’Union européenne et n’ont jamais voulu renoncer à la Livre Sterling, force est de reconnaître que l’euro n’a pas permis de se rapprocher des objectifs de l’Union. La monnaie est la condition d’existence de la production. C’est aujourd’hui l’ajustement de la masse monétaire aux besoins de financement des projets utiles et pour lesquels il existe une main‑d’œuvre disponible qui peut être le moteur de la croissance nécessaire pour atteindre le plein emploi.
Pour atteindre les objectifs figurant dans le traité sur l’Union européenne les États doivent être en mesure de remplir leurs fonctions régaliennes à savoir notamment : l’emploi en premier ressort, l’enseignement, la sécurité, la santé, la défense. Ils ont aussi la responsabilité du bien-être commun : le logement, l’environnement, les infrastructures, les services publics. Ils leur incombent la gestion de la préparation du futur : les recherches à long terme et le financement des développements les plus coûteux, la politique industrielle. Et l’emploi en dernier ressort : subventions aux associations d’intérêt général, mécénat… Le Conseil européen, autorité souveraine de l’Union a la possibilité de proposer d’exercer la souveraineté sur la monnaie (l’euro n’est pas une monnaie souveraine et les autres monnaies européennes ne le sont plus vraiment) et des règles de création monétaire permettant de se rapprocher du plein emploi dans chacun des États de l’Union sont tout à fait envisageables (gouvernement économique commun par le conseil entre nations responsables).
Les objectifs de l’Union européenne
L’Union est « chargée de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples » (article 3 du traité sur l’Union).
« L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.
Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant.
Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.
Elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen. »
Elle respecte « l’identité nationale » des États membres.
Deux questions fondamentales
Le conseil avec l’assistance des moyens spécialisés des États pourrait alors se poser les deux questions suivantes : Quels sont les investissements publics utiles qui sont sacrifiés sur l’autel de l’austérité ? Y a‑t-il dans les pays d’Europe des gens au chômage qui pourraient travailler pour que ces investissements deviennent réalité ?
Pour financer ces investissements il faudrait que les États dépensent (commandes publiques à l’industrie privée) pour mettre les gens au travail sans ne se préoccuper ni du déficit ni de la dette. Les États devraient pouvoir créer de la monnaie pour leurs investissements en émettant des titres souscrits par la BCE ou leur banque centrale à un taux faible fixé par le conseil afin de maintenir par leurs commandes le rythme de dépenses dans l’économie au niveau exigé pour atteindre le plein emploi.
Les chefs de gouvernements qui auraient alors la souveraineté sur la monnaie (mais ensemble) pourraient élaborer les règles d’une gouvernance économique confédérale de l’Europe et les mettre eux-mêmes en pratique. Cela supposerait des réunions plus fréquentes du conseil, la mise en place d’administrations nationales et régionales ad hoc travaillant ensemble et une véritable volonté de solidarité européenne.
Quelques propositions à méditer pour essayer de penser différemment
Think different ! Tel est le slogan retenu par Steve Jobs fondateur d’Apple. C’est l’investissement qui crée l’épargne (Keynes et les postkeynésiens) ; il n’est pas nécessaire d’épargner pour investir ; ce qui est vrai pour l’agriculture ne l’est pas pour une économie moderne où la création monétaire est la condition essentielle de la production.
C’est le carnet de commande des entreprises qui détermine le niveau de l’emploi et non pas des subventions sans contrepartie clairement identifiée.
En temps de crise quand les commandes aux entreprises sont insuffisantes l’État doit dépenser plus pour ses activités régaliennes (commandes publiques aux entreprises). Ces dépenses sont à financer par une création monétaire de la banque centrale au profit de l’État et non par l’impôt.
L’usage de l’impôt (politique fiscale) outre son rôle constitutionnel (contribution commune indispensable également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.) doit être employé à la lutte contre les effets d’aubaine et à la réduction des inégalités par exemple en taxant les enrichissements sans cause.
Les bons du Trésor achetés par la banque centrale ne constituent pas une charge ; une dette de l’État devant l’État n’est pas une dette. Les intérêts que paye l’État à la banque centrale lui sont reversés par celle-ci.