Fécondité, mentalités et politique
Indice conjoncturel de fécondité en 1990 à l’échelle des 36 565 communes françaises (en nombre moyen d’enfants par femme).
Les différences de fécondité demeurent importantes en France. Elles expriment des différences de mentalités et de situation, non pas sociale mais spatiale. Les petits propriétaires paysans du sud ont restreint leur descendance pour transmettre leur exploitation à un seul héritier. Les départements les plus religieux ont une fécondité plus tardive que les laïcs. L’âge moyen à la maternité est plus élevé dans la capitale régionale que dans le reste de la région. Les villes dites » de commandement » (capitales administratives, sièges d’universités, industries pointe) ont une fécondité plus faible que les autres. La répartition sociale, la répartition politique et la répartition de la fécondité se superposent.
Les différences de fécondité demeurent importantes en France : l’indice conjoncturel atteint 2,11 enfants par femme dans le département de la Mayenne pour descendre à 1,46 dans celui de la Haute Vienne, 200 kilomètres au sud. Ce ne sont pas les femmes étrangères qui font la différence. Elles représentent moins de 2% de la population dans les deux départements et les deux arrondissements cités. Quelle est alors l’origine des écarts de fécondité à l’intérieur de la France ?
La fécondité à petite et grande échelle
Le Sud-Ouest est moins fécond que le reste de la France. Au niveau local, les agglomérations » importantes « , qui possèdent une position stratégique dans le maillage administratif et économique. ont une fécondité plus faible que les campagnes et les petites villes qui les entourent. Deux modèles ou deux contrastes de fécondité quadrillent donc la France. Sont-ils l’expression temporaire de la situation actuelles de la France ou bien résultent-ils d’une longue évolution ?
Héritage et fécondité
Grâce aux recensements qui renseignent sur la structure d’âge de la population, on connaît, depuis 1921, la fécondité à chaque âge dans chaque département français. Comment expliquer la plus faible fécondité du sud de la France et plus particulièrement du sud-ouest ? Le code civil, en imposant un partage des biens a poussé les artisans et les petits propriétaires paysans du sud à restreindre leur descendance pour transmettre leur exploitation à un seul héritier.
Indice conjoncturel de fécondité de 1921 à 1999 à l’échelle des départements (répartition en 7 groupes de même nombre de départements par ordre des valeurs croissantes).
Traditionnellement, la France est divisée en pays de droit coutumier au nord qui pratiquent majoritairement l’héritage égalitaire et pays de droit écrit au sud où l’héritage préférentiel (à l’aîné, ou à un fils choisi ) domine. Au Nord, on hérite d’un nom et au sud d’une maison.
Au Nord de la France, on hérite d’un nom. Au Sud, on hérite d’une maison
Un nom se partage entre plusieurs enfants, une maison se transmet en bloc à un seul. Une des conséquences de cette dichotomie est la différence des structures familiales entre le nord et le sud. Au nord, la famille nucléaire constitue la règle : deux ménages apparentés ne cohabitent pratiquement jamais. Au sud, au contraire, dominait la famille souche dans laquelle le couple des parents et celui de leur héritier désigné pouvaient cohabiter. Une conséquence de cette différence a été de maintenir la petite propriété au sud. En 1851, les propriétaires et les métayers formaient l’immense majorité de la paysannerie au sud tandis qu’au nord, les ouvriers agricoles et les domestiques étaient les plus nombreux.
Repères
A l’échelle nationale, une fécondité élevée est prisée en France. L’opinion et les leaders politiques et économiques se sont retrouvés à l’unisson pour célébrer le récent passage de l’indice de fécondité de la France en tête des 27 pays de l’Union. A l’intérieur du pays, le classement est moins glorieux. La fécondité est d’autant plus forte que l’on appartient à un milieu défavorisé et que l’on habite dans une commune sans envergure administrative, économique ou culturelle. Comme si la famille servait de refuge ou de compensation à l’absence d’influence et d’importance.
Une extraordinaire stabilité
La série des cartes précédentes montre l’extraordinaire stabilité de la répartition de la fécondité à l’échelle départementale.
La différence des structures familiales du Nord et du Sud persiste comme le montre la répartition des familles comprenant au moins deux noyaux familiaux (couples avec ou sans enfants ou familles monoparentales) au recensement de 1982.
À gauche, proportion des propriétaires et métayers dans l’ensemble des agriculteurs au recensement de 1851 (répartitionagriculteurs au recensement de 1851 (répartition en 7 groupes de même nombre de départements par ordre des valeurs croissantes).
À droite : proportion de ménages comprenant au moins deux familles (couple, couple avec enfant ou monoparental) au recensement de 1982 (répartition en 7 groupes de même nombre de départements par ordre des valeurs croissantes).
L’âge au mariage et à la maternité
Une fécondité plus forte a cependant subsisté dans certains départements du sud du massif central et au pays basque jusqu’en 1975. Ce sont des départements où la religion catholique possède une grande influence. La fécondité est restée plus élevée dans ces régions car leurs habitants ont limité leur descendance en se mariant moins et plus tardivement alors que les régions laïques pratiquaient la contraception dès le XIXe siècle. Jusqu’en 1975, la stabilité de la répartition de l’âge moyen à la maternité est remarquable. Les départements les plus religieux ont tous une fécondité plus tardive et inversement, les plus laïcs, une fécondité plus précoce. Il est remarquable de voir comment cette structuration de l’espace français qui a duré près de deux siècles se délite après 1975. Au lieu des départements catholiques, ce sont désormais les départements sièges des grandes villes ayant un rôle de » commandement » qui possèdent la fécondité la plus tardive.
Âge moyen à la maternité de 1921 à 1999 à l’échelle des départements (répartition en 7 groupes de même nombre de départements par ordre des valeurs croissantes).
Les villes de commandement
Le terme de ville de commandement ne reflète pas l’importance de la population ou de la densité de population, mais des fonctions supérieures des villes, en particulier leur caractère de capitale administrative ou de siège d’une grande université et d’industries de pointe Dans toutes les régions, l’âge moyen à la maternité est plus élevé dans la capitale régionale que dans le reste de la région.
L’âge moyen à la maternité est plus élevé dans la capitale régionale que dans le reste de la région.
On s’en rend compte en comparant les villes d’un même département qui sont de statut différent mais de population équivalente. Ainsi, Rouen a une fécondité plus tardive que celle de son département et Le Havre plus jeune. Même contraste pour Pau et Bayonne, Reims et Châlon, Nantes et Saint-Nazaire, Calais et Boulogne en regard d’Arras, Cherbourg et Saint-Lô. Le département des Bouches du Rhône offre un cas remarquable avec Aix en Provence, de fécondité tardive face à Marseille à la fécondité plus précoce. Dans ce cas, au statut de la ville s’ajoute sa composition sociale plus bourgeoise à Aix qu’à Marseille. Ce sont en effet les classes moyennes-supérieures qui ont la plus faible fécondité et ce sont elles qui ont investi les villes dominantes. On constate que les villes de commandement ont une fécondité plus faible que les autres et que leur environnement rural. Même si la différence entre le sud-ouest et le reste du territoire se maintient, elle est altérée par la sous-fécondité des sièges des capitales régionales : Toutes les capitales régionales, sauf Marseille, ont une fécondité inférieure à celle de leur région.
Influence politique
Repères
Georges Lavau est à l’origine du terme de tribunicien. Il désignait de cette manière les votes du PC motivés, non pas par un programme de gouvernement mais, par un rejet du système et par un mécontentement global. Désormais, les tribuniciens sont nombreux de l’extrême-droite à l’extrême gauche.
À gauche : proportion des suffrages obtenus par les candidats au premier tour de l’élection présidentielle de 2002 qui se prononceront ultérieurement pour le non au référendum de 2005 (carte lissée).
À droite : suffrage en faveur du non au référendum de 2005 (carte lissée).
En matière d’opinion politique et de vote partisan, le terme d’influence est sans doute plus exact que celui de commandement. Dans certaines communes, les électeurs ont le sentiment de pouvoir influer sur les événements, dans d’autres, ils se sentent relégués et impuissants.
Le coeur des villes dominantes s’oppose aux franges périurbaines
Alors que depuis le début du XXe siècle, les régions laïques étaient en général à gauche et les régions cléricales à droite, une nouvelle coupure est apparue qui oppose les votes » tribuniciens » aux votes pour les partis de gouvernement. Il y a deux siècles, le contraste se produisait en ville entre locataires des étages supérieurs et habitants de l’étage noble, et à la campagne entre le hobereau et ses roturiers. Il y a un siècle, l’échelle de l’opposition s’était étendue à toute la ville découpée en quartiers bourgeois et populaires. Aujourd’hui, c’est l’ensemble du territoire national qui est concerné avec le coeur des villes dominantes s’opposant aux franges péri-urbaines les plus lointaines selon un gradient croissant avec la distance.