Favoriser la diffusion de l’esprit entreprenant
France Active s’est mis en place à partir de 1990, à l’époque de la création du RMI, pour répondre au I de RMI. Ce n’est pas la banque du pauvre, mais une association, maintenant bien structurée, accompagnant ceux qui veulent entreprendre avec des conseils et des possibilités de financement.
En 1988, Michel Rocard, Premier ministre, crée le revenu minimum d’insertion (RMI). Si l’État est parfaitement capable d’inventer et de distribuer ce type d’aide, la question qui se posait alors était de savoir comment répondre au « I » du RMI.
Le pari a été de s’intéresser à ceux, parmi les demandeurs d’emploi, que l’on pouvait aider à créer leur activité. Lancée, en son temps, par Raymond Barre, l’idée n’avait recueilli qu’un scepticisme ironique.
Dans certains esprits, être chômeur, c’était être incapable d’être salarié et donc, a fortiori, d’être patron. C’est ainsi que le réseau France Active s’est mis en place pour conseiller et financer des chômeurs ayant le goût et la capacité de fonder leur entreprise.
HÉRITIERS D’EMMAÜS
Une autre population d’entreprenants s’est révélée à cette époque, celle d’un certain nombre de travailleurs sociaux qui, à force de faire de l’accompagnement social du chômage, s’étaient lassés de la fatalité du non-emploi et souhaitaient devenir eux-mêmes entrepreneurs.
De là sont nées les entreprises d’insertion par l’activité économique, telles que le Groupe SOS ou les Jardins de Cocagne parmi bien d’autres héritiers d’Emmaüs, précurseur en ce domaine.
DES INNOVATIONS DE RUPTURE
La question a alors été de savoir comment aider ces entreprenants à devenir entrepreneurs. Durant les années 1990, France Active a été présidée par Claude Alphandéry. Jeune résistant, il avait dirigé les maquis de la Drôme et défendre des causes réputées perdues ne lui faisait pas peur.
“ Aider les entreprenants à devenir entrepreneurs ”
D’autre part, ayant été banquier dans sa vie professionnelle, il a eu l’idée, non pas de créer une banque des pauvres, mais de mettre en place un dispositif de prêts ouvert à de toutes petites entreprises en aidant les entreprenants à franchir le seuil des banques classiques.
Il a donc mis en place un système d’accompagnement et de labellisation des candidats qui garantissait aux banquiers la qualité et la forte probabilité de réussite du projet présenté : « Soit le projet réussit, et vous avez alors gagné un client qui ne vous a rien coûté ; soit c’est un échec et France Active vous rembourse 50 %, voire 80 % dans certains cas, de ce qui vous reste dû. »
Les banques mutualistes, puis les banques commerciales, ont ainsi commencé à travailler avec nous. Cette garantie bancaire a constitué une première innovation de rupture.
Deuxième rupture : les entreprises d’innovation sociale ont besoin de fonds propres. L’idée, quelque peu paradoxale, a alors été de solliciter l’épargne solidaire, tout un chacun ayant ainsi la capacité de devenir entreprenant par le biais de son épargne.
Claude Alphandéry a créé à cet effet la Société d’Investissement France Active (SIFA), qui collecte et investit de l’épargne solidaire, et dont Edmond Maire a pris la présidence à la fin des années 1990.
UNE AUTRE CONCEPTION DE L’ÉCONOMIE
France Active a mis en place un système d’accompagnement et de labellisation des candidats qui garantissait aux banquiers la qualité du projet présenté. © PESHKOVA / FOTOLIA.COM
France Active se positionne donc dans un mouvement d’ensemble où chacun, qu’il soit épargnant, consommateur ou entrepreneur, peut contribuer à une autre conception de l’économie. Face à l’innovation technologique, activité jugée noble, l’innovation sociale fonde ainsi les bases d’une nouvelle économie sociale.
Tout cela suppose d’avoir, sur le terrain, des personnes capables d’accompagner les entreprenants, condition essentielle pour qu’ils puissent devenir entrepreneurs. Notre réseau constitue donc notre troisième innovation de rupture, mise en place, elle aussi, par Claude Alphandéry et développée depuis par Denis Dementhon.
Ce réseau décentralisé est constitué de quarante-deux « fonds territoriaux » qui couvrent aujourd’hui tout le territoire.
Comme les associations débutent souvent en étant dépendantes des fonds publics ou de faibles cotisations, nous contribuons à leur développement vers une activité d’entreprise associative grâce aux dispositifs locaux d’accompagnement (DLA), mis en place par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Il nous faut évidemment des ressources pour développer toutes ces activités et rémunérer nos salariés qui oeuvrent à côté des bénévoles. Claude Alphandéry a eu le talent, et nous nous y employons à sa suite, de mobiliser des soutiens publics de l’État, des collectivités territoriales et de l’Europe.
Nous vivons ainsi avec le fidèle appui de la CDC qui, dès l’origine, a cru à cette combinaison d’efficacité, de solidarité et de proximité dont France Active est l’un des meilleurs exemples.
Notre activité financière se développant année après année, elle contribue maintenant fortement à notre équilibre économique, en complément des partenaires privés, entreprises ou fondations qui nous soutiennent.
UNE CAPACITÉ D’ACTION IMPORTANTE
Le groupe associatif France Active est constitué de l’association et de trois sociétés : France Active Garantie (FAG), la Société d’Investissement France Active (SIFA) – toutes deux de taille nationale – et France Active Financement (FAFI) qui gère, pour le compte de l’État, un système de prêt à 0 % en faveur des chômeurs.
FRANCE ACTIVE EN CHIFFRES
Il y a dix ans, si le projet France Active était ambitieux, la structure, en revanche, était fort modeste. Nous avons désormais changé d’échelle et, entre 2014 et 2015, nous avons réalisé une croissance d’un peu plus de 8 %.
À ce jour, plus de 50 000 entrepreneurs ont été financés. En 2015, France Active a contribué à créer ou consolider 35 000 emplois. 7 000 entreprises, dont 6 000 en création, ont été accompagnées ou financées.
Comme nous privilégions les financements à moyen terme, de trois à sept ans, nous avons en portefeuille un peu plus de 30 000 entreprises dont nous assurons le suivi. Il est l’une des clés du succès en permettant d’apporter un regard extérieur ou du conseil en prévention des risques.
Nous nous sentons responsables, non seulement des fonds prêtés à l’entreprise, mais également de son succès, si bien qu’à ce jour nous affichons des taux de réussite supérieurs à 82 % à trois ans, à mettre en regard des 50 % d’échecs habituels, toutes entreprises confondues.
Environ 244 millions d’euros sont annuellement soit prêtés, soit investis, soit mobilisés en garanties de prêts bancaires, le tout sur environ vingt mille opérations financières, soit la taille d’une petite Caisse d’épargne.
Cela nous donne une vraie force de frappe et une capacité de mobilisation importante, mais resterait sans effet sans une présence sur le territoire.
Nous disposons donc également de quarante- deux associations régionales, départementales ou locales, qui permettent à chaque entrepreneur de trouver un interlocuteur. Cette proximité géographique est complétée par des moyens numériques et des partenariats avec des acteurs locaux bien implantés.
Mais, compte tenu de la diversité des entreprises et des initiatives, notre action ne se conçoit qu’au cas par cas.
France Active n’a ni les moyens, ni l’ambition de répondre à l’ensemble de l’entrepreneuriat en France. Nous sommes issus d’une démarche centrée sur les questions d’insertion et de retour à l’emploi, que nous élargissons à l’ensemble de l’entrepreneuriat ayant un impact social et territorial. Cela nous amène à cibler nos interventions sur des publics particuliers.
Ainsi, 89 % des créateurs que nous avons financés étaient des demandeurs d’emploi et 45 % d’entre eux étaient des créatrices d’entreprise, contre 30 % au plan national.
Avec le soutien de l’État, de la CDC et de certaines associations, nous avons donc mis en place, pour l’entrepreneuriat féminin, des dispositifs spécifiques qui rencontrent un grand succès.
SIX MILLE ENTREPRISES
Pour financer ces six mille très petites entreprises en création, nous avons rencontré préalablement onze mille porteurs de projets après avoir eu environ deux fois plus de contacts téléphoniques ou par courriels.
“ L’innovation sociale fonde les bases d’une nouvelle économie sociale ”
Pour ne pas engager les gens dans des aventures potentiellement dangereuses pour eux et parvenir à les convaincre de retravailler éventuellement leur projet, nous avons besoin de brasser cette énorme quantité de contacts. En 2014, nous avons également financé plus de mille entreprises solidaires, dont un tiers en création et le reste en développement, et, pour cela, le comité d’engagement a dû préalablement rencontrer et expertiser plus du double de candidatures.
À côté de l’aspect financier, le dispositif de conseil contribue également à nos capacités de sourcing et deux mille cinq cents structures en ont bénéficié en 2014.
UNE STRUCTURE NATIONALE
L’association France Active chapeaute l’ensemble de ces activités, ce qui nous permet d’avoir une structure intégrée au plan national et d’asseoir notre crédibilité. Cela nous offre aussi la possibilité d’agréger, autour de l’association, toutes les parties prenantes à notre action. Au sein de notre conseil d’administration, on trouve donc, non seulement des personnes issues de la société civile et de l’ESS, mais également des investisseurs privés et nos partenaires bancaires.
“ Une vraie force de frappe et une capacité de mobilisation importante ”
La SIFA dispose de 147 millions d’euros de fonds propres et donc d’une capacité d’action importante, à l’échelle des projets que nous soutenons, portant généralement sur des montants de 50 000 à 150 000 euros.
En 2015, pour investir 20 millions d’euros, nous avons réuni à peu près l’équivalent en épargne solidaire, système dont nous avons été les pionniers et dont nous restons les premiers collecteurs dans un marché français en expansion, de 6 milliards d’encours.
France Active Garantie est aujourd’hui une société pour laquelle nous venons de boucler une augmentation de capital en y faisant entrer de nouveaux partenaires comme BNP Paribas ou le Crédit Agricole. Ses 24 millions d’euros de fonds propres lui permettent de garantir un montant dix fois supérieur de prêts bancaires chaque année.
Ces chiffres montrent qu’autour de cet entrepreneuriat engagé, qui a des impacts sociaux et environnementaux, France Active est sortie de l’anecdotique. Sans prétendre nous mesurer aux grands groupes bancaires, l’action conjuguée des différents réseaux, à laquelle nous contribuons, commence à peser très significativement.
Le modèle économique de cet ensemble hybride repose sur des ressources qui, pour la tête de réseau, sont issues à 45 % du produit net de la SIFA et de France Active Garantie, 27 %, du marché public lié à la gestion des prêts à 0 %, et à 20 % du soutien de la CDC qui participe également aux financements des structures locales.
Le solde provient de financements variés tels ceux de l’Union européenne, de divers mécénats ou de dons. Le financement des structures locales, quant à lui, est plus déséquilibré et assuré, à hauteur de 80 %, par des financements publics provenant de l’Europe, des collectivités territoriales et, pour une moindre part, de l’État.
UN PROJET STRATÉGIQUE
LA « CHASSE AUX BEAUX DOSSIERS »
La concurrence des acteurs financiers classiques commence à se faire sentir dans la « chasse aux beaux dossiers ».
Certains essaient de plus en plus de nous doubler sur les projets les plus prometteurs.
Il nous faut donc veiller à bien nous placer, afin de n’être pas réduits à n’avoir en charge que des projets difficiles.
En 2015, lorsque nous avons réfléchi à notre projet stratégique, nous avons constaté que de plus en plus de jeunes étaient intéressés par la création d’entreprise, sans pour autant que notre socle traditionnel se réduise.
C’est une population nouvelle, plus inexpérimentée, plus impatiente, très en attente de mise en réseau, mais aussi moins crédible face aux banquiers. Elle nécessite donc davantage d’accompagnement, ces jeunes entreprenants étant bien plus portés vers l’action que vers le montage de dossiers ou l’élaboration d’un business plan.
À côté des artisans ou des commerçants classiques, que nous continuons à soutenir, nous voyons apparaître des pratiques radicalement nouvelles sur lesquelles nous n’avons pas de repères. Quand on a été habitué à se référer aux ratios du secteur, face à ces innovations, il faut alors remettre en cause ses propres fonctionnements.
“ Notre esprit est celui d’un optimisme actif ”
Naguère, parler de l’ESS faisait sourire les gens « sérieux ». Aujourd’hui, quand nous intervenons dans les grandes écoles ou les universités, parler d’entrepreneuriat social suscite immédiatement l’intérêt et, bien souvent, les jeunes cherchent à adjoindre à leur projet économique une dimension sociale ou environnementale.
UNE TENDANCE PRÉOCCUPANTE
À l’inverse, une tendance nous préoccupe : sur certains territoires ou pour certains publics, nous observons un net décrochage. Pour beaucoup de ceux qui viennent nous voir, leur projet étant celui de la dernière chance, il est trop peu travaillé.
Nous sommes très démunis face à cela et, çà et là, nous avons à affronter les injonctions de nos partenaires publics, notamment en ce qui concerne les quartiers concernés par la politique de la ville ou sur les zones de revitalisation rurale.
Enfin, ce qui avait été une innovation pour nous, c’est-à-dire relier les épargnants solidaires à des projets solidaires, est aujourd’hui concurrencé par de jeunes informaticiens passionnés par les réseaux et les plateformes et capables d’établir ce lien en direct sans passer par les banques.
Il nous faut trouver les moyens de travailler avec ces nouvelles dynamiques.
UN GRAND DÉFI
De plus en plus nombreux, les jeunes entreprenants sont bien plus portés vers l’action que vers le montage de dossiers ou l’élaboration d’un business plan. © KZENON / FOTOLIA.COM
Notre esprit est celui d’un optimisme actif. Dans les quartiers concernés par la politique de la ville, pourtant dits sensibles, 30 % des jeunes veulent néanmoins rester pour créer leur entreprise. Ils sont plutôt diplômés que décrocheurs, mais seuls 6 % d’entre eux arrivent à passer au stade entrepreneurs.
C’est un grand défi qui s’impose à l’ensemble des intervenants et nous travaillons de plus en plus avec ces publics pour augmenter leur taux de réussite, voire le doubler dans les années à venir.
Si les effets d’annonce sont faciles, l’action sur le terrain est beaucoup plus complexe.
Nous observons désormais un clivage de l’économie entre un pôle mondialisé, exposé à la concurrence internationale, et un pôle spécifiquement français, plus protégé.
Cela induit des comportements très différents. Une entreprise du CAC 40, qui raisonne en termes d’investissements, d’emplois et d’innovation à l’échelle planétaire, attire tous les regards alors que certains secteurs, souvent négligés par nos élites, tels le bâtiment ou les services à la personne, se développent rapidement avec un fort potentiel d’emplois.
Dans ces secteurs, l’ESS tient une place croissante en se centrant sur du business peu lucratif. Nous sommes inscrits dans l’économie marchande et la concurrence, pas dans un quelconque service public déconcentré. Il nous faut donc dégager un minimum de rentabilité afin de pouvoir nous développer.
Notre activité a un faible rendement financier mais un fort rendement social, voire environnemental : c’est une économie qui a donc du sens et qui va au-delà d’une simple recherche de profit.