Financer aujourd’hui une décarbonation profonde et soutenable économiquement
Dans le monde du financement de la décarbonation, Kyotherm a fait le choix de s’intéresser à la chaleur renouvelable et aux économies d’énergies. Dans cet entretien, son président et fondateur, Arnaud Susplugas (X01), nous explique les raisons de ce choix et revient sur le positionnement différenciant et atypique de son entreprise.
Qui est Kyotherm ?
Depuis 12 ans, Kyotherm finance et gère des projets de décarbonation, avec un focus sur la chaleur renouvelable et les économies d’énergie. La chaleur renouvelable représente en pratique des projets biomasse, géothermie, solaire thermique, chaleur fatale ou de combustion de déchets, ainsi que les réseaux de chaleur pour distribuer cette énergie. Quant aux économies d’énergies, cela se traduit par des Contrats de Performance Energétique, à travers lesquels Kyotherm finance l’installation de travaux permettant des économies d’énergie dans l’industrie ou le bâtiment. Dans ce cadre, le retour sur investissement est réalisé au travers du partage des économies d’énergies avec le consommateur d’énergie. Outre le financement, nous apportons une valeur ajoutée dans le montage contractuel et parfois la négociation commerciale, au travers du « co-développement ». Nous pouvons accepter des risques technologiques supérieurs à d’autres investisseurs, avec des Technology Readiness Level (TRL) parfois peu élevés. Sur un plan géographique, à date, nous avons investi dans 11 pays, essentiellement en l’Europe de l’Ouest, mais aussi aux États-Unis et au Maghreb. Nous avons ainsi co-développé et financé 230 MW de projets qui produisent chaque année environ 1 TWh d’énergie décarbonée. Les projets que nous accompagnons représentent un investissement (Capex) compris entre 1 M€ et 200 M€ ce qui fait de Kyotherm un investisseur de taille moyenne.
Qu’est-ce qui a motivé cette spécialisation ?
D’après Bloomberg New Energy Finance, les investissements nécessaires pour rester à 1.5°C de réchauffement climatique sont de 196 000 milliards de $ d’ici à 2050. Face à ce mur d’investissement, notre vocation est de favoriser et de contribuer à une décarbonation profonde et soutenable économiquement. Nous considérons que nos deux secteurs cœur de métier (la chaleur renouvelable et l’efficacité énergétique) sont quasiment les seuls qui proposent un impact carbone significatif pour un coût de la tonne de CO2 évitée soutenable (inférieur à ~250 €/tCO2). Leur impact carbone est bien plus fort que d’autres technologies de décarbonation comme l’électricité renouvelable ou l’hydrogène vert, avec un besoin de subventions bien inférieur. Peu d’investisseurs s’intéressent à ces projets, probablement en raison d’une complexité technique et juridique plus importante. Avec Kyotherm, nous remédions, à notre niveau, à ce manque.
Concrètement, quels maillons de la chaîne de valeur couvrez-vous ?
Nous portons le montage contractuel et le financement des projets de décarbonation, en les finançant en fonds propres (equity)pour les projets les plus significatifs et en dette et equity pour les projets moins significatifs (inférieurs à 15 M€). Les sociétés de projet de Kyotherm vendent au final du kWh, renouvelable ou économisé. Si nous pouvons être perçus comme un fournisseur d’énergie, notre valeur ajoutée est essentiellement sur les plans juridique et financier.
Via notre approche de « co-développement », nous pouvons aussi intervenir en amont de la chaîne de valeur au niveau de l’accompagnement commercial de nos partenaires en phase de négociation, afin de guider et de sécuriser la négociation contractuelle. Nous
pouvons prendre en charge quelques coûts de développement, comme des études de faisabilité, mais nous n’avons pas vocation à intervenir en qualité de purs développeurs. Notre cœur de métier est, en effet, d’accompagner des porteurs de projet de diverses natures : sociétés de services énergétiques, équipementiers, bureaux d’étude, maîtres d’œuvre, installateurs et EPCistes, …
Quels sont les principaux projets que vous avez financés ? Quels en sont les principales caractéristiques ?
Nous avons, par exemple, financé en partenariat avec Engie un réseau de chaleur géothermique de 20 MW dans l’est parisien, pour le compte de Disneyland, Villages Nature et Val d’Europe Agglomération.
Fin 2022, nous avons signé un nouveau financement pour une usine de production de granulés de bois de 65 000 tonnes par an, comprenant une cogénération bois et des chaudières à bois. L’usine produira environ 250 GWh par an de granulés de bois, une source d’énergie renouvelable très utile pour le secteur du bâtiment qui a du mal à se décarboner. Nous avons ainsi bouclé un financement de 45 M€ pour une chaudière à Combustible Solide de Récupération (CSR) de 32 MW, qui va permettre à un papetier en Dordogne d’effacer une grande partie de sa consommation de gaz fossile. Sur 20 ans, ce projet peut réduire les importations énergétiques de la France de 6 TWh, pour une valeur économique de l’ordre de 300 M€. Ensemble, ces deux derniers projets signés sur l’année écoulée permettront une baisse d’environ 130 000 tCO2 par an des émissions par combustibles fossiles, représentant environ 2 % de la baisse annuelle des émissions CO2 de la France. Ces projets accompagnés par Kyotherm ont pour caractéristique d’avoir un impact carbone, industriel et territorial significatif.
En quoi votre approche est-elle différenciante ?
Peu d’investisseurs professionnels s’intéressent aux projets complexes de décarbonation comme la chaleur renouvelable ou les économies d’énergie. Dans ce cadre, nous avons la particularité d’être en mesure de structurer les financements de manière « déconsolidante », ou sous forme « As-a-Service », c’est-à-dire un paiement à l’usage. En effet, la complexité technique et juridique qui en découle est particulièrement difficile à surmonter lorsque ces projets sont de taille petite ou moyenne (en dessous de 15 M€ d’investissement). Contrairement aux autres acteurs du marché, Kyotherm peut intervenir sur ces projets grâce à son retour d’expérience et une certaine systématisation acquise après 45 deals réalisés sur 130 sites différents. Pour ce faire, nous nous appuyons aussi sur les compétences et les talents qui composent notre équipe, où on retrouve majoritairement des ingénieurs (dont 30 % de Polytechniciens).
Cette combinaison d’expertises et d’experts nous permet de lever l’ensemble des freins à l’entrée et de proposer des financements de long terme à un coût optimisé, pour, in fine, faire baisser le coût du kWh.
Enfin, nous ne nous posons aucune frontière géographique contrairement à la plupart des acteurs de notre secteur, ce qui nous permet d’accompagner des multinationales dans leurs projets de décarbonation sur (quasiment) tous leurs sites répartis dans le monde.
Sur le marché du financement de la transition énergétique, comment vous projetez-vous ? Quelles sont vos ambitions ?
Tout en continuant à financer la chaleur renouvelable et les économies d’énergies, nous allons nous intéresser à de nouvelles technologies de décarbonation. En effet, la chaleur renouvelable et les économies d’énergies restent des marchés de niche en matière de financement, même si nous sommes convaincus du potentiel de croissance de ce segment. Il faut se rappeler, par exemple, que la production de chaleur émet 5 fois plus de CO2 que la production d’électricité en France, il reste donc un énorme chantier de décarbonation devant nous ! L’élargissement des technologies, typologies et géographie des projets accompagnés est déjà en cours. Nous finançons ainsi d’ores et déjà des projets de méthanisation ou de services de stabilisation du réseau électrique. Notre ambition est de continuer à contribuer à la décarbonation de l’économie et de faciliter l’émergence de technologies à fort potentiel dans les pays développés, afin, in fine, d’appliquer les « best practices » déployées et les meilleures technologies aux pays émergents.
C’est ce qui nous conduira à financer des projets dans des juridictions plus à risque. En terme chiffrés, on estime que les projets financés à ce jour par Kyotherm auront un impact d’environ 4,3 millions de tonnes de CO2 évitées sur leur durée de vie. Notre prochaine étape : 20 millions de tonnes de CO2 dans 5 ans, ce serait très bien !
Et selon vous, quels sont les freins au financement de la transition énergétique ?
Les outils publics pour favoriser les projets à fort impact carbone manquent cruellement.
Nos politiques suivent des effets de mode, sans réellement cibler les technologies et projets à fort impact. Les aides actuelles du Fonds Chaleur en France sont, par exemple, insuffisantes et inadaptées. Il manque au financement de la chaleur renouvelable et des économies d’énergies, les mécanismes et l’approche qui ont permis l’essor du photovoltaïque et de l’éolien : un feed in tariff ou compléments de rémunération, payés sur le long terme au MWh ou à la tonne de CO2 évitée.
La France, et plus largement l’Union Européenne, devraient s’inspirer du modèle des Pays-Bas et de leur SDE++, un système d’enchères organisées pour optimiser les subventions en €/tCO2, où se concurrencent toutes les technologies : photovoltaïque, éolien, géothermie, biomasse, solaire thermique, chaleur fatale, hydrogène vert… dans une logique du « que la meilleure gagne ! ». C’est la condition pour une allocation efficace des ressources publiques et pour qu’elles soient rationalisées vers l’objectif de décarbonation, en évitant de mettre en faillite nos économies. La France doit viser à respecter les objectifs des accords de Paris, mais elle ne se donne actuellement pas les bons moyens. Rappelons que le photovoltaïque ne décarbone pas en France, où 92 % de l’électricité est déjà décarbonée. Plus largement, le « bouclier tarifaire » va mobiliser environ 56 milliards d’euros en France (chiffres du budget 2023) pour soutenir l’achat d’énergie fossile (en partie d’origine russe) et pérenniser notre dépendance à ces énergies. Pour rappel, le budget du Fonds Chaleur est 100 fois inférieur en France…
Et pour conclure ?
Nous recherchons actuellement un Chargé / Analyste Investissement, voire des stagiaires, et nous prévoyons de régulièrement d’étendre l’équipe. Nous étudierons avec beaucoup d’attention les bonnes candidatures !