“ Fibres de stress ” et anisotropie : cause ou effet
Quelques explications sur un stage de 3e année à Berkeley. Dans ce laboratoire, on étudie les bases biologiques de la forme des cellules et de leur mobilité. L’étude a porté sur des cellules ayant des fibres de stress qui leur permettent d’exercer des forces sur leur environnement.
Le laboratoire du professeur Kumar, à l’université de Californie à Berkeley, étudie, entre autres, les bases biologiques de la forme des cellules et de leur mobilité.
C’est là que, dans le cadre de mon stage de troisième année, j’ai étudié ces fibres étonnantes.
LA CELLULE, SES FIBRES DE STRESS ET SON ENVIRONNEMENT
Image en fluorescence d’une cellule U2OS RFP-LifeAct vue du dessus. Les fibres de stress sont fluorescentes.
La forme d’une cellule est contrôlée par son cytosquelette, un ensemble de filaments rigides. On en distingue plusieurs catégories, dont les fibres de stress.
Sur l’image ci-contre, les fibres de stress dites ventrales d’une cellule sont rendues visibles par des molécules fluorescentes.
Ces fibres de stress sont ancrées à leurs deux extrémités dans l’espace qui environne la cellule, la matrice extra-cellulaire, par le biais d’un assemblage complexe de molécules reliant l’intérieur et l’extérieur de la cellule.
Les fibres de stress sont composées de deux éléments principaux : des filaments d’actine reliés entre eux par des filaments de myosine, qui peuvent se contracter pour faire glisser les filaments d’actine les uns par rapport aux autres et ainsi contracter la fibre.
Ainsi, les fibres de stress permettent à la cellule d’exercer des forces sur la matrice extracellulaire.
LES FIBRES DE STRESS ET L’ANISOTROPIE DES CELLULES
“ Les fibres de stress permettent à la cellule d’exercer des forces sur son environnement ”
Certaines études ont montré que, lorsque la cellule est géométriquement anisotrope ou polarisée, c’est-à-dire quand on peut définir un axe long et un axe court, les fibres de stress sont à la manœuvre pour aligner avec l’axe long de la cellule certaines structures cellulaires (les « organes » de la cellule : les organelles, l’axe de division cellulaire…).
Ces phénomènes sont d’autant plus marqués que l’écart entre les deux axes est grand. La première partie de mon projet de recherche consistait à étudier comment cette anisotropie de la cellule se reflète dans les propriétés des fibres de stress.
LE MICROPATTERNING
Cette technique consiste à imprimer des motifs adhésifs de la taille d’une seule cellule sur un fond sur lequel la cellule ne pourrait sinon pas adhérer. Ainsi la forme de la zone sur laquelle la cellule peut s’étaler est maîtrisée, et donc aussi la forme de la cellule.
Pour ce faire, j’ai employé plusieurs techniques : le micropatterning permettant de faire varier les dimensions des cellules et la position des fibres de stress, et l’ablation au laser pour caractériser les propriétés viscoélastiques des fibres.
J’ai appliqué simultanément les deux techniques à des fibres de stress situées sur le long et sur le petit côté de cellules rectangulaires de diverses dimensions : on n’observe pas de différence significative entre les propriétés viscoélastiques des fibres situées sur le petit et le long côté du rectangle, pour toutes les dimensions de cellules testées.
J’en ai conclu que les propriétés viscoélastiques étaient intrinsèques à la fibre de stress et ne dépendaient pas de sa position dans la cellule. Bien que la forme de la cellule et l’organisation du réseau des fibres de stress soient anisotropes, cette propriété n’est pas reflétée dans les propriétés d’une fibre isolée.
Les circuits de l’information concernant l’anisotropie de la cellule ne passent donc pas par les propriétés viscoélastiques des fibres de stress.
COMMENT LES CELLULES S’APPUIENT SUR LEUR MATRICE
La seconde partie de mon travail visait à comprendre comment l’anisotropie de la cellule se traduisait dans les forces exercées par la cellule sur sa matrice extracellulaire.
Intensité des forces exercées (3) par une cellule sur sa matrice (1) grâce à ses fibres de stress (2).
Pour cela, j’ai utilisé une méthode appelée « Microscopie des forces de traction », qui consiste à observer le déplacement de billes fluorescentes embarquées dans une matrice extracellulaire de forme rectangulaire lorsque l’on retire la cellule.
Un algorithme permet ensuite de remonter aux forces exercées par la cellule sur la matrice avant qu’elle ne soit détachée.
À première vue, il m’avait semblé que les forces étaient concentrées sur les bords courts du rectangle lorsque la cellule était fortement polarisée. Cependant, une modélisation minutieuse de la valeur des efforts selon l’axe court de la cellule m’a montré que les zones d’efforts élevés se situaient toujours aux 4 angles du rectangle.
Lorsque le petit côté devient trop court, les deux pics se rapprochent et se confondent, car la résolution de la méthode employée est trop faible pour les distinguer.
J’ai remarqué que les fibres de stress des courts et longs côtés avaient des propriétés viscoélastiques similaires, bien qu’elles soient situées dans des environnements très différents en termes de forces exercées. En effet, les extrémités des fibres des petits côtés sont situées en plein cœur des zones de forte tension, alors que celles des longs côtés sont dans des zones où les forces exercées sont plutôt faibles…
J’en ai déduit que les propriétés des fibres de stress dépendaient peu de leur environnement.
LES FIBRES DE STRESS SERAIENT-ELLES INDIFFÉRENTES À L’ANISOTROPIE ?
ABLATION AU LASER
L’ablation au laser consiste à couper la fibre de stress à laquelle on s’intéresse en son milieu et à observer la cinétique de la rétraction des extrémités coupées. En comparant cette cinétique à un modèle viscoélastique, on obtient deux grandeurs caractérisant les propriétés de la fibre : la distance de rétraction et le temps caractéristique de la rétraction.
Je prends ces résultats avec prudence, car la variabilité entre les cellules est élevée et la complexité du protocole provoque un certain sous-échantillonnage. Cependant, ils semblent indiquer que les propriétés d’une fibre de stress ne reflètent pas l’anisotropie des phénomènes dans lesquels elle est impliquée : forme de la cellule, organisation du réseau des fibres de stress, forces exercées, migration, division cellulaire…
Les fibres de stress ne semblent donc pas simplement exercer des forces à leurs extrémités, mais elles pourraient plutôt contribuer à la mise sous tension globale du réseau qu’elles forment.