Faire vraiment réussir tous les élèves, y compris les plus démunis
La Commission que j’ai présidée de septembre 2003 à octobre 2004 avait une double tâche : organiser un grand débat public sur l’École dans notre pays, et les résultats de ce débat ont été consignés dans un ouvrage, Le Miroir du débat (Dunod), où l’on peut prendre connaissance des propos et aspirations de nos concitoyens ; répondre politiquement à cette expression en élaborant un rapport constitué de recommandations dont le gouvernement devait s’inspirer pour élaborer une nouvelle loi d’orientation sur l’éducation (remplaçant celle de 1989). Ce rapport, intitulé Pour la réussite de tous les élèves, a été coédité par le Sceren et la Documentation française, et là encore chacun peut se le procurer (y compris par téléchargement à partir du site de cette dernière). Il est donc inutile de reproduire ici les recommandations de ce rapport1. Il est plus intéressant d’une part de les éclairer pour mieux comprendre les visées de la Commission, d’autre part d’insister sur les conditions propres à faire vraiment réussir les élèves les plus défavorisés, ceux pour lesquels cette exigence est a priori la plus difficile à satisfaire.
La Commission a été guidée, dans son travail, par cinq idées fondamentales.
D’abord, et c’est l’idée centrale, il faut absolument élever le niveau d’éducation, de formation, de qualification de la jeunesse, et pas que de la jeunesse : de chacun d’entre nous. Tout le rapport est un effort pour atteindre cette ambition première, et doit être lu à cette aune. Cet objectif, qui était déjà celui de la loi d’orientation de 1989, paraît indépassable et doit être réaffirmé. C’est d’ailleurs bien ce qu’ont demandé les Français. Les quatre lignes de pensée suivantes constituent alors les conditions auxquelles, aux yeux de la Commission, cet objectif sera atteint.
La Commission a alors, première condition essentielle, jugé qu’il fallait raisonner en architecte. Lorsqu’on construit une maison, on commence par les fondations, et il faut qu’elles soient solides, indestructibles. D’où son insistance sur la réussite de la scolarité obligatoire, et donc sa réorganisation. Qu’on le veuille ou non, la première des inégalités entre élèves, celle qu’il faut réduire à tout prix, celle que tous les ministres ont voulu réduire depuis quinze ans sans y parvenir, ce qui montre la difficulté du sujet, c’est celle qui sépare les 15 % d’élèves qui ne maîtrisent pas les connaissances, compétences et règles de comportement indispensables à la poursuite d’études réussies et, au-delà, à la réussite de sa vie, et les 85 % autres qui les maîtrisent. D’où l’accent mis sur les enseignements communs pour tous et, en leur sein, le socle commun des indispensables, et sur la personnalisation des apprentissages. Contrairement à ce qu’ont avancé avec mauvaise foi des détracteurs, cette insistance sur la scolarité obligatoire n’est pas une régression vers une École d’il y a cinquante ans, car dans l’esprit de la Commission (comme de tout le monde d’ailleurs) la politique éducative ne s’y réduit nullement. Réussir la scolarité obligatoire n’est pas une condition suffisante, c’est une condition nécessaire, un préalable aux réussites ultérieures de tous ordres.
Deuxième condition, puisque l’orientation majeure est désormais de vraiment faire réussir tous les élèves, le métier d’enseignant change, doit changer. Il ne peut plus être autant qu’aujourd’hui concentré sur la transmission des savoirs, mais doit intégrer l’accompagnement et l’aide des élèves vers la réussite, pour les faire progresser, pour leur faire vraiment comprendre ce cours qui vient de leur être dispensé. Non pas que faire un bon cours et faire progresser les élèves soit antinomique, évidemment : c’est si le cours est clair, pédagogique, qu’on a le plus de chance que l’élève le comprenne, et qu’il progresse grâce à lui. Mais cela ne s’identifie pas : un bon cours ne suffit pas à ce que les élèves progressent, il faut les aider, les évaluer, les accompagner. Bien entendu, beaucoup de professeurs le font déjà, mais pas tous, et leur service ne le prévoit pas, leur formation ne les y prépare pas beaucoup, leur recrutement et leur évaluation ne portent guère sur cet aspect. D’où dans l’esprit de la Commission, et c’est l’épine dorsale de ses recommandations, l’absolue nécessité de transformer ce qu’on peut appeler la gestion de cette ressource humaine capitale que constituent les enseignants : leur métier, leur rémunération, leur formation, initiale et continue, leur recrutement, leur évaluation-inspection, leur carrière.
Qui est le plus à même de faire réussir tous les élèves, c’est-à-dire de concevoir et mettre en œuvre les stratégies d’apprentissage et d’éducation appropriées ? La réponse à cette question constitue une autre conviction de la Commission : ce sont les » acteurs de base « , autrement dit tous les adultes qui sont au contact des jeunes dans les établissements scolaires et dans les classes, à commencer par les chefs d’établissement et les enseignants, et personne d’autre. D’où la nécessité de leur donner davantage de responsabilité, d’autonomie, et de les aider évidemment dans l’usage de cette autonomie en informant sur les réussites des autres et en évaluant les initiatives prises. Cet accroissement de la responsabilité et de l’autonomie des établissements et des classes, nourrie et évaluée, doit se marier avec la colonne vertébrale de notre École, c’est-à-dire son caractère national, plus que jamais nécessaire en ces temps où elle doit être le creuset de la Nation. La conciliation entre une autonomie accrue et un système national est un sujet difficile auquel il faut trouver une réponse adaptée. La loi d’orientation de 1989 avait déjà émis cette idée (et à nouveau la Commission se rattache à l’une de ses intuitions fondamentales) et l’avait concrétisée dans son article 18 : la loi y disait que chaque établissement devait élaborer son projet qui » définit les modalités particulières de mise en œuvre des objectifs et des programmes nationaux. » Cette idée a globalement échoué, même s’il est toujours possible de trouver des exceptions. Plutôt que s’entêter, la conciliation doit, selon la Commission, être trouvée autrement. D’où l’idée de contrat, plus précisément de contractualisation pluriannuelle à trois signataires (l’établissement, l’État, l’élu territorial).
Enfin, et c’est la quatrième condition, il ne faut plus penser que l’École réussira, c’est-à-dire fera réussir tous les élèves, seule. Notre École s’est construite il y a cent vingt ans contre la société. C’est contre le patois, en les faisant accéder au français et, au-delà, au savoir, c’est contre les vices de la rue, de la ville, pour les faire accéder à un espace, celui de l’École, où les valeurs sont spécifiques, que les enfants devaient être instruits, éduqués, devenir des élèves. Et il est vrai que l’accès au savoir est libérateur, que les valeurs de l’École diffèrent de celles de la société. Mais il ne faut plus en tirer la conclusion que l’École doit être fermée sur le monde. Elle doit être ouverte, tout en affirmant sa singularité. Et elle ne doit plus penser qu’elle doit faire, ou fera, réussir les élèves » contre « . Au contraire, c’est » avec » que cette ambition très exigeante a des chances de se réaliser : avec les parents (notamment les plus démunis), avec tous les partenaires qui aujourd’hui participent aussi à l’éducation et à la socialisation de la jeunesse : des associations, les collectivités territoriales, d’autres services publics (police, justice, santé et affaires sociales), les entreprises (y compris publiques), les médias enfin, qui de fait ont désormais une immense influence, dont ils ont beaucoup de mal à tirer les conséquences (et même à vouloir les tirer).
Ceci, qui constitue le cadre général d’une politique éducative efficace et juste, se traduit immédiatement au service des élèves les plus démunis. Il est vrai qu’il faut jouer sur les deux tableaux : dégager une élite scolaire de grande qualité et faire réussir toute une génération. Mais dans cette double ambition, c’est la seconde qui constitue, notamment pour notre démocratie et notre capacité à vivre ensemble, l’enjeu principal. Et faire réussir toute une génération, c’est en particulier faire réussir ceux qui ont du mal à réussir, qui sont en grand échec scolaire (de l’ordre de 15 % des élèves aujourd’hui, comme je l’ai rappelé plus haut).
Comment se concrétisent alors les idées fondamentales ? Je ne fais que citer. Il faut :
- définir un socle commun de connaissances, de compétences et de règles de comportement, qui doit être maîtrisé par tous, et dont la maîtrise effective devrait justement être un engagement de la Nation à l’égard de la jeunesse ; dans ce socle, dont le contenu doit être raisonnable, » opérationnel « , les règles de comportement ont une place essentielle ; c’est certes difficile mais possible, et d’ailleurs nécessaire ;
- transformer le métier, la formation, le recrutement, l’évaluation des enseignants au service de cette maîtrise : l’enseignant doit faire réussir tous les élèves, et ceci a des conséquences capitales, en termes de pédagogie générale d’une part, d’accompagnement et d’attention aux plus démunis d’autre part ;
- diversifier beaucoup plus qu’aujourd’hui, et de façon évaluée et maîtrisée, nos établissements scolaires (écoles primaires et collèges notamment), en particulier les moyens, tant quantitatifs que qualitatifs qui leur sont accordés, au service de ceux où il y a le plus d’élèves en difficulté, notamment socialement : des classes doivent être constituées de moins de dix élèves, tandis que d’autres pourront être plus importantes qu’aujourd’hui, constituées d’élèves favorisés ou même moyens, et qui apprennent très bien ; ceci est d’autant plus envisageable qu’entre 2003 et 2012 de l’ordre de 40 % des enseignants partent en retraite, ce qui permet à la fois de reconstruire le métier et de reconfigurer la carte scolaire ;
- afficher qu’on ne passera pas dans le cycle d’après si le socle des fondamentaux n’est pas maîtrisé, ce qui devrait conduire l’équipe éducative à organiser très en amont, dès le début du cycle et avec les parents notamment, l’apprentissage au profit des plus démunis.
Ces notations sont beaucoup trop rapides et superficielles, mais elles peuvent être approfondies en lisant le rapport de la Commission, ou l’ouvrage cité en note. Même si la récente loi ne les a guère retenues, de tels axes devraient former l’armature d’une politique éducative des quinze prochaines années au service de cette grande ambition, faire réussir tous les élèves, tant il est vrai que la réforme de l’École est beaucoup plus affaire d’action quotidienne, courageuse et tenace, que de loi.
1. Le processus d’ensemble, très original – débat, rapport, loi – est par ailleurs décrit et commenté dans le livre que je viens de publier, et auquel je me permets de reporter les lecteurs intéressés : Débattre pour réformer, Dunod, septembre 2005.
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v
travail tres reussi
mes felecitations