Faire de l’X une institution mondialement connue et reconnue
Six mois après sa prise de fonction, le nouveau président de l’X évoque le parcours qui l’a conduit à son poste et fait le point sur les nombreux chantiers en cours en matière d’éducation, de recherche, de fonctionnement, d’aménagement du campus, de diversité, de rayonnement et de développement des ressources propres, chantiers qui visent à amener l’École polytechnique au niveau d’un leadership d’excellence mondial.
Quel a été ton cursus jusqu’à ton entrée dans la vie professionnelle et quelle a été l’empreinte de l’X sur ce parcours ?
Originaire du Berry, né dans une famille d’enseignants, j’ai très vite eu le goût des maths, de la physique et de toutes les matières scientifiques. C’est ce qui m’a conduit à Louis-le-Grand puis à l’X. De mon passage à l’École, je retiens d’abord la rencontre avec des gens formidables, leur agilité intellectuelle, leurs qualités humaines, et en particulier au sein de l’équipe de handball où je me suis fait des amis pour toujours. Autre souvenir : la période militaire dans la cavalerie qui a constitué une expérience humaine irremplaçable. D’abord à Saumur où j’ai connu des gens remarquables et ensuite, pendant sept mois, à Berlin où je me suis vu confier de vraies responsabilités à la tête d’un peloton de chars. On prend conscience qu’on représente la France, on y développe aussi son sens du leadership. De la période d’études, je garde évidemment le souvenir de professeurs exceptionnels comme Roger Balian (52) ou Jean-Louis Basdevant. J’ai beaucoup aimé la façon dont ils nous faisaient découvrir la profondeur de la science et le recul qu’ils nous donnaient. J’ai appris à aborder les problèmes en faisant la part entre certitudes et incertitudes. Autre période marquante : le stage de trois mois dans les laboratoires du CEA. Enfin, un souvenir pittoresque que seule la promotion 1980 a connu : défiler de nuit sur les Champs-Élysées un 14 juillet, une décision de François Mitterrand. De toute cette période, je retiens surtout la formidable ouverture au monde que constitue le passage à l’X.
Qu’est-ce qui te conduit alors à entrer chez McKinsey ?
J’étais très attiré par les nouvelles technologies – informatique, télécommunications… – et ai donc choisi le corps des télécommunications. Pendant l’école d’application, j’ai fait un stage d’un an à New York avec comme mission d’aider des entreprises françaises à entrer sur le marché américain récemment dérégulé. Cette expérience m’a donné le goût de l’international et en rentrant à Paris, j’ai décidé de quitter la direction générale des télécommunications, qui n’offrait pas alors ce genre de perspectives. Aux USA, j’avais été passionné par un livre écrit par deux directeurs associés de McKinsey : In search of excellence. Ayant contacté ce cabinet, il m’a proposé une bourse pour suivre le MBA de l’Insead. Au départ, j’ai travaillé sur les applications des nouvelles technologies, et de 1990 à 1996, j’ai été transféré à New York où j’ai été élu directeur associé de McKinsey. À mon retour en France, j’ai pris la responsabilité du secteur TMT et de 2002 à 2010, j’ai dirigé le bureau français. J’ai ensuite été nommé au comité exécutif mondial en charge des fonctions « Knowledge » et « Communication ». Un rôle capital car le cabinet investit annuellement 500 millions de dollars en recherche et dissémination des connaissances. C’est également l’époque où j’ai pris la présidence du McKinsey Global Institute, le think tank macroéconomique du cabinet. J’ai aussi été élu par mes pairs au conseil d’administration mondial du cabinet pendant dix ans. Ces responsabilités m’ont amené à m’intéresser particulièrement aux questions d’éducation et de recherche. Parce que dans les métiers du conseil il est crucial de développer les personnes, c’est tout naturellement que je me suis engagé dans les instances de gouvernance de l’Essec, de Télécom ParisTech et de Sciences Po Paris.
Qu’est-ce qui t’a amené à prendre ton poste actuel ?
Un cabinet de recrutement m’a sollicité l’an dernier. Au départ, je me suis demandé si un tel changement n’était pas un peu prématuré, mais j’ai vite été séduit par ce challenge. J’avais passé les deux tiers de mon activité à aider des entreprises françaises à prendre place parmi les leaders mondiaux dans leurs domaines et l’idée d’en faire autant pour l’École polytechnique me plaisait. Je savais, par mon expérience, que l’École commence à être connue dans un certain nombre de milieux – décideurs, universités, centres de recherche… – mais qu’il y a encore beaucoup à faire pour son rayonnement. Il faut que le réflexe consistant à penser à l’X pour une formation, un recrutement, un partenariat, une recherche de poste… soit automatique. C’est ce défi qui me motive. J’ajoute que la création de l’Institut Polytechnique de Paris est un atout en ce sens, car elle permet d’augmenter les moyens et d’atteindre une masse critique pour être visible mondialement et ainsi attirer les meilleurs enseignants et les meilleurs élèves. Cette alliance a le mérite de faire travailler ensemble des établissements qui ont de nombreux atouts et valeurs en commun.
“Il faut que le réflexe consistant à penser à l’X
pour une formation, un recrutement, un partenariat, une recherche de poste… soit automatique”
Quels constats fais-tu au terme des six premiers mois passés à la tête de l’École ?
Le premier est le dynamisme et la créativité des élèves et étudiants que nous formons : en attestent les quelque 250 binets en activité sur le plateau. Le second est le très fort attachement du personnel à notre établissement. Le troisième est la richesse de nos 23 laboratoires de recherche : on est d’abord étonné – waouh ! – puis on se demande pourquoi ce n’est pas plus connu à l’extérieur. Qui sait que le LMD (laboratoire de météorologie dynamique) alimente le GIEC en données et en modèles ? Ou que le fartage des skis du champion olympique Martin Fourcade a été mis au point avec l’aide de notre laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX) ? Et de tels exemples sont très nombreux. Le quatrième constat, c’est l’ampleur des transformations en cours avec en particulier les nouveaux programmes qu’il faudra mener à bien. Autres constats : l’X dispose aussi d’un très beau réseau international qui lui vaut d’être reconnue par ses pairs et d’être le plus international de tous les établissements français d’enseignement supérieur (27e mondial et 1er français au classement THE) ; elle a aussi la chance de pouvoir s’appuyer sur un réseau d’anciens très actif, grâce à l’AX et la FX ; le dynamisme des start-up créées et hébergées dans nos murs est incroyable et crée une forte symbiose entre étudiants, chercheurs et investisseurs. Deux points sont à améliorer : le fonctionnement administratif qui devrait gagner en agilité et le campus qui mérite d’être plus accueillant.
Parlons maintenant du futur et de tes ambitions pour l’École…
La première ambition est d’assurer le plein succès de tous les nouveaux cursus qui viennent d’être lancés, c’est-à-dire faire que l’X soit une destination de choix pour tous les jeunes, qu’ils visent la formation d’ingénieur, de bachelor, celle de master ou de docteur… ou encore l’Executive education pour ceux qui sont déjà en poste. En un mot, rendre l’X encore plus attractive, ce qui implique de déployer une offre visible, lisible et reconnue.
La seconde ambition est de nous renforcer dans des domaines de recherche pluridisciplinaires et en particulier énergie, intelligence artificielle, biomédical, et cybersécurité. L’X doit devenir un lieu prioritaire pour tous ceux qui veulent rencontrer des chercheurs ou trouver de très bons étudiants. Ceci implique de construire une offre et de la faire connaître. Par exemple en invitant des dirigeants du CAC40, qui vont volontiers voir des institutions étrangères et ignorent qu’à leur porte il y a des choses remarquables.
La troisième ambition est de voir au moins une des vingt à trente start-up qui chaque année naissent ou sont hébergées dans nos murs, accéder dans les cinq ans au rang de « licorne ».
À côté de ces succès importants pour le rayonnement de notre institution, il y a trois ambitions qui me tiennent particulièrement à cœur. Celle d’améliorer le campus et d’en faire un lieu de vie où il se passe toujours quelque chose et où les élèves et étudiants soient épanouis. Celle de développer la diversité. Je me réjouis de penser que la dernière promotion d’ingénieurs compte 22 % de femmes, mais nous devons continuer à progresser ce qui nous oblige à travailler très en amont avec tous les acteurs du monde éducatif. Et enfin, l’ambition de bien établir l’Institut Polytechnique de Paris.
Où en est la création de l’Institut polytechnique de Paris ?
Le projet avance vite. En sept mois, nous avons établi les statuts d’un établissement qui sera créé dès ce mois de mai. Il sera habilité à délivrer des diplômes communs. Pour l’instant, ce seront des titres de master ou docteur. La question des bachelors sera étudiée ultérieurement. Nous avons aussi candidaté pour les Écoles européennes de recherche (EUR). Le comité exécutif de l’établissement réunit le président de l’X, qui statutairement préside cette instance, et les directeurs généraux des cinq écoles associées dans cette alliance : l’X, l’Ensta, l’Ensae, Télécom Paris et Télécom SudParis. Un certain nombre de fonctions seront partagées, comme par exemple nous permettre de doubler notre force de frappe dans le domaine de la communication ou de l’international.
La première mission de l’École est la formation. Quels sont tes rapports avec les élèves ?
Pendant toute ma carrière professionnelle chez McKinsey, j’ai recruté des jeunes X et cela m’a permis de garder le lien avec les élèves. Je retrouve aujourd’hui des profils analogues, même s’ils évoluent avec leur temps. Je tiens beaucoup à rencontrer régulièrement des élèves, incluant les kessiers et les représentants élus des autres formations. C’est un grand plaisir de travailler avec ces jeunes générations. Nos échanges portent notamment sur l’enseignement – le feedback qu’ils me donnent est essentiel –, le statut militaire de l’École, les parcours, la diversité, le classement, etc.
Un mot pour conclure ?
L’X fait régulièrement des échanges avec de grandes universités européennes dans le cadre de l’association EuroTech, un réseau d’universités avec DTU (Copenhague), TUM (Munich), TU (Eindhoven), EPFL (Lausanne) et le Technion. Récemment, nous avons été invités par la TUM, notre partenaire de Munich qui a présenté sa feuille de route pour le futur avec trois axes majeurs : la pluridisciplinarité, le leadership et les grands sujets de société. À l’heure où l’École célèbre son 225e anniversaire, il était heureux de retrouver là les valeurs qui animent l’X depuis sa création.