Finances publiques : L’inflation peut-elle vraiment résorber l’endettement ?
L’inflation a apparemment un effet arithmétique tendant à la réduction du poids de la dette publique. Mais les choses sont moins simples et un cumul de facteurs liés à l’inflation contribue à l’alourdissement de cette dette, au contraire. Pour que la charge diminue pour l’État, il faudrait que le secteur privé accepte un report de charge à son détriment : lorsque l’inflation vient des matières premières importées, c’est globalement un jeu à somme négative.
La France démarre l’année avec une dette publique de 111,6 % du PIB (chiffre encore provisoire pour fin 2022) et un déficit budgétaire prévu à 5 % du PIB pour l’année 2023. Un lecteur pressé pourrait être tenté d’additionner les deux chiffres pour anticiper une dette de 116,6 % du PIB fin 2023. Ce calcul serait cependant erroné car le PIB (le dénominateur du ratio de dette) devrait augmenter entre 2022 et 2023, en euros courants : si, comme le prévoit le gouvernement, le PIB augmente de 4,6 % en valeur entre 2022 et 2023, alors le ratio d’endettement devrait rester fin 2023 proche de son niveau de fin 2022, et ce malgré le nouveau déficit de l’année.
Arithmétique de la dette
De manière générale, le ratio dette sur PIB diminue lorsque le déficit est inférieur au ratio de dette multiplié par le taux de croissance du PIB en euros courants. C’est d’ailleurs comme cela qu’on peut comprendre les critères de Maastricht : avec une croissance nominale de 5 % (dont 3 % de croissance réelle et 2 % d’inflation) et un déficit public inférieur à 3 %, une dette publique initialement à 60 % du PIB a tendance à diminuer. Cette arithmétique fonctionne aussi aujourd’hui, avec une dette supérieure à 100 % du PIB et une croissance nominale tirée par les prix. Est-ce à dire que l’inflation sauvera les finances publiques du pays ? Deux arguments pourraient le laisser penser.
D’une part, comme on vient de le voir, si on divise une dette publique fixée en euros par un dénominateur qui augmente sous l’effet de l’inflation, alors le rapport dette sur PIB diminue. D’autre part, la hausse des prix des biens à la consommation entraîne mécaniquement un relèvement des recettes de TVA ; la hausse des salaires élève les cotisations sociales versées ; et ainsi de suite pour chaque prélèvement sur une assiette en valeur. Les recettes fiscales augmentent avec les prix, ce qui réduit d’autant le déficit, en plus d’éroder la dette.
Toutefois, d’autres éléments vont dans le sens d’une détérioration des finances publiques.
Hausse des dépenses
D’abord, le coût de financement de la dette est affecté par l’inflation. L’effet est immédiat pour environ un dixième de la dette qui est indexée sur l’inflation, de sorte que chaque point d’inflation supplémentaire entraîne une hausse immédiate du taux apparent d’environ 0,1 point de pourcentage (et donc une dépense supplémentaire d’environ 2,5 Md€). Le reste de la dette est à taux fixe. La maturité moyenne étant supérieure à huit ans (voir Copin et Dalbard, 2022), la hausse des taux consécutive au surcroît d’inflation met du temps à se transmettre dans la charge de la dette. Pour simplifier, on peut considérer une dette de 100 points de PIB. Le calcul est alors facile : chaque point d’inflation persistante en plus implique, à terme, via le rehaussement des taux d’intérêt, une hausse d’un point de PIB de la charge de la dette. Toutes choses égales par ailleurs, le déficit public augmente.
“L’inflation n’est malheureusement pas une baguette magique.”
Ensuite, une grande partie des dépenses courantes des administrations publiques sont indexées. C’est le cas des retraites, des allocations familiales, des allocations logement, du revenu minimum, dans un délai inférieur à un an. Chaque point d’inflation en plus augmente automatiquement ces dépenses sociales de près de 5 Md€. L’inflation a également des conséquences sur les autres dépenses, mais de manière moins directe et avec une ampleur variable, si l’on pense par exemple aux contrats de fourniture des collectivités territoriales et des hôpitaux ou aux salaires de la fonction publique, dont l’indexation n’est pas automatique.
Enfin, le gouvernement peut décider de dépenses exceptionnelles pour protéger le pouvoir d’achat des ménages et limiter l’impact du renchérissement des approvisionnements pour les entreprises. L’indemnité inflation, le renforcement exceptionnel du chèque énergie, les boucliers tarifaires sur le gaz et l’électricité, les aides accordées aux entreprises les plus exposées sont autant de dépenses discrétionnaires provoquées par l’inflation. Le coût en France est de l’ordre de 50 Md€ en 2022 comme en 2023.
Et ce n’est pas tout…
Une inflation importée
Le dernier élément à prendre en compte est l’origine de l’inflation, qui aujourd’hui n’est pas la surchauffe de l’économie mais le renchérissement des énergies et matières premières importées. Ce renchérissement appauvrit mécaniquement le pays (voir Clavères, 2022) et pèse sur la croissance. Il en découle une attrition des assiettes fiscales en termes réels. Un point de croissance en moins, c’est une réduction du PIB de 28 Md€ en euros constants et donc une réduction des recettes fiscales d’un peu moins de la moitié de ce montant, le taux de prélèvements obligatoires étant anticipé à 44,9 % en 2023. Or, entre février et novembre 2022, la Commission européenne a abaissé ses prévisions pour la croissance française de 1 point en 2022 et d’un peu moins de 2 points en 2023. L’effet est donc important.
À cet effet volume s’ajoute un effet prix relatifs. En effet, le renchérissement des énergies et matières premières importées a pour conséquence une hausse plus rapide des prix à la consommation que celle des prix à la production. Comme le détaillent Fipeco, le site d’informations sur les finances publiques (2021) et l’OFCE, Observatoire français des conjonctures économiques (2022), les dépenses publiques sont affectées par les prix à la consommation, tandis que les assiettes de l’impôt sur le revenu, des cotisations sociales ou des impôts de production suivent plutôt le prix du PIB.
Lorsque le prix du PIB croît moins vite que celui de la consommation, les recettes augmentent spontanément moins que les dépenses et le déficit se creuse. Cet effet peut être modéré à court terme par des délais d’indexation. La baisse de la croissance réelle ainsi que la hausse moins marquée du prix du PIB que du prix de la consommation ont aussi pour effet de limiter l’érosion du ratio dette sur PIB mentionnée plus haut.
Lire aussi : Analyse macroéconomique de l’inflation et de la pertinence de nos modèles
Un partage du fardeau ?
On le voit, l’inflation n’est malheureusement pas une baguette magique qui va résorber notre excès d’endettement public, notamment parce qu’elle a pour origine le renchérissement de biens importés qu’on ne produit pas en France. Pour que l’inflation réduise petit à petit l’endettement public, il faudrait par exemple que les prestations n’augmentent pas, que le barème de l’impôt sur le revenu ne soit pas indexé, que les épargnants acceptent de durablement prêter à un taux d’intérêt inférieur à l’inflation, etc. En bref, il faudrait qu’une part de la charge soit portée par le secteur privé plutôt que par les finances publiques.
Références
- Clavères G. (2022), « Répartition des pertes dues à la dégradation des termes de l’échange énergétiques », Trésor-Éco n° 318, 7 décembre.
- Copin P. et Dalbard J. (2022), « La stratégie d’émission de la dette souveraine française », Trésor-Éco n° 297, janvier.
- Fipeco (2021), « L’impact de l’inflation sur le déficit public », Les fiches de l’encyclopédie, https://www.fipeco.fr/fiche/Limpact-de-linflation-sur-le‑d%C3%A9ficit-public
- OFCE (2022), « L’économie mondiale sous les chocs », Policy Brief 106, 25 mai.