Fermat a‑t-il démontré son grand théorème ?
“ Il n’est pas possible de décomposer un cube en somme de deux cubes, une puissance quatrième en somme de deux puissances quatrièmes et généralement aucune puissance d’exposant supérieur à deux en deux puissances de même exposant. J’ai découvert une démonstration merveilleuse de cette proposition que cette marge est trop étroite pour contenir.”
C’est une des 47 notes (en latin) que Pierre de Fermat (1601−1665) écrivit dans les marges de son exemplaire des Arithmetica de Diophante, publié par son fils après sa mort ; on ne trouva nulle part trace de la démonstration annoncée qui concerne, on le rappelle, des nombres entiers.
La “conjecture” excita, au cours des siècles suivants, l’intérêt et l’imagination de mathématiciens de haut vol qui firent progressivement, grâce à des techniques de plus en plus complexes, avancer la limite de l’exposant pour lequel le “Grand Théorème” était démontré. Mais ce n’est qu’en 1995 que le mathématicien anglais, Andrew Wiles, le démontra quel que soit l’exposant n – la démonstration occupe des centaines de pages…
Il était évident que, si Fermat avait dit vrai, il n’aurait pu utiliser que les outils mathématiques en usage de son temps. Serait-il possible de retracer aujourd’hui sa démarche ? C’est le défi que relevèrent Laurent Hua et Jean Rousseau ; les réflexions et recherches qu’ils firent pendant plusieurs années aboutirent au livre qui, à défaut de réponse définitive, ouvre des pistes intéressantes.
Dans une première partie, Jean Rousseau s’est attaché, de façon très vivante, à situer Fermat dans son époque (riche en personnalités scientifiques) : l’homme, doté d’un caractère entier, le magistrat, partagé entre Toulouse et Castres, le savant, reconnu, admiré, voire jalousé (notamment par des mathématiciens anglais), plein de curiosité pour de nombreux sujets – géométrie, algèbre, mécanique, optique – auxquels il consacra des “ traités ” qui ne furent publiés qu’après sa mort et dont aucun ne concernait la théorie des nombres (un projet resté inabouti). Ce n’est que dans sa correspondance avec d’autres savants (relativement modeste pour l’époque : on a retrouvé une centaine de lettres sur une période de trente-cinq ans) que figurent quelques lettres seulement où le Grand Théorème est mentionné pour les cas n = 3 et 4, ou éventuellement par l’intermédiaire de corollaires du cas n = 4 .
Mais, analysant l’ensemble de cette correspondance, Rousseau en fait ressortir des traits du caractère de Fermat : conscient de sa valeur et jaloux de son antériorité, ne dévoilant ses démonstrations qu’après avoir lancé un défi, mais aussi scrupuleux et de bonne foi (il reconnaît quand il s’est trompé ou quand il n’a pas réussi à démontrer).
Dans la deuxième partie de sa vie, Fermat correspondit avec Blaise Pascal, son cadet de vingt-trois ans, dont il avait connu le père. Leurs échanges portèrent surtout sur le calcul des probabilités. Fermat, très intéressé par le Traité du triangle arithmétique paru depuis peu, essaya sans succès de faire persévérer son auteur dans la théorie des nombres, mais ne semble pas l’avoir entretenu de sa conjecture.
C’est donc parmi les 47 annotations (sans dates, malheureusement) en marge des Arithmetica de Diophante (collection de 189 problèmes) qu’on trouve 3 formulations dont l’une est la seule à énoncer le Grand Théorème dans toute sa généralité (pour n = 3, n = 4 et quel que soit n > 2 ); les autres visent, directement ou par un corollaire, le cas n = 4 qui est sans doute celui que Fermat a démontré en premier, avant le cas n = 3. Il ne faut pas oublier qu’on ne dispose plus que de l’exemplaire imprimé de façon posthume ; l’exemplaire original, avec ses corrections manuscrites qui auraient peut-être permis d’affiner les recherches, a disparu.
Dans une deuxième partie de l’ouvrage, L. Hua aborde l’aspect mathématique de l’hypothèse avancée en faveur de l’affirmation de Fermat (déniée par la plupart des historiens et mathématiciens); elle s’appuie sur les propriétés du triangle arithmétique de Pascal, d’où le titre de cette partie : “ L’hypothèse Pascal ”.
S’appuyant sur l’analyse faite par Jean Rousseau des lettres et notes liées au Grand Théorème, L. Hua admet – et rien ne permet d’infirmer cette hypothèse – que Fermat a écrit sa note sur le Grand Théorème à la fin de sa vie, soit plus de vingt ans après ses premiers succès sur les cas n = 4 et n = 3, obtenus au moyen de la méthode (arithmétique) dite de la “ descente infinie ”, méthode qui fut cependant impuissante à traiter les valeurs supérieures de n. Mais la grande maîtrise de Fermat en géométrie et géométrie analytique (dont il est, avec Descartes, un des fondateurs) et ses réflexions sur le triangle arithmétique de Pascal (dont le traité parut en 1654) purent lui faire apercevoir une approche géométrique de sa conjecture.
En utilisant le tableau des différences finies des puissances des nombres entiers et le triangle arithmétique, L. Hua propose une méthode de calcul conduisant à l’attribution de coordonnées à une puissance entière d’un nombre entier et à la représentation géométrique de cette puissance dans l’espace de dimension n. Une astuce de calcul permet de représenter géométriquement le Grand Théorème dans l’espace usuel à 3 dimensions.
Cette représentation fait ressortir l’existence de lieux du point M de coordonnées fonctions de n et des coordonnées des cubes des nombres x, y et z (liés par xn + yn = zn) ; ces lieux sont des droites pour n = 1 ou n = 2, mais, dans le cas d’existence de solutions pour n > 2, un faisceau de courbes exponentielles.
L. Hua reprend de façon plus formalisée l’exposé mathématique de l’approche géométrique, démontrant trois propriétés du triangle de Pascal qui lui servent à formuler géométriquement le Grand Théorème. Il montre comment une démonstration finale – qui reste à trouver – permettrait de penser que Fermat ne s’est pas vanté (ou trompé).
Rien n’autorise à dire que Fermat a utilisé la méthode décrite par L. Hua ; mais le lien entre certains “ outils ” disponibles à son époque (différences finies et triangle de Pascal, résultant tous deux d’un processus d’itération additif) et la “ vision ” géométrique de l’approche de Fermat face aux problèmes d’arithmétique donnent quelque poids à l’hypothèse.
Quiconque a été intrigué par cette énigme de l’histoire des mathématiques ne pourra manquer d’être intéressé par la lecture de ce livre, et peut-être de ressentir un peu de la passion qui a habité ses auteurs en relevant le défi qu’ils s’étaient lancé.
Jean Rousseau est décédé en février 2002.(cf In Memoriam dans ce même numéro)
3 Commentaires
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Fermat nous aurait-il livré une ultime leçon de pédagogie ?
Bonjour, je me je me permets de vous soumettre une analyse sur la question de savoir si oui ou non Fermat avait trouvé (l’étude n’est pas terminée mais bien avancée), une traduction plus fidèle de la deuxième note de Fermat, une critique des arguments des détracteurs de Fermat, les arguments en faveur d’une preuve. https://fermat2026.wordpress.com/2017/02/11/entree-en-matiere/ Cordialement, CM
Changement d’adresse du blog
Re-bonjour, depuis mon dernier passage j’ai en effet changé le nom du site et l’ai bien étoffé ces derniers jours. C’est loin d’être fini je pense, d’autant que j’attends pour septembre un commentaire d’une spécialiste de Fermat totalement impartiale. Alors… attendons… 😉 (je ne suis pas inquiet).
Merci de votre attention.
https://l‑enigme-de-fermat-passee-au-crible.com/2017/07/10/lenigme-de-fermat-passee-au-crible/
Cordialement, CM
Combinaisons, Permutations, Arangements, Linéarité
Pour son « hypothèse de démonstration » (qu’il nomme pudiquement « formulation géométrique »), Laurent HUA utilise une approche combinatoire (car on parle d’un ensemble dénombrable a,b,c,n sont des entiers) qui n’est pas sans évoquer la démonstration de Willes.
Dans ce cadre, le théorème de FERMAT revient à dire qu’il n’existe pas d’ordre total compatible avec la structure de corps de C, le corps des complexes.
– Il attaque le problème des deux cotés de l’arrangement (ordre total) :