Fleur Thesmar (X92), une vocation ravivée
Fleur Thesmar vient d’une famille d’universitaires. Elle a commencé sa carrière dans les télécommunications, mais a bifurqué (une fois installée en famille aux États-Unis) vers la peinture – ce qui est une illustration supplémentaire de la variété des talents au sein de la communauté polytechnicienne. Son activité artistique s’articule avec un fort engagement pour la défense de la Nature. Haro sur « le Léviathan de la corruption bétonifère » !
Elle vit à Belmont, banlieue de Boston, qu’affectionnent des professeurs de Harvard et du MIT. Son mari, David, enseigne l’économie au MIT. Ils ont deux fils et deux filles, à divers stades d’études universitaires aux USA. Ainsi, Raphaël est sophomore (en seconde année) à Cornell, dans le nord de l’État de New York.
Une artiste peintre
Fleur Thesmar est une artiste peintre reconnue, aux œuvres exposées dans diverses galeries d’art, aux États-Unis surtout. Les médias dont elle use vont de l’aquarelle au tissage et à la broderie. Son activité d’artiste date de l’implantation des Thesmar aux États-Unis, en 2015. Le moment crucial, l’illumination intervint pour elle plus tard, durant la récente pandémie de la Covid, alors qu’elle subissait une crise d’asthme : « Je découvris une structure mathématique (Fibonacci) dans les arbres, que j’utilise depuis lors dans mes compositions. Je m’aperçus aussi que les technologies de télécommunication que j’ai contribuées à développer massivement en France, pour internet et smartphones, étaient incapables de répondre à mon attente, de transmettre une expérience de l’espace. La peinture américaine avait renouvelé les façons de décrire l’espace, peut-être oubliées en Europe durant la période classique. » C’est ce qui la décida à devenir ou redevenir peintre.
Une révoltée
Pour revenir sur sa crise d’asthme, Fleur Thesmar est allergique à bon nombre de couleurs et matériaux synthétiques : produits chimiques de toutes sortes, conservateurs, matières plastiques… Cela l’incita à recourir pour son travail uniquement à des pigments et des supports d’origine naturelle. Elle est révoltée par la dévastation que nous causons, animaux dénaturés que nous sommes devenus en cet Anthropocène.
“Nous construisons un désert autour de nous.”
Tout particulièrement l’altération des paysages : « L’enjeu de la peinture de paysage contemporaine touche aujourd’hui à la défense de l’environnement, à la question de l’extinction des espèces sauvages ou de ce qu’est un poison. Nous prenons conscience collectivement que nous altérons le paysage en profondeur. Je note la minéralisation des photos et le sort funeste des arbres. Nous avons éliminé le lieu de vie d’insectes, d’oiseaux, de champignons. Nous construisons un désert autour de nous. Je suis dans l’effroi quand je pense à l’impossibilité d’agir contre cela, le Léviathan de la corruption bétonifère. »
De vraies œuvres
La première partie de sa période professionnelle fut marquée par son activité dans les télécommunications ; à sa sortie de l’École, elle opta pour Télécom Paris comme école d’application, puis se donna un master en ingénierie électrique à l’Imperial College, à Londres (1996−1997). Ensuite elle lutta durement pour qu’en France les consommateurs aient le choix du fournisseur de téléphonie locale ou à longue distance et d’accès Internet haut débit. C’était altruiste. Y a‑t-il plus altruiste, cependant, que créer de la beauté ? Ainsi, j’affectionne son œuvre intitulée Wrinkled summer painting (« tableau d’été plissé ») : dans une dominante de tons crème et bruns, on y voit comme en une coupe botanique des strates textiles superposées ; j’aime aussi beaucoup Thunder roll (« roulement de tonnerre ») dans un arrangement similaire en couches superposées ; ou cet Apple blossom and yew (« fleurs de pommier et d’if »), une composition quasi photographique quant à la richesse du détail, mais d’une majestueuse simplicité d’ensemble. Parfois, Fleur Thesmar pose devant l’une de ses peintures, souriante, toute fière. De quoi, plus précisément ? Assurément, de sa connivence avec les expressions de la nature, dont elle se fait la fidèle interprète : « Je me rappelle avoir été très heureuse de les peindre ! »
De qui tenir
La scolarité de Fleur Thesmar à l’École la vit attentive aux cours de ses enseignants, en mathématiques surtout, ceux de Jean-Pierre Bourguignon (X66) et Nicole El Karoui, et de littérature, avec Alain Finkielkraut. Pour son service national, elle fut officier de renseignements dans un escadron de chasse à la base aérienne de Cambrai. D’une famille de grands universitaires, fille du normalien et mathématicien Paul Deheuvels, statisticien éminent qui fut à la tête du Laboratoire de statistique théorique et appliquée (université Paris-VI), elle fit sa prépa à Louis-le-Grand. De son enfance, je retiens surtout son émerveillement devant le monde naturel et la séduction qu’exerça sur elle, dès l’enfance, la peinture.
On le constate, mon texte prend la chronologie à contre-sens – en hommage délibéré à la perspective inverse – point de fuite devant le tableau plutôt que derrière – qu’affectionne Fleur Thesmar, cette polytechnicienne ravie d’avoir trouvé sa voie.