Financement de la recherche publique en Amérique du Nord

Dossier : Les X en Amérique du NordMagazine N°617 Septembre 2006
Par Harold OLLIVIER (96)

Depuis quelques années s’est ouverte une grande réflexion sur l’or­ga­ni­sa­tion de la recherche publique et pri­vée en France. Elle a abou­ti récem­ment à la créa­tion d’une agence de finan­ce­ment – l’A­gence Natio­nale pour la Recherche.
Les poli­tiques voient en elle une façon d’at­teindre les cri­tères de Lis­bonne, et les cher­cheurs celui d’ob­te­nir les moyens néces­saires à la pour­suite de leurs acti­vi­tés dans un contexte tou­jours plus compétitif.
Ins­pi­rée du modèle Nord-Amé­ri­cain de finan­ce­ment de la recherche publique, la nou­velle orga­ni­sa­tion fran­çaise peut-elle vrai­ment com­bler toutes ces attentes ?
Cer­tai­ne­ment, mais encore faut-il avoir bien éva­lué quels sont les ingré­dients néces­saires au suc­cès d’une telle entre­prise, et sur­tout ne pas s’ar­rê­ter en si bon chemin.

Introduction

Dans cet article, je m’at­ta­che­rai dans un pre­mier temps à décrire le contexte dans lequel s’ef­fec­tue la recherche en Amé­rique du Nord.

Ensuite, j’a­bor­de­rai la ques­tion du finan­ce­ment de la recherche publique pro­pre­ment dite. Pour être pré­cis, je décri­rai le rôle struc­tu­rant des agences de finan­ce­ment sur l’or­ga­ni­sa­tion de la recherche tel que je l’ai observé.

Enfin, et parce que le choix d’un mode de finan­ce­ment par­ti­cu­lier n’est pas une fin en soi, mais seule­ment un moyen, j’es­saie­rai de déga­ger les points cru­ciaux qui ont fait sa réussite.

Contexte

La recherche publique

Les acteurs de la recherche publique en Amé­rique du Nord peuvent être clas­sés en trois grandes caté­go­ries. Les pre­miers en nombre sont les uni­ver­si­tés, les seconds les labo­ra­toires natio­naux et enfin les fon­da­tions ou ins­ti­tuts de recherche. Les équipes de recherche qui les com­posent ont bien sûr comme pre­mier objec­tif l’ex­cel­lence scien­ti­fique de leurs tra­vaux, ain­si que la pour­suite des objec­tifs glo­baux de ces ins­ti­tu­tions. Pour les uni­ver­si­tés il s’a­git d’une mis­sion d’é­du­ca­tion et de for­ma­tion, pour les labo­ra­toires natio­naux d’une mis­sion d’in­té­rêt géné­ral dans des domaines comme la san­té ou le mili­taire et enfin pour les fon­da­tions de recherche cela peut s’é­tendre de l’in­for­ma­tion scien­ti­fique grand public à l’i­den­ti­fi­ca­tion de nou­veaux champs de recherche encore inexplorés.

Cepen­dant, aus­si dis­pa­rate que peuvent être leurs orga­ni­sa­tions admi­nis­tra­tives, ces dif­fé­rents envi­ron­ne­ments sont pour le cher­cheur éton­nam­ment simi­laires au regard du finan­ce­ment des acti­vi­tés de recherche. Cette simi­la­ri­té s’ap­puie sur une simi­la­ri­té des méthodes pour obte­nir les finan­ce­ments, mais éga­le­ment sur une simi­la­ri­té dans la façon de gérer les fonds obtenus.

Financer qui, quoi et comment ?

En Amé­rique du Nord, à la dif­fé­rence du modèle fran­çais, le finan­ce­ment de l’en­semble des acti­vi­tés scien­ti­fiques d’une équipe (quelle qu’en soit la taille) est du res­sort du chef de l’é­quipe. Il est de sa res­pon­sa­bi­li­té de trou­ver et de gérer les fonds néces­saires aux pro­jets qu’il entend mener. Pour cela il s’a­dresse à des agences de finan­ce­ment. Ce sont des enti­tés indé­pen­dantes dont la seule voca­tion est de finan­cer des pro­jets de recherche — de les sélec­tion­ner et d’en assu­rer le sui­vi. Lorsque le terme géné­rique d’é­quipe recouvre un labo­ra­toire entier, ces dépenses devront inclure la ges­tion des bâti­ments, l’a­chat de gros maté­riels expé­ri­men­taux mais sur­tout — c’est d’ailleurs ce qui consti­tue pour toutes les per­sonnes avec qui j’ai dis­cu­té ce en quoi consiste le finan­ce­ment de la recherche — les salaires des cher­cheurs qui tra­vaillent dans ce laboratoire.

Mais la ques­tion du finan­ce­ment ne se pose pas uni­que­ment aux direc­teurs des très gros pro­jets. Un pro­fes­seur nou­vel­le­ment recru­té est éga­le­ment ame­né à cher­cher pour sa future équipe ses propres sources de finan­ce­ment. Cela lui per­met­tra d’as­su­rer le recru­te­ment d’é­tu­diants et de sta­giaires ou encore l’a­chat de maté­riel infor­ma­tique. Au delà de ces deux exemples, on trouve bien sûr toutes les varia­tions pos­sibles, du groupe de tra­vail aux réseaux de laboratoires.

Pour que le finan­ce­ment soit accor­dé, il est néces­saire à la fois de pro­po­ser un pro­gramme ambi­tieux mais éga­le­ment de mon­trer que les per­sonnes impli­quées ont les capa­ci­tés à résoudre les pro­blèmes ren­con­trés. Le choix du finan­ce­ment d’un pro­jet plu­tôt qu’un autre est bien sûr du res­sort des agences concer­nées et dépend d’é­ven­tuels cri­tères sup­plé­men­taires. Ces der­niers peuvent com­prendre par exemple la néces­si­té d’a­voir des par­te­naires indus­triels avec les­quels la recherche s’effectue.

Mal­gré des dif­fé­rences de poli­tique géné­rale entre les agences, il est impor­tant de noter que la pro­cé­dure d’ob­ten­tion d’un finan­ce­ment est assez homo­gène. Une éva­lua­tion du pro­jet est effec­tuée par l’a­gence qui sol­li­cite l’a­vis de ses propres experts mais sur­tout d’autres cher­cheurs dans le domaine (juge­ment par les pairs). Il leur est deman­dé de juger tout d’a­bord la qua­li­té du conte­nu scien­ti­fique du pro­jet, mais éga­le­ment ses chances de réus­site au regard de la com­po­si­tion de l’é­quipe qui le pro­pose. Ceci a pour but de s’as­su­rer que l’é­quipe s’au­ra orien­ter ses actions pour par­ve­nir à des résul­tats conclusifs.

La carac­té­ris­tique frap­pante de la recherche en Amé­rique du Nord est la simi­la­ri­té de la ges­tion du finan­ce­ment mal­gré une grande diver­si­té de type d’ins­ti­tu­tions. L’é­cra­sante majo­ri­té des finan­ce­ments est accor­dée et gérée à par­tir du modèle éta­bli par les agences indé­pen­dantes. Ceci signi­fie que, sou­vent, les finan­ce­ments internes accor­dés par les uni­ver­si­tés ou les labo­ra­toires natio­naux à leurs propres équipes s’ef­fec­tuent selon les mêmes stan­dards que s’il s’a­gis­sait des finan­ce­ments accor­dés par une agence externe à l’ins­ti­tu­tion. Par exemple, le Los Ala­mos Natio­nal Labo­ra­to­ry pré­lève sur son bud­get de fonc­tion­ne­ment, dont le mon­tant est déter­mi­né par le Sénat, entre 3% et 8% afin de finan­cer au tra­vers de deux pro­grammes – LDRD-DR et LDRD-ER1 – des pro­jets sou­te­nus par des équipes allant de plu­sieurs dizaines de cher­cheurs à des groupes de tra­vail de seule­ment 2 ou 3 permanents.

Natu­rel­le­ment, si la majo­ri­té du finan­ce­ment est don­née aux équipes et non aux struc­tures qui les accueillent, le pro­blème du finan­ce­ment de ces der­nières doit être posé. En par­ti­cu­lier, les uni­ver­si­tés comme les fon­da­tions de recherche ne béné­fi­cient en géné­ral pas de res­sources suf­fi­santes pour payer l’en­tre­tien des bâti­ments, les per­son­nels admi­nis­tra­tifs, etc.

La solu­tion uni­ver­sel­le­ment adop­tée est celle de « l’ove­rhead ». C’est à dire du pré­lè­ve­ment d’un pour­cen­tage don­né du mon­tant de tous les contrats obte­nus par les cher­cheurs. Ce pour­cen­tage varie sui­vant les types de contrats entre quelques pour­cents à plus de 40%. Il peut aus­si dépendre de la sur­face de locaux uti­li­sés par les équipes concernées.

Et dans la pratique ?

L’or­ga­ni­sa­tion et la façon de pro­cé­der des agences de finan­ce­ment a un impact pro­fond sur l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail de recherche des équipes. En fonc­tion des prio­ri­tés affi­chées par cha­cune des agences de finan­ce­ment et des dépenses qu’elles per­mettent de prendre en compte, s’o­père d’a­bord un regrou­pe­ment des cher­cheurs autour d’un thème. Le résul­tat de cette phase infor­melle est la consti­tu­tion de petites équipes autour d’un pro­jet et dont les membres vont peu à peu pré­ci­ser les grandes lignes, les jalons et fina­le­ment le plan d’ac­tion détaillé.

En fonc­tion de ces infor­ma­tions, un véri­table dos­sier de finan­ce­ment va pou­voir être consti­tué. Une fois que les membres du pro­jet ont déter­mi­né la ou les agences aux­quelles ils vont s’a­dres­ser, il faut mettre en forme le pro­jet ini­tial, et éven­tuel­le­ment le modi­fier légè­re­ment pour qu’il rentre dans le cadre des finan­ce­ments accordés.

En fonc­tion du mon­tant deman­dé, une ou plu­sieurs phases d’exa­men du dos­sier com­mencent. Dans tous les cas, elles impliquent un juge­ment de la valeur scien­ti­fique du dos­sier par les pairs. C’est l’élé­ment déter­mi­nant dans l’ac­cep­ta­tion des dos­siers. L’ex­cel­lence scien­ti­fique étant acquise, sont ensuite pris en compte l’a­dé­qua­tion du pro­jet à la poli­tique de l’a­gence ain­si que la qua­li­té du mana­ge­ment du pro­jet. Un juge­ment sur ces deux der­niers points est géné­ra­le­ment deman­dé à des experts de l’a­gence elle-même, mais éga­le­ment aux pairs qui ont jugé la qua­li­té scien­ti­fique du dossier.

Une fois le finan­ce­ment accor­dé un sui­vi plus ou moins lourd est mis en place. Il com­prend presque tou­jours un rap­port sur l’ac­ti­vi­té de l’an­née écou­lée au regard des objec­tifs qui étaient affi­chés. Il peut aus­si être l’oc­ca­sion pour l’a­gence d’or­ga­ni­ser une confé­rence scien­ti­fique afin d’a­ni­mer les pro­jets qu’elle finance.

La fin de pro­jet requiert une éva­lua­tion plus pous­sée : rap­port com­plet des tra­vaux effec­tués ain­si que jus­ti­fi­ca­tion des dépenses et de leur affec­ta­tion. Encore une fois, cette tâche incombe au chef de l’é­quipe. Si la mise en place d’un tel sys­tème est sou­vent dif­fi­cile la pre­mière fois, on en prend vite l’ha­bi­tude et la tâche de ges­tion finit par s’al­lé­ger. Le suc­cès d’un pro­jet est subor­don­né à l’ob­ten­tion de résul­tats conclu­sifs — posi­tifs ou néga­tifs — qui donne lieu à un nou­vel exa­men par les pairs. Il est éga­le­ment subor­don­né au res­pect des objec­tifs poli­tiques de l’a­gence. Ceci peut être de ren­for­cer la dif­fu­sion scien­ti­fique à des­ti­na­tion du grand public ou encore la néces­si­té d’ef­fec­tuer le tra­vail au tra­vers de col­la­bo­ra­tions avec des entreprises.

Ce qu’il faut retenir

Tout d’a­bord, ce qui m’a sem­blé être une dif­fé­rence fon­da­men­tale avec le sys­tème fran­çais, c’est que le finan­ce­ment est diri­gé vers une paire équipe-pro­jet et non pas vers une struc­ture admi­nis­tra­tive. Ensuite, les agences de finan­ce­ment ont une très grande exper­tise de la façon de juger des pro­jets scien­ti­fiques. Pour cela elles font lar­ge­ment appel à la com­mu­nau­té scien­ti­fique et font preuve d’un grand sérieux dans le pro­ces­sus de déter­mi­na­tion de leurs choix de pro­jets. Elles acquièrent ain­si leur légi­ti­mi­té au sein du monde scien­ti­fique et agissent comme leurs porte-parole auprès des pou­voirs publics. Pour atteindre ces objec­tifs, elles sont dotées de struc­tures de gou­ver­nance très actives. C’est la vision éclai­rée des indus­triels, scien­ti­fiques et repré­sen­tants de l’ad­mi­nis­tra­tion qui déter­mine leurs poli­tiques scien­ti­fiques et assurent la conti­nui­té de leurs actions.

Analyse

Comme je l’ai dit plus tôt, le choix d’une méthode de finan­ce­ment de la recherche n’est pas un but en soi, mais seule­ment un moyen. L’ob­jec­tif final est celui de per­mettre aux cher­cheurs de tra­vailler avec plus de moyens et, parce que l’in­no­va­tion est le pro­duit de la recherche et du déve­lop­pe­ment dans son ensemble, de favo­ri­ser les trans­ferts tech­no­lo­giques entre le monde aca­dé­mique et les industries.

Peut-on impu­ter les réus­sites indus­trielles amé­ri­caines dans les nou­velles tech­no­lo­gies ou les Bio­tech­no­lo­gies à une façon par­ti­cu­lière de finan­cer la recherche publique~? Je pense que c’est en par­tie le cas pour les rai­sons que je vais main­te­nant décrire.

Souplesse, confiance et responsabilités

Il peut être ten­tant de pen­ser que confier la ges­tion du bud­get de fonc­tion­ne­ment aux chefs des équipes est à la fois une perte de temps et une prise de risque si d’é­ven­tuels contrôles sont effec­tués après coup. En pra­tique, cela semble plu­tôt être le contraire. En effet, la ges­tion directe par l’é­quipe de son bud­get lui offre une sou­plesse indis­pen­sable aux acti­vi­tés de recherche. Il faut sou­vent se réorien­ter pour tenir compte des avan­cées les plus récentes et du tra­vail effec­tué par l’équipe.

Confier la ges­tion du bud­get à toute autre per­sonne que le chef de l’é­quipe c’est se pri­ver de sa capa­ci­té à faire des choix stra­té­giques visant à tirer par­ti d’une res­source limi­tée. C’est la seule façon de faire coïn­ci­der à tout moment le but et les moyens. D’autre part, lorsque les fonds sont gérés glo­ba­le­ment par une struc­ture de recherche, se pose inva­ria­ble­ment la ques­tion de leur répar­ti­tion aux équipes. Cela requiert d’in­ter­mi­nables négo­cia­tions bien plus consom­ma­trices de temps qu’une ges­tion directe.

Le second avan­tage mani­feste d’une telle solu­tion est la pos­si­bi­li­té qu’a une équipe d’af­fec­ter une par­tie de son bud­get au recru­te­ment de nou­veaux membres. En effet, le mar­ché du tra­vail dans la recherche est par essence extrê­me­ment com­pé­ti­tif. Les meilleurs cher­cheurs s’ar­rachent et font mon­ter les enchères entre uni­ver­si­tés. Une ges­tion de bud­get confiée aux struc­tures est sou­vent le meilleur moyen de ne jamais être en course pour le recru­te­ment des meilleurs, sur­tout quand on prend conscience que les négo­cia­tions sont par­fois ter­mi­nées en 15 jours à peine. L’autre avan­tage indé­niable d’une telle solu­tion est qu’il donne l’en­tière res­pon­sa­bi­li­té du recru­te­ment au cher­cheur qui embauche et qui va tra­vailler avec le can­di­dat. On évite donc les recru­te­ments effec­tués par des comi­tés et qui abou­tissent sou­vent au choix d’un can­di­dat sans que le chef de l’é­quipe ou du labo­ra­toire concer­né puisse par­ti­ci­per aux déli­bé­ra­tions. Il en est de même, mais dans une autre mesure, pour les étu­diants. Le com­plé­ment finan­cier qui peut-être ver­sé aux étu­diants selon leur qua­li­té en plus de leur bourse per­met d’at­ti­rer les meilleurs can­di­dats natio­naux et internationaux.

En d’autres termes, les chefs des équipes ont la capa­ci­té de gérer leur bud­get. Ils sont les seuls à savoir quels choix stra­té­giques ils doivent faire au regard d’un bud­get limi­té, que ce soit pour un recru­te­ment ou l’en­ga­ge­ment dans une nou­velle voie néces­si­tant un inves­tis­se­ment lourd en maté­riel. La confiance qui leur est accor­dée per­met la réac­ti­vi­té indis­pen­sable pour mener à bien les mis­sions qu’ils entreprennent.

Une meilleure visibilité

S’il y a bien un domaine dans lequel la glo­ba­li­sa­tion est effec­tive c’est celui de la recherche. Tous les cher­cheurs tra­vaillent en temps réel et les col­la­bo­ra­tions inter­na­tio­nales sont le quo­ti­dien. Pré­tendre igno­rer cet état de fait n’est sim­ple­ment pas pos­sible. La recherche, c’est trou­ver la véri­té et dans ces condi­tions seul celui qui y arrive en pre­mier gagne. Tous les outils per­met­tant de pro­gres­ser plus vite et plus effi­ca­ce­ment doivent donc être mis en place.

A ce jeu là la flexi­bi­li­té du finan­ce­ment et sur­tout la clair­voyance des grandes orien­ta­tions scien­ti­fiques ne peut tout sim­ple­ment pas être le fait d’une poli­tique cen­trale de l’E­tat. C’est pour cela que les agences de finan­ce­ment ont été crées avec des sta­tuts qui leurs confèrent sou­vent une grande auto­no­mie et une grande sta­bi­li­té face au pou­voir poli­tique. Elles doivent aus­si être libres de recru­ter et de gérer les per­son­nels qu’elles emploient pour juger de la qua­li­té et du sui­vi des dos­siers. A cette fin, elles recrutent sou­vent d’ex­cel­lents experts afin de s’a­jus­ter à l’ex­cel­lence qui est la norme dans les domaines scientifiques.

Il est éga­le­ment inté­res­sant de sou­li­gner que le sys­tème de finan­ce­ment par de grandes agences n’est pas fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rent de ce qui est la norme dans l’in­dus­trie. Il requiert la mise en place de bonnes pra­tiques : l’or­ga­ni­sa­tion des moyens autour d’un but déter­mi­né, la mesure de l’a­van­ce­ment et fina­le­ment l’é­va­lua­tion du résul­tat obte­nu et des causes du suc­cès ou de l’é­chec. Le sys­tème conduit natu­rel­le­ment à la for­ma­tion d’en­sembles cohé­rents de moyens et de res­sources humaines autour d’un but clai­re­ment identifié.

Perimeter Institute for Theorical PhysicsLe Per­ime­ter Ins­ti­tute for Theo­re­ti­cal Phy­sics a été créé offi­ciel­le­ment en 2000 à par­tir de dons pri­vés (envi­ron CAD120 M).
Son bud­get de fonc­tion­ne­ment est prin­ci­pa­le­ment tiré des agences de finan­ce­ment cana­diennes en par­ti­cu­lier NSERC/CRSNG, Cana­da Fund for Inno­va­tion, Onta­rio Research and Deve­lop­ment Chal­lenge Fund, Onta­rio Inno­va­tion Trust. La rapi­di­té avec laquelle les inves­tis­se­ments ont été déblo­qués pour accom­pa­gner le don ini­tial a per­mis de faire du Per­ime­ter Ins­ti­tute en 4 années de fonc­tion­ne­ment opé­ra­tion­nelles seule­ment l’un des meilleurs ins­ti­tuts de phy­sique théorique.

Cela ne sup­pose pas que le but recher­ché ait des appli­ca­tions pra­tiques : com­prendre l’é­mer­gence de la méca­nique clas­sique à par­tir du for­ma­lisme quan­tique — c’est ce qui m’a occu­pé pen­dant une par­tie de ma thèse — n’a pas vrai­ment d’ap­pli­ca­tions indus­trielles, mais c’est un objec­tif clair et vers lequel on peut mesu­rer son avan­ce­ment. En outre, ce tra­vail de mise en forme évite le décou­page arti­fi­ciel par type de res­source, la dilu­tion des res­pon­sa­bi­li­tés et sur­tout la dilu­tion du pou­voir de déci­sion. Tout cela est res­ti­tué aux chefs des équipes, ils assument leur rôle plei­ne­ment et sou­vent avec succès.

De fait, le finan­ce­ment nord-amé­ri­cain de la recherche per­met une meilleure visi­bi­li­té et une meilleure appré­cia­tion par l’in­dus­trie de ce qu’est le métier de cher­cheur. Un chef d’é­quipe ou de labo­ra­toire c’est un « pro­ject-mana­ger » en puis­sance. Cette équi­va­lence n’est pas tant le fait du sys­tème de finan­ce­ment, mais elle est ren­for­cée et sur­tout clai­re­ment appa­rente du fait de l’or­ga­ni­sa­tion autour de la paire équipe-pro­jet et des res­pon­sa­bi­li­tés finan­cières qui incombent au chef de l’é­quipe. Cette simi­la­ri­té favo­rise de fait gran­de­ment les trans­ferts tech­no­lo­giques. L’ap­pré­cia­tion réci­proque du tra­vail réa­li­sé par la recherche publique et par les groupes indus­triels rend pos­sible les recru­te­ments des per­sonnes ayant les connais­sances tech­niques recher­chées par les entreprises.

Cela per­met une bien plus grande effi­ca­ci­té que le pas­sage de contrats de sous-trai­tance. Dans ce der­nier cas les risques d’in­com­pré­hen­sion sont accrus et sur­tout cela abou­tit à détour­ner le labo­ra­toire concer­né de son but ini­tial : celui de faire de la recherche de pointe et de for­mer des étu­diants et des post-doc­to­rants. Dans le cas où les col­la­bo­ra­tions — ou la co-trai­tance — s’im­posent, le sys­tème nord-amé­ri­cain faci­lite la ges­tion par­ta­gée puisque dans les deux cas les orga­ni­sa­tions admi­nis­tra­tives et déci­sion­nelles sont proches.

Aider la recherche c’est aider à créer des entreprises

Les contraintes et les pra­tiques impo­sées par le modèle nord-amé­ri­cain de finan­ce­ment de la recherche n’ont pas comme seules consé­quences l’aug­men­ta­tion de la flexi­bi­li­té accor­dée aux équipes et le trans­fert tech­no­lo­gique. Elles per­mettent éga­le­ment de pré­pa­rer ceux qui le sou­haitent à fon­der leur entre­prise. La pra­tique acquise dans la pré­sen­ta­tion de pro­jets à des audiences variées se révèle utile lors­qu’il s’a­git de pré­sen­ter clai­re­ment une nou­velle tech­no­lo­gie à des inves­tis­seurs poten­tiels. Les com­pé­tences de mana­ge­ment que met en exergue le finan­ce­ment de la recherche ras­surent les banques comme les capi­taux risques. La com­mu­ni­ca­tion avec les anciens cher­cheurs du public se fait bien car les deux mondes ont appris à se connaître et à appré­hen­der la culture de l’autre.

A faire, à ne pas faire : des enseignements pour le cas français

Plu­sieurs points me semblent par­ti­cu­liè­re­ment impor­tants pour per­mettre à la nou­velle agence fran­çaise de réus­sir sa mis­sion. Je vais en détailler quelques uns.

Gouvernance

Les agences de finan­ce­ment nord-amé­ri­caines ont su acqué­rir une légi­ti­mi­té auprès des scien­ti­fiques. Lorsque la NSA, l’A­RO ou la NSERC2 financent un pro­jet aca­dé­mique et envoie ses experts l’exa­mi­ner, certes on parle bud­get, mais sur­tout on parle science. Les entre­vues sont de haut niveau et extrê­me­ment bien pré­pa­rées. Ceci résulte d’une constance dans la qua­li­té du recru­te­ment des experts et dans l’é­ta­blis­se­ment d’une poli­tique à long terme enga­gée par les admi­nis­tra­teurs et les diri­geants d’une agence.

Cette gou­ver­nance doit éga­le­ment assu­rer son indé­pen­dance face au pou­voir poli­tique. Ceci est d’au­tant plus impor­tant qu’elle est sou­vent ame­née à jouer auprès du gou­ver­ne­ment un rôle de conseil sur des ques­tions scien­ti­fiques. Trop proche du pou­voir poli­tique, elle perd sa sta­bi­li­té et est sou­vent sou­mise à des chan­ge­ments irra­tion­nels de poli­tique scien­ti­fique qui sont nui­sibles à l’a­van­cée des tra­vaux qu’elle promeut.

Sous-traitance

Les agences doivent éga­le­ment avoir comme objec­tif de main­te­nir une poli­tique scien­ti­fique claire et dont le but prin­ci­pal est l’ex­cel­lence scien­ti­fique. Même si l’or­ga­ni­sa­tion du finan­ce­ment de la recherche peut avoir des consé­quences en terme de trans­fert tech­no­lo­gique ou de créa­tion d’en­tre­prises, cela ne doit pas être la prio­ri­té. A cet égard on peut citer l’exemple de la NSERC cana­dienne. Cette agence se foca­lise sur les pro­jets sou­te­nus par l’in­dus­trie et des labo­ra­toires publics. Ce type de contrainte com­prend le risque de favo­ri­ser l’ex­ter­na­li­sa­tion de la recherche des indus­tries vers les universités.

Pour évi­ter cela, la NSERC sélec­tionne les pro­jets uni­que­ment en fonc­tion de leur valeur scien­ti­fique. Ain­si ne sont finan­cés que des pro­jets qui auraient pu être conduits par les labo­ra­toires publics seuls. L’a­van­tage de telles col­la­bo­ra­tions pour les entre­prises est l’ac­qui­si­tion de connais­sances de haut niveau les aidant non pas à résoudre des pro­blèmes tech­no­lo­giques actuels mais à inven­ter les tech­no­lo­gies de demain. A la charge des entre­prises d’ef­fec­tuer le déve­lop­pe­ment en vue de la com­mer­cia­li­sa­tion ; à la charge des uni­ver­si­tés de for­mer les doc­to­rants et les post-doc qui plus tard pour­ront être embau­chés dans ces entreprises.

Une certaine lourdeur

Avec la mul­ti­pli­ci­té des agences de finan­ce­ment – fédé­rales, d’é­tat, pro­vin­ciales, par­fois régio­nales – il y a un risque de pas­ser son temps à chas­ser les finan­ce­ments. Pour cela, les Cana­diens uti­lisent très régu­liè­re­ment le sys­tème du mat­ching - ou co-inves­tis­se­ment. Les plus petites agences publient leur poli­tique géné­rale et éta­blissent des condi­tions géné­rales d’é­li­gi­bi­li­té à leurs pro­grammes. Le choix de finan­cer un pro­jet ou non est sim­ple­ment subor­don­né à l’ob­ten­tion d’un autre finan­ce­ment de la part d’une agence plus impor­tante. Les agences se font donc confiance et allègent ain­si les procédures.

Un modèle de financement c’est un outil au service d’un choix politique

Il aurait été pos­sible de pour­suivre la liste des avan­tages concer­nant le modèle nord-amé­ri­cain de finan­ce­ment de la recherche et des recom­man­da­tions pour la mise en place du nou­veau sys­tème fran­çais. Je crois que ces quelques exemples sont suf­fi­sants pour démon­trer qu’il s’a­git d’un sys­tème prag­ma­tique et qui fonc­tionne plu­tôt bien. Ceci est dû en grande par­tie à la vision poli­tique des gens qui l’ont mis en place et qui ont su l’entretenir.

En ce qui concerne la situa­tion fran­çaise, nous avons les moyens grâce à l’ANR de mettre en place pro­gres­si­ve­ment cer­tains des élé­ments posi­tifs du dis­po­si­tif nord-amé­ri­cain. Certes, tout ne devrait pas être trans­po­sé direc­te­ment car les habi­tudes sont dif­fé­rentes et l’or­ga­ni­sa­tion actuelle a ses spé­ci­fi­ci­tés et ses avantages.

Il faut main­te­nant que l’a­gence acquière son auto­no­mie, sa sta­bi­li­té et sur­tout sa légi­ti­mi­té. Qu’elle puisse aider les cher­cheurs à se libé­rer des lour­deurs admi­nis­tra­tives actuelles en pro­fi­tant des expé­riences réus­sies des pro­grammes de finan­ce­ment tels que les Actions Concer­tées Ini­tia­tive et les Réseaux de Recherche et d’In­no­va­tion Technologique.

* *

Je tiens à remer­cier T. Brzus­tows­ki (Ins­ti­tute for Quan­tum Com­pu­ting – ancien­ne­ment pré­sident de la NSERC), H. Bur­ton (Per­ime­ter Ins­ti­tute), R. Laflamme (IQC / PI), A. New­ton (IQC), S Scan­lan (PI) et W. Zurek (Los Ala­mos Natio­nal Labo­ra­to­ry) pour les dis­cus­sions que j’ai eues avec eux sur le sujet du finan­ce­ment et du mana­ge­ment de la recherche.

Harold Olli­vier, Per­ime­ter Ins­ti­tute for Theo­re­ti­cal Phy­sics, 31 Caro­line St N, Water­loo, ON N2L 2Y5, Canada.
Adresse actuelle :
Bureau des poli­tiques d’in­no­va­tion et de technologie,
Direc­tion géné­rale des entre­prises, Minis­tère de l’é­co­no­mie des finances et de l’in­dus­trie, 12 rue Vil­liot, F‑75012 Paris.

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1. Labo­ra­to­ry Direc­ted Research and Deve­lop­ment – Direc­ted Research et Explo­ra­to­ry Research.
2. Natio­nal Secu­ri­ty Agen­cy, Army Research Office et Natio­nal Science and Engi­nee­ring Research Coun­cil ou encore Conseil natio­nal de la recherche en sciences natu­relles et en génie (CRSNG).

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