Focus sur la fusion nucléaire : une source d’énergie décarbonée à fort potentiel
Méconnue du grand public, la fusion nucléaire, qui permet de produire une énergie renouvelable non-intermittente, peut pourtant jouer un rôle important dans la décarbonation des usages et contribuer ainsi au succès de la transition énergétique. Créée en 2020, Renaissance Fusion ambitionne justement de développer et d’industrialiser cette technologie. Simon Belka, directeur des relations publiques, et Victor Prost (X12), ingénieur mécanique et chef d’équipe de l’ingénierie du système nucléaire, nous en disent plus dans cet entretien.
Qu’est-ce que Renaissance Fusion ?
Simon Belka : Renaissance Fusion est une start-up qui a été créée en juillet 2020 par le physicien Francesco Volpe, qui évolue dans le monde de la physique, et notamment de la fusion nucléaire, depuis plus de 25 ans. Basée à Grenoble, qui dispose d’un riche écosystème de recherche et universitaire, Renaissance Fusion a pour objectif de développer et de commercialiser un réacteur à fusion nucléaire d’une puissance d’un gigawatt électrique pour produire une électricité totalement décarbonée, abondante et non-intermittente.
Dans cette démarche, nous travaillons aussi sur des développements connexes, notamment des supraconducteurs et des aimants, que nous souhaitons commercialiser dès 2025 afin de générer nos premiers revenus. Aujourd’hui, la start-up emploie près de 35 personnes de 13 nationalités différentes et nous avons pour objectif de doubler nos effectifs avant la fin 2023.
Au cœur de vos expertises, on retrouve donc la fusion nucléaire. Pouvez-vous nous en dire plus ?
S.B : La fusion nucléaire est un domaine qui couvre plusieurs points technologiques. Renaissance Fusion a fait le choix de se spécialiser et de se positionner sur trois briques technologiques :
le liquide de refroidissement à base de métaux liquides qui protège les parois solides du réacteur, tout en permettant de regénérer du carburant ;
les aimants supraconducteurs, un matériau qui n’oppose aucune résistance à très basse température : nous avons développé une nouvelle méthode de fabrication de ce matériau afin d’avoir des champs magnétiques complexes et intenses qui seront très utiles pour notre réacteur de fusion nucléaire ;
une nouvelle façon de concevoir la fusion nucléaire avec des réacteurs plus compacts et simples à fabriquer ce qui permettrait de réduire les coûts de construction et le temps de développement des réacteurs. Pour ce faire, nous travaillons sur la physique des plasmas, la thermique ou encore l’ingénierie de manière générale.
Et pour appréhender l’ensemble de ces différents domaines, nous nous appuyons sur des experts de la fusion mais également sur les compétences techniques de nos docteurs et ingénieurs issus de laboratoires de pointe dans leur domaine.
En quoi votre approche est-elle différente de la fission nucléaire ?
S.B : La fission et la fusion sont deux énergies nucléaires. Ce sont aussi deux processus inverses qui s’opèrent au niveau des atomes. Dans la fission, on part de noyaux lourds, en général des noyaux d’uranium, que l’on va chercher à casser avec des neutrons pour générer de l’énergie. Dans la fusion, on part de deux atomes légers, en général des atomes d’hydrogène, qu’on cherche à fusionner pour donner un noyau plus lourd. Ce processus permet de générer de l’énergie. La fusion a l’avantage d’être un processus beaucoup plus sûr que la fission. Il n’y a, en effet, pas de risque de réaction en chaîne ou de fonte du cœur. En parallèle, on note aussi des différences au niveau des déchets produits. Ceux produits directement par la réaction entraînée par la fusion nucléaire sont limités et ont, par ailleurs, une demie-vie beaucoup plus faible.
V.P : On note aussi une différence au niveau de la source de carburants utilisés. Pour la fission nucléaire, il s’agit de métaux rares et de minerais qui sont souvent minés dans des zones difficiles d’accès où les ressources sont très localisées. Leur disponibilité a aussi vocation à se réduire sur le long terme. Pour la fusion nucléaire, le carburant principal est l’hydrogène, qui peut notamment être produit à partir d’eau de mer, une ressource quasiment inépuisable !
En matière de transition énergétique et de décarbonation, quelle est votre proposition de valeur ?
S.B : Au cœur de notre valeur ajoutée, on retrouve tout d’abord l’ensemble des avantages de la fusion nucléaire que nous venons de détailler. En parallèle, l’énergie produite est décarbonée et abondante, ce qui en fait une alternative très intéressante aux énergies renouvelables qui sont intermittentes et difficilement pilotables. Forts de ces constats, Renaissance Fusion travaille donc sur la fabrication d’un réacteur d’une puissance importante, d’environ un gigawatt électrique. En capitalisant sur des innovations technologiques majeures, nous allons aussi développer un réacteur relativement compact à un coût compétitif et qui, en plus, permettra d’avoir une électricité à un coût très compétitif (40 à 80 euros du mégwattheure).
V.P : Depuis quelques années, nous entendons beaucoup parler de décarbonation et de neutralité carbone. Concrètement, la transition énergétique couvre plusieurs dimensions et notamment le carbone d’une ressource énergétique et les matériaux nécessaires pour produire de l’électricité…
Face aux pénuries de matériaux rares et au regard des caractéristiques de chaque énergie renouvelable, il n’est pas pertinent, voire risqué, de privilégier une seule forme d’énergie renouvelable. Dans ce cadre, la fusion nucléaire a la particularité de permettre d’avoir un mix énergétique qui va réduire le risque de dépendance à un métal rare, par exemple, et faciliter la transition énergétique et la décarbonation.
Où en est Renaissance Fusion ? Quelles sont les prochaines étapes ?
S.B : Pour fabriquer notre réacteur, nous avons défini un plan en trois étapes. Premièrement, nous allons démontrer la pertinence de nos briques technologiques : les aimants HTS, les métaux liquides et, puis, le réacteur. Plusieurs démonstrateurs sont prévus pour qualifier nos technologies à horizon 2025. Deuxièmement, nous allons mettre en place un réacteur expérimental pour démontrer les performances et la rentabilité énergétique de notre technologie. Enfin, troisièmement, nous allons travailler sur un prototype de centrale électrique pour produire de l’électricité avec un réacteur premier de série qui a vocation à être industrialisé et à devenir le produit phare de Renaissance Fusion.
V.P : Sur un plan plus opérationnel, en cohérence avec notre feuille de route technologique, je travaille sur la démonstration de la simplification de la construction du réacteur. Actuellement, nous sommes mobilisés sur plusieurs prototypes afin de tester nos nouvelles techniques de fabrication des aimants, d’assemblage de réacteurs et parois à métal liquide…
Plus précisément, pour le refroidissement à base de métal liquide, le premier démonstrateur est en action et nous réalisons actuellement les tests de vitesse, de plaquage de métal liquide sur les parois afin de pouvoir nous appuyer sur un premier retour sur expérience afin d’améliorer le processus. Sur la dernière brique technologique, la fabrication des aimants HTS se passe en deux étapes : d’abord, la matière première qui va être supraconductrice, et, ensuite, la transformation de cette matière première supraconductrice en aimant qui vont produire des champs magnétiques complexes.
Pour ce faire, nous utilisons un système de laser qui va venir imprimer des circuits de courant sur les rubans supraconducteurs pour produire le champ magnétique. Aujourd’hui, nous sommes en train de démontrer la possibilité de créer des champs magnétiques complexes avec la technologie laser. La prochaine étape sera de développer nos machines pour fabriquer ces aimants uspraconducteurs.
Quels sont vos principaux enjeux ?
S.B : Notre premier enjeu est humain. Comme précédemment mentionné, nous avons de très fortes ambitions en termes de croissance avec l’objectif de doubler nos effectifs pour être 70 à la fin de l’année. Nous recherchons donc des jeunes talents et des personnes qui ont les compétences et l’expérience nécessaires pour venir renforcer nos équipes et nous aider à avancer sur l’ensemble des sujets techniques et technologiques qui nous mobilisent actuellement.
En tant que start-up, nous avons aussi un fort enjeu financier. À l’heure actuelle, nous n’avons pas d’activités commerciales et nous dépendons donc essentiellement de financements publics et privés. Nous devons convaincre les investisseurs de la pertinence de notre technologie et de notre projet pour financer les prochains développements. Cela nécessite, par ailleurs, que nous accélérions nos développements pour démontrer la faisabilité et la performance de notre approche.
Enfin, nous avons aussi un enjeu de sensibilisation et de communication autour de la fusion nucléaire, cette nouvelle énergie, qui reste méconnue en comparaison aux autres énergies renouvelables. Nous devons mettre en avant ses avantages, mais aussi rassurer l’opinion publique pour contribuer à son acceptation de manière générale par la société.