Focus sur l’extraction des métaux : enjeux et perspectives pour la santé
MexBrain a développé une technologie autour de l’extraction des métaux du corps. Le professeur Olivier Tillement, CSO de l’entreprise, nous en dit plus sur sa genèse, son évolution, les technologies et solutions médicales qu’elle propose. Rencontre.
Comment est née l’idée de MexBrain ?
MexBrain s’inscrit dans la continuité de nos recherches en nano-médecine et plus particulièrement autour des composés théranostiques à base de gadolinium pour guider et amplifier l’efficacité des radiothérapies. Au moment du passage en clinique, s’est posée la question du devenir du gadolinium une fois administré et de son échange avec les oligo-métaux présents dans le corps.
Dans ce cadre, nous nous sommes intéressés à différentes recherches qui mettaient notamment en évidence des problématiques relatives à des excès de métaux dans le corps. L’impact de la dérégulation de l’homéostasie métallique sur l’évolution de certaines pathologies, comme les maladies neurodégénératives, nous a alors semblé évident.
« L’idée de MexBrain est d’extraire en toute sécurité des métaux présents dans le cerveau et apporter une approche complémentaire aux traitements des maladies neurodégénératives. »
À partir de là, nous nous sommes intéressés aux approches permettant de restaurer les équilibres métalliques d’un point de vue médical. Afin de réduire et extraire certains métaux, nous avons exploré la piste de la micro-dialyse associée à la nano-médecine. Il s’agit d’additionner, à un fluide de dialyse, un biopolymère ultra-chélatant capable de neutraliser les cations métalliques qui passeraient à travers la membrane ; nous contournons alors les limitations imposées par les Lois de Fick, soit une extraction amplifiée et très spécifique. C’est ainsi qu’a vu le jour l’idée de MexBrain : extraire en toute sécurité des métaux présents dans le cerveau et apporter une approche complémentaire aux traitements des maladies neurodégénératives.
Toutefois, nous nous sommes vite rendus compte que cette thématique d’extraction de cations métalliques du cerveau, malgré un vrai besoin sur le plan clinique, était un sujet très complexe, voire anxiogène et qui, malgré son potentiel évident, n’attirerait pas « naturellement » les investisseurs.
Le concept a alors été étendu, adapté à l’hémodialyse et nous avons repositionné la société afin de nous concentrer sur l’extraction de métaux spécifiques dans le sang.
MexBrain a vu le jour en 2017 et a depuis levé plus de 6 millions d’euros. Aujourd’hui, nous employons une équipe d’une dizaine de personnes.
Aujourd’hui, votre technologie d’extraction des métaux dans le sang permet de traiter les patients critiques atteints de la maladie de Wilson. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La maladie de Wilson est une maladie génétique héréditaire rare qui entraîne une accumulation de cuivre dans le corps, notamment au niveau du foie et du cerveau sur le long terme. Elle est diagnostiquée chez des patients relativement jeunes et peut se traduire par une hépatite fulminante qui implique de graves conséquences pour les patients : hospitalisation en soins intensifs, décompensation du foie qui peut mener à un besoin de greffe… Pour ces patients graves, il est absolument nécessaire d’extraire rapidement les grandes quantités de cuivre libre circulant dans le sang.
Nous utilisons notre technologie afin d’extraire ce cuivre en excès dans le sang des patients. Concrètement, nous réalisons une hémodialyse à faible débit avec un dialysat contenant un biopolymère auquel nous avons greffé un chélatant très puissant, le DOTA, composé par ailleurs largement utilisé en clinique pour former des agents de contrastes IRM. En utilisant ce produit et dans le cadre d’une dialyse, nous sommes en mesure d’extraire uniquement le cuivre excédentaire dans le sang.
Nous menons actuellement un essai clinique en Espagne et en France sur une dizaine de patients qui ont été diagnostiqués et qui sont en soins intensifs. Il s’agit d’un essai clinique multicentrique en phase pivot, car notre technologie est considérée comme un dispositif médical sur maladie rare. Aujourd’hui, notre objectif est donc de pouvoir démontrer les performances et l’efficacité de notre technologie pour l’extraction de métaux et dans le traitement de la maladie de Wilson.
Quelles sont les autres pistes que vous explorez et les autres pathologies que vous visez ?
Notre technologie adresse, de façon évidente, deux grands types de maladies génétiques aboutissant à une accumulation de métaux dans le corps : d’abord le cuivre et la maladie de Wilson, comme précédemment mentionné, mais aussi l’excès de fer et les hémochromatoses, qui sont des maladies beaucoup plus fréquentes. Et à cela s’ajoutent les hémochromatoses secondaires, non génétiques, mais qui peuvent apparaître chez des personnes qui subissent régulièrement des transfusions sanguines, ou qui utilisent des médicaments qui ont, comme effet secondaire, des morts cellulaires importantes dans le corps.
« Le fer libre s’avère particulièrement toxique, en raison notamment de son effet catalytique sur l’augmentation du stress oxydant et de son effet favorable à la croissance des pathogènes. »
En parallèle, il y a aussi des situations exceptionnelles pour le corps, lorsque les défenses naturelles et les systèmes de régulation de l’homéostasie du fer sont débordés, ce qui engendre la libération de pics d’oligo-métaux libres qui ne peuvent plus être pris en charge par l’organisme. Le fer libre s’avère particulièrement toxique, en raison notamment de son effet catalytique sur l’augmentation du stress oxydant et de son effet favorable à la croissance des pathogènes. Ce type de situations est malheureusement très fréquent et se rencontre plus d’une fois sur deux en soins intensifs : dans le cadre d’hémolyse, de décompensation et de cirrhose du foie, de rhabdomyolyse ou encore de sepsis associés à des agents pathogènes comme des microbes qui vont, en plus, venir se nourrir du fer libéré pour accélérer leurs proliférations…
Sur ces pathologies multifactorielles, la captation du fer libre représente une cible thérapeutique très intéressante. Cette problématique du fer libéré constitue un cercle vicieux : sa présence augmente les dommages cellulaires entrainant une libération plus grande de fer libre qui lui-même engendrera d’autres dommages. Nous anticipons d’intégrer notre produit dans les fluides de dialyse qui sont déjà utilisés en soins intensifs. C’est un moyen d’apporter une solution innovante dans un domaine où beaucoup de progrès peuvent encore être réalisés. Cette technologie présente l’avantage de peu modifier les parcours de soin déjà existants tout en apportant un bénéfice thérapeutique associé à une cible largement ignorée !
Dans cette démarche, quels sont vos principaux enjeux ?
Au-delà de l’essai clinique en cours sur la maladie de Wilson, nous travaillons avec des spécialistes sur les problématiques qui peuvent émerger en soins intensifs et qui pourraient être liés à l’excès de fer : hémochromatose secondaire, décompensation et cirrhose du foie, sepsis et même depuis peu rhabdomyolyse… Nous avons pour objectif de démarrer des essais cliniques qui pourront démontrer l’impact de l’extraction de fer sur l’amélioration du traitement des malades. Dans ce cadre, au-delà des enjeux financiers, nous avons un fort enjeu d’identification et de ciblage des malades en soins intensifs qui seront enrôlés dans ces premières phases cliniques.
Et pour conclure, comment vous projetez-vous sur le moyen et long terme ?
L’ambition de MexBrain est aujourd’hui de devenir le spécialiste de l’extraction des excès de métaux du corps, le leader des technologies de contrôle des homéostasies métalliques locales.
En plus des approches associées à la dialyse, nous avons étendu notre polymère chélatant à des gels et des solutions administrables pour des utilisations beaucoup moins iatrogènes. Nous explorons ainsi plusieurs pistes scientifiques et médicales notamment en matière d’extractions longues de métaux lourds ou de neutralisation locale du fer libéré. Nous nous intéressons à l’endométriose ainsi qu’aux AVC, deux pathologies qui génèrent une forte concentration de fer libre et où, in fine, une captation locale ouvre des perspectives simples et intéressantes de traitement.
Sur le plus long terme, nous envisageons aussi une spécialisation dans la régulation des oligo-métaux présents dans le corps ainsi qu’une nouvelle prise en considération de l’impact de la présence des métaux lourds sur le vieillissement et les maladies neurodégénératives, bouclant ainsi avec les premières idées ayant conduit à la création de la société.