Faire émerger des acteurs de taille mondiale
C’est après l’effondrement de la bulle internet des années 2000 qu’une deuxième génération d’entrepreneurs et d’investisseurs plus avisés, permettra la naissance de la Sart-Up Nation. Le revers de la médaille est que faute de débouchés locaux, de capitaux disponibles et de culture managériale les sociétés qui réussissent se vendent prématurément à l’éttranger.
Après l’embargo français sur la vente d’armes à Israël, le pays entame le développement de sa propre industrie militaire, aérospatiale, avec des sociétés comme Elbit Systems, Elop, Elisra, Elbit Medical Imaging, leurs filiales et compagnies affiliées.
Des entreprises civiles naissent aussi, qui deviendront des multinationales, Amdocs (software de facturation pour les télécoms, 1982), Comverse (software messagerie télécom, 1984), Elscint (imagerie médicale, 1969), pour n’en citer que quelques-unes.
REPÈRES
Le 2 juin 1967, le général de Gaulle déclare l’embargo sur la vente d’armes à destination d’Israël. Le gouvernement israélien demande alors à Israel Aircraft Industries, devenu aujourd’hui Israel Aerospace Industries, le développement d’un chasseur local destiné à remplacer les Mirage III.
C’est le début des programmes Nesher et Kfir qui donneront naissance à l’un des chasseurs les plus performants au monde. L’industrie high-tech israélienne est née.
INCUBATEURS ET FONDS D’INVESTISSEMENT
Mais l’histoire de l’industrie des start-up ne démarre réellement qu’au début des années 1990. Nous sommes en pleine immigration russe et le gouvernement veut intégrer cette nouvelle main‑d’œuvre sur-qualifiée, qui comprend un bon nombre d’ingénieurs et de scientifiques.
“ L’histoire de l’industrie des start-up ne démarre réellement qu’au début des années 1990 ”
Le gouvernement crée alors les premiers incubateurs technologiques et fonds d’investissement pour les financer – regroupés dans le fameux Yozma Group, totalement privatisé depuis. Une structure dédiée, l’Office of the Chief Scientist (aujourd’hui Israel Innovation Authority), voit également le jour au ministère de l’Économie pour accompagner le développement du secteur high-tech.
Puis, c’est tout l’écosystème israélien qui se met en place : des dizaines de Venture Capital (VCs), incubateurs publics, accélérateurs (universités ou privés), implantations R & D de compagnies multinationales, business angels clubs…
Un avion de combat Kfir.
NAISSANCE D’UNE INDUSTRIE
De nombreux entrepreneurs fraîchement sortis de la fameuse unité d’élite de l’armée 8 200 montent leur société. Les technologies sont souvent dérivées du militaire. C’est le cas de la géolocalisation, de la vision par ordinateur, ou encore de la cybersécurité.
Paru en 2009, le livre de Dan Senor et Saul Singer retrace le miracle israélien de la création d’une industrie à l’échelle mondiale.
En 2000, la génération start-up 1.0 est à son apogée avant l’effondrement du système en 2001 suite à la crise Internet. Cette crise fera naître la deuxième génération d’entrepreneurs et d’investisseurs plus avisés, qui pourra enfin donner lieu à une industrie mature.
En un peu moins de vingt ans, Israël a créé une des industries start-up les plus puissantes au monde, le concept de « Start-up Nation » est né.
ISRAËL, LA START-UP NATION
Le terme de Start-up Nation est apparu suite à la parution en 2009 du livre éponyme de Dan Senor et Saul Singer, qui retrace le miracle israélien de la création d’une industrie à l’échelle mondiale.
Israël compte aujourd’hui 5 500 start-up, sociétés en développement comptabilisées comme innovantes dans le business model, la technologie ou la propriété intellectuelle, soit environ une start-up pour 1 500 habitants. Le meilleur ratio au monde et de loin.
L’industrie high-tech emploie en 2016 12 % de la population active pour une part de 9 % du PIB israélien, et de 49 % des exportations. En 2015, le poids des dépenses allouées à la recherche représente toujours 4,1 % du PIB, selon l’Unesco. Seule la Corée du Sud faisait mieux en 2015 (4,3 %), alors que les États-Unis sont dixièmes (2,7 %) et la France treizième (2,3 %).
DES SUCCÈS REMARQUÉS
On peut rappeler les succès de Mirabilis, l’ancêtre de la messagerie instantanée, revendu 407 millions de dollars à AOL en 1998 ; de M‑Systems l’inventeur de la clé USB revendu à Sandisk pour 1,6 milliard de dollars ; ou de Waze le système de navigation GPS revendu pour 1,15 milliard de dollars à Google en 2014.
UNE FORTE PRÉSENCE ÉTRANGÈRE
Selon le Bureau central des statistiques israélien, plus de 270 centres de R & D de compagnies étrangères sont établis en Israël, pour deux tiers d’origine américaine : de Facebook à Huawei en passant par Intel (20 000 employés en Israël, Intel Israël représentant plus de 10 % de toutes les exportations israéliennes), Google, Apple, Amazon, eBay, Paypal, Microsoft, Yahoo, mais aussi Deutsche Telecom, Bosch…
Ces centres emploient plus de deux tiers des employés R & D du high-tech israélien offrant des salaires relativement élevés.
Et cela pour ne parler que des produits grand public, le « B2C ». Mais le point fort d’Israël est le « B2B ». Les produits israéliens équipent également une gamme complète de produits high-tech allant de l’ordinateur portable au smartphone, des systèmes de navigation militaires ou civils aux produits grand public divers.
Les systèmes de télévision à péage utilisent par exemple la solution israélienne NDS rachetée par Cisco pour 5 milliards de dollars en 2012.
En 2016, 4,8 milliards de dollars sont investis dans les start-up (+11 % en hausse par rapport à 2015), pour un montant d’exit – introductions en Bourse, revente ou buy-out – avoisinant les 9 milliards de dollars (source IVC Report). Cette année, ce chiffre sera largement dépassé avec la vente annoncée de Mobileye à Intel pour un montant sans précédent de 15 milliards de dollars.
Entre 1998 et 2012, le secteur du high-tech israélien a connu un taux de croissance annuel de 9 % en moyenne, soit le double de la progression du PIB. Mais depuis 2012, la tendance s’est inversée. Ce n’est plus le secteur high-tech qui tire la croissance israélienne.
UNE AVANCE QUI SE RÉDUIT
L’une des raisons de ce ralentissement est que, contrairement aux pays asiatiques et européens, l’écosystème d’innovation israélien arrive à maturité. Jusqu’au début des années 2010, il y avait la Silicon Valley, puis Israël, puis le reste du monde.
“ Ce n’est plus le secteur high-tech qui tire la croissance israélienne ”
Désormais, il y a aussi la Chine, l’Inde, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Corée du Sud, le Brésil et même la France. Ces pays ont compris que l’innovation est le moteur de l’avantage compétitif et se mettent à essayer de « copier » le modèle israélien.
Mais comment Israël, ce pays de seulement 22 000 km2, soit plus petit que la Bretagne, peut-il tenir tête à ces nouveaux entrants ? Israël a des difficultés à créer des industries de classe mondiale et les sociétés se revendent de façon prématurée.
Le marché local reste limité, tant en taille qu’en capitaux disponibles, et Israël ne dispose pas de culture managériale et industrielle à grande échelle.
DES SUCCÈS EN DEMI-TEINTE
Certains secteurs à très forte valeur ajoutée, comme la voiture électrique autonome (Autotalks), où excellent les talents israéliens, semblent propices à la création d’une industrie de taille mondiale.
En 2007, l’entreprise Better Place voit le jour, avec pour ambition de devenir leader mondial dans le secteur de la voiture électrique. Mais, malgré une alliance avec Renault prometteuse et un développement à l’international, l’initiative se solde par un échec en 2013, suite à une gestion maladroite et à un manque de soutien de la part du gouvernement israélien.
La dernière cession en mars 2017 de Mobileye, le fleuron israélien dans l’industrie automobile, à Intel pour un montant record de 15 milliards de dollars, citée glorieusement dans tous les journaux, peut être considérée comme un nouvel échec à créer un acteur majeur israélien de cette industrie, en cédant le contrôle de la propriété intellectuelle à un acteur étranger.
Et pourtant, Israël dispose aujourd’hui d’atouts majeurs pour réussir : onze « licornes » (compagnies privées valorisées plus d’1 milliard de dollars), dont Gett, Taboola, Outbrain, Ironsource, Infinidat, contre par exemple seulement trois pour la France (BlaBlaCar, OVH, Vente-privée.com).
Mais que faut-il pour rendre ces entreprises pérennes avec un développement à l’international, à l’instar de Checkpoint, Amdocs ou Teva ?
DE LA START-UP NATION À LA « KEEP-UP NATION »
Certains secteurs à très forte valeur ajoutée, où excellent les talents israéliens, semblent propices à la création d’une industrie de taille mondiale : cybersécurité (380 start-up en 2017, initiative gouvernementale de création d’un centre à l’université Ben Gourion de Beer Sheva), voiture électrique autonome (Autotalks), stockage de l’énergie (Storedot), industrie 4.0 (impression 3D, Stratasys), biotech/ santé digitale (380 start-up en 2017, la Caisse de sécurité sociale Clalit no 2 au monde en termes de volume de données digitales)…
UN MODÈLE POUR BEAUCOUP
On voit des délégations du monde entier affluer en Israël, participer à des échanges commerciaux, mettre en place des cellules de veille, réaliser des investissements.
En 2015, les Chinois ont investi 2,8 milliards de dollars dans le pays, dont au moins 550 millions de dollars en investissements directs dans les start-up, sans passer par des fonds locaux.
Mais pour permettre ce développement, il faudrait avoir les ressources locales suffisantes en main‑d’œuvre, capitaux, et modifier la culture managériale.
Israël manque de main‑d’œuvre qualifiée, les universités israéliennes n’en fournissant aujourd’hui qu’environ 60 %. Une politique récente consiste à recruter auprès de la population arabe qui fournit 30 % des diplômés du Technion.
L’incubateur Naztech à Nazareth ouvert en 2014, fruit d’un partenariat entre Cisco et l’État, est le premier incubateur destiné aux entrepreneurs arabes-israéliens. Autres populations cibles : les ultraorthodoxes (Kamatech, premier accélérateur ultraorthodoxe), les nouveaux immigrants, les vétérans (âge 45 +) ou encore les femmes (50 % de femmes composent l’unité 8 200 !).
PROMOUVOIR UNE NOUVELLE CULTURE MANAGÉRIALE
Des nouveaux fonds d’investissement late stage doivent se créer ou ceux existant s’ajuster aux besoins en capitaux de ces nouveaux géants du high-tech : par exemple, le fonds israélien Aleph VC a augmenté à douze ans sa période de cash in, au lieu des sept ans habituels.
“ Les universités israéliennes ne fournissent qu’environ 60 % de la main‑d’œuvre qualifiée ”
Enfin, il faudra enseigner aux jeunes entrepreneurs la culture managériale et industrielle à grande échelle en créant des filières d’enseignement spécialisées dans les universités israéliennes.
La mondialisation des échanges et la dématérialisation permise par Internet ont largement amoindri la corrélation traditionnelle entre la taille d’une nation et sa puissance économique.
Israël doit faire face aujourd’hui à un nouveau défi : utiliser son leadership technologique pour la création d’industries pérennes de classe mondiale. Ainsi la Start-up Nation se transformera en « Keep-up Nation » et se dotera d’une économie bien plus robuste, dont le pouvoir d’attraction pourrait devenir un important facteur d’intégration et de paix régionale.